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Discours sur l’Église romaine face à l’apostasie (1/12)

par | Juin 8, 2015 | Abbé Rioult, Discours sur la secte conciliaire

3511562408_73535eebea_oLa Sapinière a déjà publié les deux premières parties de l’étude de M. l’abbé Olivier Rioult sur la secte conciliaire et le Lefebvrisme. Voici aujourd’hui le plan et le début de la troisième partie sur l’Église romaine. La suite sera, comme par le passé, postée, à raison de dix pages environ, le 8e jour de chaque mois.

Une publication papier est en cours. M. l’abbé Olivier Rioult tient de nouveau à préciser que cette réflexion est personnelle et donc, par définition, n’engage que lui-même.

pdf  du « Discours sur le secte conciliaire, le lefevrisme », pour une lecture plus aisée (notes sur chaque page) en cliquant ici.

Plan de l’Église romaine face à l’apostasie

Prologue

A] La théologie du « pape hérétique »

B] La théologie du « pape schismatique ou douteux. »

C] Aperçu d’une dispute théologique

1] L’infaillibilité des lois liturgiques et la messe de Paul VI

2] L’infaillibilité du magistère.

A] La liberté religieuse.

B] Les canonisations : un jugement définitif de sainteté.

3] Le magistère ordinaire universel et sa dislocation après Vatican II.

D] Des essais de solution…

1] Le problème de l’hérésie notoire

2] Le problème de l’intention du magistère

Assentiment de foi ou vertu d’obéissance ?

3] Le problème du pape materialiter

Continuité de l’Église du Christ par la suppléance du Christ.

E] Le mystère d’iniquité et les portes de l’enfer

Des opinions insatisfaisantes.

Le mystère d’iniquité.

a) Pierre et les portes de l’enfer.

b) L’apostasie.

c) L’antéchrist et celui qui le retient.

d) La passion de l’Église.

e) Le “pusillus grex”.

F] La liberté des enfants de Dieu

In fide unitas, in dubiis libertas, in omnibus caritas.

La preuve par l’indéfectibilité de l’Eglise ?

Un avertissement du père Bruno Lantéri.

Non possumus & nullam partem…

Épilogue

Prologue

*

« Nous nous trouvons devant un dilemme grave, excessivement grave, qui, je crois, n’a jamais existé dans l’Église : que celui qui est assis sur le siège de Pierre participe à des cultes de faux dieux. Je ne pense pas que ce soit jamais arrivé dans l’histoire de l’Église. »

*

Ces paroles sont celles de Mgr Lefebvre qui fut le grand, mais non le seul, opposant à Vatican II. Pendant le Concile, où il fut président du Cœtus internationalis Patrum, puis après le concile avec sa déclaration du 21 novembre 1974, et jusqu’aux sacres de 1988, son rôle a été unique, indiscutable, notoire et héroïque. Pour lui, Vatican II et ses réformes engendrent un cataclysme comparable, par ses destructions matérielles et spirituelles, à une troisième guerre mondiale.

« Ce rite nouveau [de la messe] suppose une autre conception de la religion catholique, une autre religion… Ce rite nouveau est l’œuvre d’une idéologie autre, d’une idéologie nouvelle… Eh bien, nous ne sommes pas de cette religion, nous n’acceptons pas cette nouvelle religion. Nous sommes de la religion de toujours, nous sommes de la religion catholique… »

La situation manifestement anormale créée par Vatican II a mis les fidèles catholiques dans l’obligation de réagir pour rester attachés à la foi et à la sainteté de l’Église. Il est en effet anormal pour un catholique de participer à une messe protestante, de suivre un magistère maçonnique et d’obéir à des lois modernistes. Ce qui est anormal aujourd’hui n’est pas, comme les modernistes veulent nous le faire croire, le phénomène minoritaire des “traditionalistes” ; c’est le fait que Rome et ceux qui occupent les postes hiérarchiques propagent une nouvelle messe, un nouveau magistère et un nouveau code qui ne sont plus catholiques.

Une nouvelle messe 

« Nous voulons garder la foi catholique par la messe catholique, non par une messe œcuménique favens hœresim. […] Cette entente avec les protestants dans l’œcuménisme libéral a produit la nouvelle liturgie équivoque, bâtarde, qui donne la nausée aux vrais catholiques, même si elle est parfois valide. »

« La nouvelle messe n’appartient qu’au modernisme. Je garde la messe catholique, traditionnelle, grégorienne parce qu’elle n’appartient pas au modernisme. Le modernisme, c’est le système moderniste : c’est un virus. C’est contagieux, ça se fuit. Un témoignage est absolu. Si je rends témoignage à la messe catholique, il faut que je m’abstienne des autres messes. » 

Mais Paul VI en audience générale disait du nouveau rite : « […] nous devrons bien voir les motifs pour lesquels ce grave changement a été introduit : l’obéissance au Concile, laquelle devient obéissance aux évêques qui interprètent et exécutent ses prescriptions. […] C’est la volonté du Christ, c’est le souffle de l’Esprit-Saint qui appellent l’Église à cette mutation. »

Ces paroles posent donc un grave problème théologique. Après sa Déclaration, le Père Calmel, le premier prêtre français à avoir refusé publiquement le Novus Ordo Missæ, confiait : « Pour ma part, je suis bien en paix, c’est l’heure de tuus sum ego, salvum me fac. Ayant la certitude morale plus que suffisante que Paul VI a rompu avec l’Église, même si le grand nombre ne le voit pas encore, j’ai choisi l’Église du Seigneur et de son Eucharistie. »

Et si Paul VI a rompu avec l’Église, qu’en est-il de celui qui l’a béatifié ?

Un nouveau magistère

« Vatican II est un concile d’un style tout à fait nouveau, étranger à toute notre histoire… Au titre de concile jouissant de l’autorité particulière aux conciles, le Second Concile du Vatican n’a pas eu lieu. » ; « Serait-il imprudent, dès maintenant, de commencer à lever le voile ? À mettre en évidence les preuves du brigandage ? »

Pourtant Jean-Paul II a déclaré : « L’amplitude et la profondeur des enseignements du Concile de Vatican II requièrent un engagement renouvelé pour un approfondissement qui permettra de mettre en lumière la continuité du concile avec la Tradition, spécialement sur des points de doctrine qui, peut-être à cause même de leur nouveauté, n’ont pas encore été bien compris dans certains secteurs de l’Église. »

Ce renouveau qui prétend être un approfondissement est en réalité un magistère infidèle et anathème qui conduit à l’apostasie.

« Alors ils nous disent : – “Vous n’acceptez pas ce concile, vous n’acceptez pas ce magistère…” Eh bien, parce que ce magistère est un magistère infidèle. Si le magistère était fidèle à la Tradition, il n’y aurait pas de problème. […] Un magistère qui a été proclamé et défini pendant des siècles ne peut pas se tromper. Alors nous sommes fidèles à ce magistère et si un magistère nouveau vient dire quelque chose qui est contraire à ce qui a été enseigné primitivement, il est anathème. C’est saint Paul qui le dit, il ne faut pas l’accepter. C’est tout. La question n’est pas difficile. Alors il ne faut pas qu’ils nous accusent d’être contre le magistère de l’Église, quand ils vont contre le magistère des papes, contre le magistère des conciles… Ce n’est pas vrai, c’est le contraire. Nous sommes persécutés parce que nous sommes fidèles au magistère de toujours. »

« Le faux œcuménisme qui est à l’origine de toutes les innovations du concile dans la liturgie, dans les relations nouvelles de l’Église et du monde, dans la conception de l’Église elle-même, conduit l’Église à sa ruine et les catholiques à l’apostasie. […] Rome est sous l’influence de la Maçonnerie ! Rome est sous l’influence des maçons ! C’est sûr, voyez : se réconcilier avec les principes de 89, les principes maçonniques ! C’est ce que disait le Cardinal Ratzinger, il ne s’en cache pas ! Vatican II est un effort pour se réconcilier avec 89. Vous vous rendez compte ? C’est effrayant ! […] Alors, mes chers amis, il faut les voir tels qu’ils sont, il ne faut pas fermer les yeux en disant : – “Je ne veux pas voir ça. C’est trop dur, c’est trop fort, c’est trop épouvantable. C’est épouvantable”, mais si le Bon Dieu le veut, si le Bon Dieu nous met devant ces circonstances, qu’est-ce que nous allons faire ? Nous allons abandonner la foi ? Nous allons nous laisser, comme les autres, partir à la dérive ? Il faut apprendre ce qu’est la crise de l’Église. […] C’est notre foi qui est en jeu. C’est un renversement des valeurs. Ce ne sont plus les valeurs catholiques, on n’enseigne plus les valeurs catholiques. Ce n’est plus chrétien, ce n’est plus catholique. C’est maçonnique, c’est vraiment une révolution à l’intérieur de l’Église. Le diable a fait son coup de maître : il s’est servi de l’Église pour détruire l’Église ! Il s’est servi des autorités de l’Église pour détruire l’Église ! »

Une nouvelle loi 

« À partir de Vatican II, par le moyen de ce concile et par l’obstination du pape à nous l’imposer, c’est une législation révolutionnaire qui a pénétré dans l’Église. Beaucoup plus étouffante que l’abus de pouvoir classique, une telle législation est ainsi conçue et appliquée qu’elle détruit ce qu’elle affirme organiser ou défendre. »

Pourtant Jean-Paul II a déclaré : « Confiant donc dans le secours de la grâce divine, soutenu par l’autorité des saints Apôtres Pierre et Paul, bien conscient de l’acte que je suis en train d’accomplir et en me rendant aux prières des Évêques du monde entier qui ont collaboré avec moi dans un esprit de collégialité, de par l’autorité suprême dont je suis revêtu, cette Constitution étant valide pour l’avenir, je promulgue le présent Code tel qu’il a été mis en ordre et révisé. Et j’ordonne qu’à l’avenir il prenne force de loi pour toute l’Église latine… »

*

Dans une conférence à Turin, Mgr Lefebvre dit vouloir parler « d’une nouveauté très grave : le nouveau code de droit canonique. » Il y affirme selon la saine théologie que « l’Église ne peut rien demander de mauvais pour les fidèles. » Or, dit-il, « quand on lit ce nouveau code de droit canonique, on y découvre une conception entièrement nouvelle de l’Église. » Dans une conférence à Écône, il expliquera « pourquoi, il nous est impossible d’accepter en bloc le droit canon tel qu’il a été édité, parce qu’il est précisément dans la ligne de Vatican II et dans la ligne des réformes de Vatican II. Le pape lui-même le dit. Il est dans cette nouvelle ecclésiologie qui ne correspond pas à l’ecclésiologie traditionnelle et donc qui, indirectement, touche notre foi et risque de nous entraîner, au moins dans un certain nombre de points essentiels du droit, dans des hérésies, favorise l’hérésie, comme la réforme liturgique qui favorise l’hérésie aussi. C’est pour cela que nous refusons la réforme liturgique aussi. Nous voyons bien les gens perdre la foi. […]Ils pensent “protestant” maintenant, ils ne pensent plus “catholique”. »

Ce nouveau droit canon promulgué par Jean-Paul II « est d’une gravité exceptionnelle. » « Comment peut-on dire, maintenant, que depuis Vatican II : il y a une nouvelle ecclésiologie ? » « Maintenant, l’Église s’est tournée vers l’homme […] D’où une nouvelle définition de l’Église ». « C’est une véritable révolution dans l’Église. […] Il y a quelque chose de nouveau dans l’Église » et ce quelque chose de nouveau ce sont « les principes de la maçonnerie. »

Comment concilier ce code maçonnique promulgué par Jean-Paul II et l’affirmation de Mgr Grasser au 1er concile du Vatican :

« C’est pourquoi il n’est pas à craindre que l’Église puisse jamais être induite en erreur par la mauvaise volonté ou par la négligence d’un pape. La protection de Jésus-Christ et l’assistance promise à Pierre sont si puissantes, qu’elles empêcheraient le jugement du pape s’il était erroné ou nuisible à l’Église, et que, si, de fait, le pape rend un décret, ce décret sera infailliblement vrai. »

Comment concilier la protection de Jésus-Christ sur son Église et le nouveau droit qui permet de recevoir les sacrements de pénitence, d’eucharistie et d’extrême-onction de ministres non catholiques (canon 844) et favorise l’hospitalité œcuménique en autorisant les ministres catholiques à donner le sacrement de l’eucharistie à des non-catholiques ? Comment le droit de l’Église peut-il, dans ce nouveau Code, donner une définition fautive du mariage, où n’apparaît plus l’objet précis du contrat matrimonial ni la hiérarchie entre ses fins ?

“Est-ce que l’Église qui est la colonne et le soutien de la vérité et qui manifestement reçoit sans cesse de l’Esprit-Saint l’enseignement de toute vérité, pourrait ordonner, accorder, permettre ce qui tournerait au détriment du salut des âmes, et au mépris et au dommage d’un sacrement institué par le Christ ?” (Grégoire XVI, Quo graviora, 4 octobre 1833)

« Un problème qui nous concerne tous »

« … Il semble à première vue qu’il soit impossible qu’un pape soit hérétique publiquement et formellement. […] Voici un problème qui vous concerne tous, qui ne concerne pas moi seulement. »

*

En 1965, à la veille d’un vote définitif, pour essayer une ultime tentative de barrer la route au schéma conciliaire Nostra Ætate, un « libelle de quatre pages » fut distribué à tous les évêques du concile Vatican II

« Il est précédé de ce titre aussi long que curieux : “Aucun concile ni aucun pape ne peuvent condamner Jésus, l’Église catholique, apostolique et romaine, ses pontifes et les conciles les plus illustres. Or, la déclaration sur les juifs comporte implicitement une telle condamnation, et pour cette éminente raison, doit être rejetée”. Dans le texte on lit ces propos effarants : “Les juifs désirent maintenant pousser l’Église à se condamner tacitement et à se déjuger devant le monde entier. Il est évident que seul un antipape ou un conciliabule (sic) pourrait approuver une déclaration de ce genre. Et c’est ce que pense avec nous un nombre toujours plus grand de catholiques épars dans le monde, lesquels sont décidés à opérer de la manière qui sera maintenant nécessaire pour sauver l’Église d’une pareille ignominie.” »

La situation que nous vivons dans l’Église est en effet inouïe. La révolution conciliaire nous oblige à nous demander si nous ne sommes pas face à des imposteurs. Vatican II et les réformes romaines posent un problème à la conscience catholique sans précédent historique. La triste mémoire d’Alexandre VI (Borgia), qui « est peut-être celui qui a le plus déshonoré le souverain pontificat », parait bien douce en comparaison des pontifes actuels.

« Il fut ambitieux et immoral. Tous les moyens lui furent bons pour arriver à posséder les richesses et les honneurs de l’Église ; il ne considéra jamais son caractère sacré que comme une dignité tout extérieure et ne lui imposant aucun devoir. A l’époque, il est vrai, ces défauts étaient communs à la plupart des grands personnages de l’Église romaine ; autrement, il ne se fût jamais trouvé dans le Sacré-Collège une majorité capable de donner simoniaquement la tiare à un cardinal concubinaire, père de plusieurs enfants naturels ouvertement reconnus. Toutefois, à cause du haut rang où il fut placé, à cause de l’absence presque complète de sens moral qu’il porta dans ses désordres et dans son favoritisme pour les membres de sa famille, à cause enfin de sa persistance dans le vice après son élévation à la papauté, Alexandre VI mérite d’être spécialement flétri. Par contre, pour coupable qu’il fût, il faut se garder d’ajouter foi aux monstruosités romanesques dont on a accablé sa mémoire. […] Les mœurs et la politique mises à part, le gouvernement d’Alexandre fut généralement profitable à l’Église. Ce pape se montra toujours gardien vigilant de la doctrine ; il donna plusieurs Bulles sur des questions de dogme et de culte. Il travailla à la propagation de la foi, spécialement dans le nouveau monde, découvert au début de son pontificat. »

Avec Vatican II, ce ne sont plus la sainteté ou l’orthodoxie de tel ou tel pontife qui sont en jeu, mais celles de l’Église romaine elle-même. Aucun théologien n’a jamais vraiment envisagé cette situation apocalyptique dans laquelle nous vivons : l’apostasie dans l’Église romaine. La théologie a toujours considéré que si un nombre plus ou moins considérable d’évêques pouvait tomber dans l’hérésie et s’enfoncer dans le schisme, l’épiscopat catholique demeurerait, lui, toujours indissolublement uni à son chef en vertu de l’assistance divine (Ubi Petrus, ibi Ecclesia : là où est Pierre, là est l’Église  ; Prima Sedes a nemine judicatur : le premier Siège ne peut être jugé par personne ; Les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle…). On affirmait que supposer le contraire ce serait nier les promesses du Christ et l’office du Saint-Esprit dans l’Église.

« Ce que l’Église romaine tient et enseigne, l’univers chrétien tout entier le croit sans hésitation avec elle. » (Saint Fulgence, De incarnatione et gratia Christi). « L’épouse du Christ ne saurait commettre l’adultère, car elle est incorruptible et chaste. » (Saint Hilaire, Sur la Trinité, Livre 7, n°4)

Au XVe siècle, l’Église qualifia de « scandaleuse et hérétique » la proposition suivante : « Ecclesia urbis Romae errare potest : L’Église de la ville de Rome peut se tromper. » Le Concile de Constance (1415) condamna une proposition attribuée à Jean Hus disant : « Si le pape est mauvais, en particulier s’il est réprouvé, alors, comme l’apôtre Judas, il est le diable, il est voleur et fils de perdition ; il n’est pas le chef de la sainte Église militante, puisqu’il n’en est pas membre. » (Denz. 1220) Saint Jean Capistran († 1456), se faisant l’écho de l’enseignement commun, écrivait : « Tout ce que le pape a lié ou délié, comme souverain pontife, ne peut être lié ou délié par personne ; que ce qu’il a enseigné ou condamné, comme docteur, ne peut être rejeté ou enseigné par personne ; que ce qu’il a décidé, comme docteur, ne peut être attaqué par qui que ce soit… On ne peut, sous aucun prétexte, en appeler de ses décisions… il n’a d’autre juge que Dieu […]. Le pape, fût-il le plus grand des pécheurs, l’Église universelle, l’empereur et le peuple chrétien ne peuvent rien tenter contre lui, ils ne pourraient que demander à Dieu de veiller au salut commun et du pasteur et du troupeau. »

Au XVIe siècle, Léon X condamna cette proposition de Martin Luther : « Si le pape pensait de telle ou telle manière avec une grande partie de l’Église, il ne se tromperait pas ; cependant, ce n’est ni un péché ni une hérésie de penser le contraire, surtout dans une question qui n’est pas nécessaire au salut, jusqu’à ce que le concile universel ait condamné une opinion et approuvé l’autre ».

Malgré ces enseignements et à cause de la rupture opérée par Vatican II et ses réformes, Mgr Lefebvre a cru pouvoir dire : « Si je désobéis au pape, c’est pour garder la foi. » Certains pensent qu’il y a là une contradiction flagrante dans les termes, car le pape est celui qui confirme ses frères dans la foi. De même qu’il est impossible qu’un cercle soit carré, il serait contraire à la foi de prétendre que le pape puisse faillir de façon continuelle et habituelle dans son magistère.

Alors, comment concilier les errances, les défaillances et les trahisons de Vatican II avec la sainteté de l’Église ? Qui sont ces autorités qui ont promulgué la réforme liturgique et le code de 1983 qui favorisent l’hérésie ? Les autorités qui ont posé ces actes possédaient-elles formellement le pouvoir vicarial du Christ ? Une Église qui se limite à durer dans le temps dans sa structure hiérarchique, mais qui altère substantiellement la doctrine révélée (comme l’église byzantine) ne peut pas être la véritable Église du Christ, laquelle est indéfectible.

Face à une telle crise se posent donc nécessairement des questions sur l’Église, le pape et la foi. Le père dominicain Guérard des Lauriers, éminent théologien qui enseigna à l’université du Latran (1964-1970) et fut le principal rédacteur du Bref Examen critique du Novus Ordo Missæ signé par les cardinaux Ottaviani et Bacci, reprocha à Mgr Lefebvre dans les années 70, de « ne pas s’occuper de la question du pape. »

Mgr Lefebvre lui répondit :

« Cher Révérend Père, […] l’unique motif qui me cause quelque appréhension, c’est l’absolu de vos affirmations au sujet du pape et éventuellement du N.O.M. Ma pensée est moins affirmative. J’ai émis et j’émets encore des doutes sur le pape Paul VI. Je me demande en effet comment un pape peut à ce point contribuer à l’auto-démolition de l’Église, mais cela me permet-il d’affirmer qu’il n’est pas pape ? Je n’ose pas le dire d’une manière absolue et définitive. […] Si vous avez l’évidence de la déchéance juridique du pape Paul VI, je comprends votre logique subséquente, mais personnellement j’ai un doute sérieux et non une évidence absolue […]. Dans l’attitude pratique, ce n’est pas l’inexistence du pape qui fonde ma conduite, mais la défense de ma foi catholique […]. Or vous croyez en conscience devoir partir de ce principe qui malheureusement jette le trouble et cause des divisions violentes, ce que je tiens à éviter […]. Voilà en quelques mots ma pensée, qui n’est pas bien loin de la vôtre, mais qui dans la conduite tient davantage compte des réalités aussi bien traditionalistes que progressistes […]. »

A cela, le Père Guérard des Lauriers répondit à son tour, le 7 février 1979 :

« En ce qui concerne le pape Paul VI, je n’ai pas l’évidence de la déchéance juridique, mais j’ai, et il y a, évidence métaphysique et théologale que si la plus haute Autorité de l’Église reprend une doctrine traditionnelle déjà définie, ladite Autorité jouit ipso facto de l’assistance immédiate du Saint Esprit. Et si ladite Autorité fonde une déclaration expressément sur l’autorité de l’Écriture, alors ipso facto elle doit déclarer infailliblement la vérité. Si ce n’est pas évident, daignez me montrer où est la faille. Et si c’est évident, alors l’ »autorité » qui a affirmé une erreur était en fait ontologiquement inapte à exercer l’Autorité. Je n’ai jamais dit que pour autant il y eût déchéance juridique de l’ »autorité ». Paul VI est demeuré pape materialiter[matériellement]. Il ne l’était plus (au moins à partir du 7/12/65) formaliter [formellement] […]. Il est impossible qu’une profanation sacrilège de la vérité se soit ingérée dans l’Église qui est sainte. Déclarer explicitement que Vatican II, en tant que concile, n’est pas d’Église, n’existe pas en tant que concile, est une condition sine qua non pour rétablir l’ordre dans l’Église. Il peut y avoir une interprétation traditionnelle des vérités contenues dans Vatican II. Mais il n’y a aucune interprétation traditionnelle possible de Vatican II en tant que concile. Puisque, très précisément à ce point de vue, Vatican II opère une rupture de la Tradition. Vous précisez que votre conduite est fondée, non sur l’inexistence du pape mais sur la foi catholique… Mais je ne vois pas, dans l’Église catholique romaine, qu’on puisse témoigner en faveur de la foi, sans se situer avec exactitude par rapport au magistère tel qu’il est (ou paraît être) actuellement. L’existence d’un magistère infaillible, et qui affirme de lui-même qu’il est infaillible, cette existence est une condition sine qua non pour exercer la Foi, aussi bien au point de vue théorétique qu’au point de vue pratique. […] C’est « la Vérité qui nous libérera » (Jean 8, 32) ; et elle seule. On ne peut pas résoudre une question qui concerne la vérité par la « coexistence pacifique » dans une « pseudo-charité », ou par le silence qu’impose l’autorité. Cela, c’est le procédé de l’église en déroute, procédé que suscite le « père du mensonge ». […] L’inexistence (relative) du pape (« formaliter ») n’est pas, selon moi, comme vous l’écrivez, un « principe ». C’est l’inéluctable conséquence des faits observés ; et c’est, aussi bien pour témoigner de la Foi que pour administrer dans l’Église les sacrements de la Foi, un indispensable présupposé. Dans la charité de la vérité, veuillez agréer… »

Si la lettre resta sans réponse, sept ans plus tard, soien 1986, Mgr Lefebvre posa publiquement la question du « pape » Jean-Paul II, (et cette question peut aussi légitimement se poser au sujet de celui qui l’a canonisé).

« Je me le demande. Mais il est possible que nous soyons dans l’obligation de croire que ce pape n’est pas pape. Il semble à première vue qu’il soit impossible qu’un pape soit hérétique publiquement et formellement. […] Voici un problème qui vous concerne tous, qui ne concerne pas moi seulement. »

Et dans une conférence aux séminaristes, le 15 avril 1986, Mgr Lefebvre reconnaissait, à la suite du père Guérard, que cette question était bien une question de foi.

« Nous nous trouvons devant des évêques, et même le pape, qui n’obéissent plus à la foi […] alors un pape peut-il être hérétique ? La question se pose nécessairement. […] Faut-il en parler aux fidèles ? […] Moi j’ai dit aux prêtres à Paris, lorsque je les ai réunis, et puis à vous-mêmes, je vous en avais parlé déjà, j’ai dit : “Je pense que, tout doucement, il faut quand même éclairer un peu les fidèles” ! … Je ne dis pas qu’il faille le faire brutalement, et jeter cela en pâture aux fidèles pour les effrayer… Non ! Mais je pense tout de même que c’est une question de foi précisément. Il faut que les fidèles ne perdent pas la foi. Nous avons charge de garder la foi des fidèles, de la protéger. Ils vont perdre la foi… même nos tra-di-tio-na-lis-tes ! Même nos traditionalistes n’auront plus la foi en Notre Seigneur Jésus-Christ. »

La suite de notre discours a pour but de faire un état des lieux théologiques de cette question qui a divisé, et qui divise encore le monde catholique.

La présentation sera dense et pourra paraître déconcertante car les arguments fusent en tous sens et s’entrechoquent… Ceci est pourtant dans l’ordre des choses. On a souvent tendance à croire que le discours théologique devrait être uniforme, que même sur des questions épineuses, les théologiens ont toujours été unanimes pour la simple raison qu’ils étaient tous catholiques. Mais, c’est là une illusion. Pour s’en rendre compte, il suffit de consulter un quelconque article du Dictionnaire de Théologie Catholique. On constate alors une grande diversité d’opinions chez les théologiens, un lent travail de conceptualisation, avec ses écueils et ses originalités, et finalement l’aboutissement à un consensus, par le génie de quelques esprits supérieurs. La mise en lumière de la vérité exige un profond labeur, rendu d’autant plus difficile que l’erreur peut se couvrir de multiples artifices.

Le sujet est donc fort complexe mais il nous conduit au nœud du problème.

Dans le passé, ces disputes théologiques n’ont réellement cessé qu’après une intervention claire et définitive du magistère : l’autorité de l’Église s’est exercée pour mettre fin à telle difficulté ou pour expliciter, avec autorité, le dépôt sacré de la Révélation.

Certes, deux mille ans de magistère ont suffisamment éclairé notre chemin. Mais depuis Vatican II, nous nous trouvons face à une carence magistérielle sans précédent qui nous contraint aujourd’hui d’avancer à tâtons.

Chaque époque a ses propres difficultés. Mais, si les disputes théologiques du passé n’ont pas nui à l’unité des catholiques, les disputes théologiques du présent ne doivent pas non plus nuire à l’unité des catholiques qui luttent pour leur foi.

La lecture de ce discours demande donc qu’on s’applique à écouter des opinions catholiques divergentes, et parfois contradictoires, et qu’on en tire les conclusions qui s’imposent pour notre époque afin que, même au milieu des ténèbres et de la confusion, les catholiques puissent conserver l’unité et garder la paix dans le bon combat de la foi (cf St Paul, II Thimoth., 4, 7).

A suivre.

Abbé Olivier Rioult