Au sujet de notre “lettre ouverte à Mgr Tissier de Mallerais”, un dénommé Titus a posté, le 15 juin 2016, la réflexion suivante sur le blog “Christus vincit” :
« En relisant quelques passages du texte de l’abbé Rioult, je me suis dit qu’il y a tout de même un petit problème. Le début est bon, on ne va pas enlever ce mérite à l’abbé mais il y a tout de même quelque chose d’étonnant à lire sous la plume d’un membre de l’union sacerdotale marcel Lefebvre. L’abbé dit ceci : « Mais au fond, peu importent ces paroles, car nous n’avons pas besoin de Mgr Lefebvre pour discerner ce qui est catholique de ce qui ne l’est pas. » Le fidèle de base que je suis a un peu de mal à comprendre ça tout de même. Les fidèles ont besoin d’entendre la parole d’un évêque quand les choses ne vont plus dans l’Église et c’est peut être pour ça que le site francefidele qui est le site officiel de l’union sacerdotale marcel Lefebvre n’a pas voulu publier cette étude privée. En tout cas de mon côté je le comprends très bien. »
Titus ne se rend certainement pas compte des tenants et aboutissants de ce qu’il a exprimé. Si on lui disait que les antécédents de sa pensée sont sectaires et ses conséquences suicidaires, il ouvrirait grand les yeux en se demandant : « comment peut-on bien voir tout cela dans ce si court billet ? » Et pourtant…
Nous nous proposons maintenant, d’expliquer rapidement les antécédents et les conséquences de ce billet (3), pour ensuite nous étendre un peu plus sur les leçons pour le temps présent (4) qu’il faut en tirer. Ceci sera l’occasion d’attirer l’attention sur l’esprit de parti de la FSSPX que doit éviter à tout prix l’USML.
3. Antécédents et conséquences
Ne pas comprendre qu’un fils de Mgr Lefebvre puisse écrire : « nous n’avons pas besoin de Mgr Lefebvre pour discerner ce qui est catholique de ce qui ne l’est pas », manifeste un manque de bon sens et même de sens catholique. C’est aussi faire injure à l’esprit de Mgr Lefebvre… puisque lui-même nous a mis en garde contre un certain Lefebvrisme.
En effet, dans ses conférences spirituelles, Mgr Lefebvre ne renvoyait jamais à sa personne mais toujours à l’enseignement de l’Église. Il n’était qu’un écho de la Tradition, et non sa voix elle-même.
« Ce n’est pas le séminaire de Mgr Lefebvre, ce n’est pas pour les idées de Monseigneur, ce n’est pas cela, c’est l’Église. Regardez dans les livres, regardez dans l’histoire, regardez dans tous les livres qui sont dans la bibliothèque, regardez si on ne vous enseigne pas les vérités de l’Église ! Vous avez là une bibliothèque, vous pouvez retrouver dans ces livres les vérités qui ont été enseignées pendant vingt siècles dans l’Église. » (Ecône, 07-10-1982)
C’est pourquoi, dans notre ouvrage, “L’Église et l’apostasie”, nous commencions notre chapitre sur le Lefebvrisme par ces deux citations :
« Je n’ai jamais eu la prétention de représenter tous les catholiques fidèles à la Tradition de l’Église. » (Mgr Lefebvre, Lettre aux Amis et Bienfaiteurs n° 9, oct. 1975)
« Nous ne dépendons nullement de Mgr Lefebvre en matière de doctrine, de liturgie, de morale ou de vie chrétienne. Mais nous dépendons de l’enseignement constant et de la pratique ininterrompue de l’Église catholique. » (Abbé Laurençon, Fideliter, n° 119, sept.-oct. 1997)
Mgr Lefebvre n’a jamais considéré sa personne comme l’alpha et l’omega de notre agir sous le fallacieux prétexte d’avoir été notre fondateur ou d’avoir été un des trop rares évêques, avec Mgr de Castro Mayer, à s’opposer publiquement à la révolution conciliaire et à la Rome antichrist…
Faire de Mgr Lefebvre un absolu relève d’une logique sectaire. Et nous nous y refusons.
En ce qui concerne le mystère d’iniquité qui règne sur la Rome actuelle, une « Rome qui n’est plus la Rome catholique », Mgr Lefebvre était très perplexe et n’a jamais vraiment osé conclure : « Pour le moment », « personnellement », il avoue ne pas oser trancher « d’une manière absolue ». D’où sa conclusion pratique : « Alors, est-ce que c’est la personne du pape, est-ce que ce sont les gens qui l’entourent, est-ce que l’Église est infiltrée de francs-maçons ?… Moi, je n’en sais rien, mais les faits sont là. Les faits sont devant nos yeux. Alors, personnellement, j’agis vis-à-vis du pape comme si le pape était le vrai pape… » Mais pour ajouter de suite : « Ma foi, c’est nous qui sommes avec l’Église, c’est nous qui avons la réalité de l’Église […] s’il advient par un mystère insondable que la Providence permet, qu’un pape vienne à se séparer de ses prédécesseurs, et bien il n’agit pas en successeur de Pierre et non seulement nous ne sommes pas contraints de le suivre, mais nous ne devons pas le suivre… » (Conférence du 20-09-1977)
Telle était la position personnelle de Mgr Lefebvre. Mais si, après avoir pris connaissance de la doctrine de l’Église contenue dans les bons livres d’une bonne bibliothèque, un fidèle ou un prêtre a une opinion différente, qui peut le lui reprocher ?
En effet, à moins d’être sectaire, qui peut empêcher un catholique de suivre l’opinion du cardinal Bellarmin pour qui « un pape manifestement hérétique cesse de lui-même d’être le pape et la tête, de la même façon qu’il cesse d’être un chrétien et un membre de l’Église ; et pour cette raison il peut être jugé et puni par l’Église » (Saint Robert Bellarmin, De Rom. pont., livre II, chap. 30) ou celle du cardinal Cajetan : « Si quelqu’un, pour un motif raisonnable, tient pour suspecte la personne du pape et refuse sa présence et même sa juridiction, il ne commet pas le délit de schisme, ni n’importe quel autre, pourvu qu’il soit prêt à accepter le pape s’il n’était pas suspect. » (Cardinal Cajetan (1469-1534) O.P., Commentarium in II-II, 39,1, Cité dans “Catéchisme catholique de la crise dans l’Église”)
Or, François, tout comme l’était Jean-Paul II, est bien plus que suspect… Récemment encore, il tombait sous l’anathème du concile de Trente (Sess. XXIV, 10e canon sur le sacrement du mariage ; voir à ce sujet l’article de La Sapinière).
En voilà assez pour les antécédents sous-jacents du billet de Titus.
Les conséquences, disions-nous, sont suicidaires. En effet, quand on se fonde, même implicitement, sur une logique sectaire, on produit inévitablement et pratiquement une tyrannie dommageable aux hommes et à leur intelligence.
L’esprit de parti est un égoïsme communautaire qui fait préférer le groupe à la Vérité. Pour mieux le saisir, nous avons rappelé l’important épisode de l’histoire ecclésiastique au sujet de la querelle du laxisme qui mettait à nu cet insupportable esprit de parti dans la Compagnie de Jésus.
Certains de ses membres ont bien eu conscience du danger que courait la Société en raison de la fausseté de sa position. Ils étaient les vrais jésuites qui savaient s’opposer à l’école jésuite dans ce qu’elle avait de déviant, et ce malgré le poids de la structure jésuite. Mais que pouvaient ces membres isolés, tel ce Thyrsus Gonzalez, face à cette tyrannie des esprits qui engendre une duplicité coupable chez les chefs (l’exemple des Généraux Aquaviva et Oliva est suffisamment éloquent à ce sujet) et une conformité, tout aussi coupable, chez les subalternes.
En suivant l’esprit de parti, les jésuites ont poursuivi, non l’intérêt commun et les volontés de l’Église, mais avant tout l’intérêt de leur école et les volontés de leur groupe. Et, outre l’offense faite à Dieu, tout cela, plus tard, devait coûter très cher à la Compagnie. Un contemporain de la suppression de la Compagnie de Jésus avait déjà relevé ce vice de « la Société » : celui du « principe dangereux de l’unité de sentiment, et le défaut de liberté dans les esprits » :
« On n’a pas voulu donner atteinte au principe de l’uniformité des sentiments : on n’a pas voulu reculer et se rétracter. Voilà ce qu’opère ce dangereux esprit de parti et la servitude des esprits plus effrayante que celle du corps. » (M. Louis-René de Caradeuc de la Chalotais, 1762)
Voilà où nous conduisaient insensiblement les réflexions de Titus qui désirait voir régner dans l’USML une « uniformité des sentiments », au nom de l’« officiel »… c’est-à-dire par « esprit de parti ». Or cela n’est rien d’autre qu’une « servitude des esprits plus effrayante que celle du corps » et « un membre de l’union sacerdotale marcel Lefebvre » ne peut pas et ne doit pas s’y résoudre.
4. Leçons pour le temps présent…
ou le pourquoi de la déchéance de la FSSPX
Au XXIe siècle, la Fraternité Saint Pie X n’a pas su se préserver de ce funeste esprit de parti qui avait causé la ruine de la Compagnie de Jésus au XVIIIe.
C’est un danger qui guette tout groupe constitué, religieux comme profane. Il est fréquent d’entendre les manifestations de cet esprit : « Notre groupe a raison (sous-entendu toujours)… ; notre parti ne peut pas se tromper (sous-entendu jamais)… ; contester une décision des mères enseignantes est un manque de confiance qui empêche toute collaboration car comment imaginer que nos mères puissent se tromper… ; Notre chef a tort, mais parce qu’il est notre chef nous le soutiendrons… ; critiquer l’attitude de M. le prieur ou des supérieurs de telle Société ne peut être le fait que d’esprits séditieux… », etc. Les exemples ne manquent pas. Et remarquons-le bien, rien dans les constitutions de ces groupes ne justifie cet état d’esprit qui pourtant prédomine chaque jour un peu plus…
En voyant le comportement du P. Oliva, on croirait voir celui de Mgr Fellay : même orgueil clérical, même hypocrisie du chef, même esprit de domination, même double langage ; et chez la masse des jésuites, la majorité des membres de la FSSPX : même lâche résignation et même maudit esprit de parti…
Le fait suivant le prouve amplement.
Une chrétienne de 86 ans qui s’était, depuis plusieurs dizaines d’années, dévouée à la Fraternité Saint Pie X à Perpignan, avait reçu en mars 2015, chez elle, c’est-à-dire dans sa propre maison avec des amis, Mgr Williamson pour entendre la messe et écouter sa conférence sur l’encyclique de Pie XI contre le communisme. Cette vieille dame s’est vu, depuis ce jour-là, refuser la sainte communion par la FSSPX. Pour admettre de nouveau Mme V. à la communion, le prieur exigeait « une lettre d’excuses ». Le supérieur du district de France, alerté, répondit avec « franchise ». Reprochant à Mgr Williamson de « critiquer Mgr Fellay », son « supérieur » et sa « famille religieuse », l’Abbé Bouchacourt n’hésita pas à affirmer : « Je ne saurais l’admettre car j’ai l’esprit de corps. L’ordre du prieur n’allait ni contre la foi (sic), ni contre les mœurs (sic). Il fallait obéir (sic). C’est le rôle du prieur de veiller à l’unité de son troupeau (sic). » L’Abbé Bouchacourt, qui n’est certes pas un grand théologien, venait de prôner l’unité dans l’iniquité par esprit de parti… : « Voilà ce qu’opère ce dangereux esprit de parti et la servitude des esprits plus effrayante que celle du corps. »
L’USML ne doit pas suivre cette voie et doit savoir prendre ses distances avec un Lefebvrisme à la lettre, car la lettre tue ; c’est l’esprit qui fait vivre.
Qui a été le vrai jésuite : le P. Oliva ou le P. Gonzalez ? Au nom de l’amitié, de l’unité, de la piété filiale, de la prudence… on a conseillé au P. Gonzalez de se taire. « Comment oser faire du tort à une Compagnie fondée par un saint ? Le P. Gonzalez ne peut être qu’un fauteur de trouble, un orgueilleux… Il est contre l’Ordre… un peu de bon sens : comment un homme seul peut-il s’opposer à la coutume de tout l’Ordre ? Comment peut-il prétendre que quelque chose de mauvais ait pu être enseigné par d’autres jésuites ou par ses supérieurs ? Etc.… » Tous ces donneurs de leçons ont tout simplement oublié de parler au nom de la vérité !
Et malheureusement, ce maudit esprit de parti caractérise parfaitement la Fraternité Saint Pie X, d’où ce silence choquant de ses membres face aux déviations de leur Société. Mgr de Galarreta en est une parfaite illustration lorsqu’il ose dire en public : « Il est presque impossible que la majorité des Supérieurs de la Fraternité se trompe dans une matière prudentielle. Et si cela par un hasard impossible arrive et bien, tant pis, de toute façon on va faire ce que la majorité pense. » (13 octobre 2012 à Villepreux)
Laissons donc l’école des jésuites, pour nous intéresser à cette autre école théologique : celle des disciples de Mgr Lefebvre que l’on appellera, sans aucune note péjorative, le Lefebvrisme.
Dans cette école Lefebvriste, nous préférons être à la place du P. Gonzalez ou à celle de La Quintinye, et nous laissons volontiers à d’autres celle du P. Oliva et de ses partisans… Or, à l’instar des P. Gonzalez et de La Quintinye, nous considérons que certains propos tenus dans l’école Lefebvriste sont faux ou dangereux et cela même si ils sont soutenus par des amis ou des membres de l’USML.
Prenons un exemple parmi bien d’autres.
Quand Mgr Lefebvre dit : « personnellement, j’agis vis-à-vis du pape comme si le pape était le vrai pape, successeur de Pierre. Il me demande d’aller le voir, je vais le voir… » (20-09-1977) ces propos sont critiquables… Même s’ils sont les propos d’un honnête homme confronté au mystère d’iniquité, quasi seul dans un combat apocalyptique.
Quand Mgr Fellay confie à 30 Giorni lui demandant « – “Et si le Pape vous appelait ?” –“S’il m’appelle, je vais. Tout de suite. Ou plutôt, je cours. C’est certain. Par obéissance. Par obéissance filiale à l’égard du chef de l’Église” », ces propos sont critiquables… En eux-mêmes. Objectivement, et pas seulement subjectivement parce que prononcés par un Supérieur Général subversif et qui use du mensonge et d’une communication manipulatrice.
Quand Mgr Williamson dit dans sa conférence à Post Falls, Idaho, le 1er juin 2014 : « Si, par un quelconque miracle, le pape François m’appelait la semaine prochaine et me disait : “Excellence, vous et moi avons eu des points de vue différents, mais à cette heure-ci je vous autorise à fonder une Société religieuse. Allez de l’avant pour le bien de l’Église.” […] Alors je prendrais le premier vol pour Rome. Je prendrais le premier vol pour Rome ! Mais sans ça, on est dans le pétrin », ces propos sont critiquables… Même s’ils ne sont que l’expression d’une hypothèse toute spéculative, gratuite et sans aucune incidence pratique. La meilleure preuve que ces paroles sont sans fondement, même si elles ont pu avoir ici ou là une incidence psychologique néfaste, c’est le sacre de Mgr Faure, contre la volonté romaine, puis celui de Mgr Thomas d’Aquin qui l’un comme l’autre attendent la conversion de Rome…
Tous ces propos caractéristiques de l’école Lefebvriste sont donc, indépendamment de la qualité et des intentions de la personne qui les profère, des propos critiquables pour la simple et bonne raison que l’on ne répond pas à l’appel d’un hérétique. Au contraire, on le fuit ! Et cela surtout quand on vit le mystère d’iniquité.
C’est d’ailleurs ce qu’a fini par conclure Mgr Lefebvre lui-même en déclarant « inutile de parler » avec les imposteurs romains qui « n’acceptent pas la doctrine de leurs prédécesseurs » ; en dénonçant « l’instauration de cette “Église conciliaire” imbue des principes maçonniques de 1789 » comme « une imposture inspirée par l’Enfer » et au point de faire « un devoir strict pour tout prêtre (et tout fidèle) voulant demeurer catholique de se séparer de cette Église conciliaire, tant qu’elle ne retrouvera pas la tradition du magistère de l’Église et de la foi catholique. » (Itinéraire spirituel)
Il semble donc préférable de laisser la lettre pour adhérer à une pensée plus sûre et mieux fondée sur « les sources de la révélation ». Ce constat a été, un temps, celui d’un théologien de la FSSPX : « La révélation divine ne nous enseigne nulle part que dans “le cas d’hérésie le pape soit soumis au pouvoir de l’Église ni que l’Église ait pouvoir sur lui” ; mais “au contraire il est prévu que l’Église se sépare de lui”, c’est-à-dire qu’elle évite d’entrer en relation avec lui. Ni plus ni moins. » (Abbé J.M. Gleize, Session De Ecclesia, 2009-2010)
Si tel chrétien s’obstine à suivre l’opinion antique et ambiguë de Mgr Lefebvre à ce sujet, malgré son insuffisance et son danger, libre à lui. Mais le chrétien aurait de bien meilleures raisons de suivre l’opinion du cardinal Cajetan, déjà citée : « Si quelqu’un, pour un motif raisonnable, tient pour suspecte la personne du pape et refuse sa présence et même sa juridiction, il ne commet pas le délit de schisme, ni n’importe quel autre, pourvu qu’il soit prêt à accepter le pape s’il n’était pas suspect. »
La cohésion d’une Société ou l’amitié d’un groupe ne doit jamais nous empêcher de rester libres de ne pas suivre, pour de bonnes raisons, telle ou telle opinion de tel ou tel clerc, fût-il évêque.
Si l’évêque est malhonnête, manipulateur ou subversif au point de vouloir nous soumettre aux ennemis de l’Église ou aux modernistes qui usurpent les postes, la mauvaise volonté de ce chef étant évidente, il n’y a plus d’amitié possible : le combat et la rupture sont les seules issues possibles. Mais si l’évêque est de bonne volonté mais qu’il erre parce que influencé par telle école ou imprégné, comme nous le sommes tous, de certains préjugés ou qu’il soit d’une opinion contraire à la nôtre, le différend reste d’ordre intellectuel et la communion et une certaine collaboration restent possible au milieu même d’une disputation. Car avant de rompre la communion, il y a certaines nuances à envisager.
Prenons l’exemple du cardinal Pie. Il a passé une bonne partie de son temps à réfuter et à contredire les catholiques libéraux. Il s’est opposé à Mgr Dupanloup, à Mgr Maret lui écrivant même qu’un de ses ouvrages appelait les plus graves censures théologiques, il s’opposa aussi à Mgr Darboy, etc. Il avait raison contre eux, ils avaient tort contre lui. Et ces différents étaient graves et touchaient la foi. Pourtant, le cardinal Pie n’a pas cru devoir rompre la communion avec ces évêques, ce qui ne l’empêcha point de les contredire publiquement…
Si donc un évêque profère publiquement, une fois ou l’autre, dans telles circonstances, un propos faux au sujet de la messe moderne ou dangereux sur tout autre sujet, il est tout à fait normal qu’un prêtre réagisse publiquement et contredise publiquement les propos de cet évêque.
Quand un évêque aime à citer des révélations privées contestables et contestées, un couvent de religieux dominicains a tout à fait le droit d’écrire contre ces mêmes révélations privées dans leur publication… et cela n’oblige pas ces religieux à rompre leur collaboration amicale avec cet évêque.
La difficulté dans ces disputations est que tel évêque, tel prêtre et tel religieux n’ont que rarement les qualités d’un saint Augustin ou d’un saint Jérôme. Ces deux docteurs se sont plus d’une fois disputés. Dans une lettre, le saint évêque écrivait au saint prêtre : « En exprimant mon opinion, j’étais parfaitement disposé, dans le cas où quelque chose pourrait vous choquer, à recevoir fraternellement tout ce que vous diriez en sens contraire, prêt à me réjouir, soit de votre correction, soit de vos encouragements… » (Lettre C)
Dans sa réponse, saint Jérôme en prend acte et accepte la disputation : « Mais Dieu me garde d’être blessé, si vous parvenez à me démontrer d’une manière certaine que vous avez mieux compris que moi le passage controversé de l’Épître apostolique, ou quelque autre texte sacré. Dieu me garde même de ne pas vous remercier comme d’un précieux avantage, d’avoir été éclairé par vos leçons ou corrigé par vos réprimandes… vous me blesseriez si vous gardiez le silence sur les erreurs que je puis avoir commises, soit dans mes écrits soit dans mes discours. En reprenant en moi ce qui ne serait pas répréhensible, ce n’est pas moi que vous blesseriez, c’est vous-même ; … Il n’est pas impossible, absolument parlant, que votre opinion ne soit pas conforme à la vérité ; l’essentiel est que vous ne fassiez rien qui ne le soit à la charité… Quant aux points mêmes que nous voulons approfondir, si je suis ou me persuade que je suis dans le vrai, quoique vous soyez d’une opinion contraire, j’essaierai de soutenir la mienne autant que le Seigneur m’en donnera le pouvoir, sans vous faire injure… Je ne doute pas que, de votre côté, vous ne demandiez à Dieu la même chose, le triomphe de la vérité dans nos discussions. » (Lettre CXI)
Saint Augustin, qui n’était absolument pas convaincu par les arguments pourtant impressionnants de saint Jérôme, va les réfuter un à un, tout en écrivant : « Si dans la chaleur de la réfutation un mot âpre est lancé, qu’il soit rendu tolérable par la douceur habituelle de notre discours ; trempons-le dans le miel, pour ne point paraître enfoncer le glaive. N’aurions-nous par hasard d’autre moyen d’échapper à ce double travers que d’approuver toujours l’avis du savant avec lequel nous discutons, quoi qu’il puisse dire, et de ne jamais opposer la plus légère résistance, dans le but même de nous éclairer… Pour moi, je le déclare à votre charité, c’est uniquement envers ceux des livres de l’Écriture qui sont appelés canoniques, que je professe cette déférence et ce respect, de croire de la manière la plus invariable que les auteurs de ces livres n’ont commis aucune erreur… Quant aux autres, voici dans quelle disposition je les lis : quelle que soit l’éminence de leur doctrine et de leur sainteté, je ne regarde pas pour cela leur sentiment comme vrai ; ils doivent me convaincre, soit par l’autorité des écrivains canoniques, soit par de solides raisons, qu’ils ne se sont pas éloignés du droit chemin. » (Lettre CXV)
Peut-il donc y avoir un catholique assez insensé pour prétendre que tel évêque qu’il suit, apprécie, vénère… ne commette aucune erreur ? Saint Augustin a écrit tout un livre de rétractations…, saint Alphonse voit son soutien passager à la morale des jésuites comme une tache… Et tel évêque ne pourrait jamais être contredit sous l’incroyable prétexte qu’il faisait partie de ma structure, de mon groupe, de ma famille religieuse ?
La “résistance” a dénoncé et critiqué à juste titre la trahison de Mgr Fellay et de la FSSPX. La “résistance” gardera-t-elle son lucide courage pour supporter les critiques ou pour faire son autocritique ? Il faut l’espérer, car il n’y pas d’autre alternative pour éviter le maudit esprit de parti. Mais les remarques d’un Titus à mon sujet ou d’une Marguerite au sujet de l’abbé Altamira sur “Christus vincit” montre qu’il y a encore du chemin à parcourir pour y arriver.
L’abbé Altamira, le 10 janvier 2016, a écrit une lettre, qui ne fut pas du goût de tous mais dont le fond était assez juste. Il réagissait et contredisait publiquement sur les propos faux ou ambigus d’un évêque. Il nous mettait en garde, nous les membres de l’USML, et nous priait de ne pas « agir comme Mgr Fellay et son groupe ». Nul n’est obligé d’approuver tous les points de cette lettre, bien que la plupart de ses points nous paraissent incontestables, mais nous croyons qu’il avait raison de réprouver « l’intérêt du groupe » qui « compte davantage que la Vérité » avec cette dommageable conséquence que des « prêtres de la Résistance qui refusent » cet intérêt de groupe mal compris seront « mis de côté, isolés, marginalisés ». Il y a là un danger humain qui est aussi vieux que le monde et qui nous guette tous et contre lequel nous protestons.
Or, dans ses commentaires du 11 février 2016, au sujet de l’abbé Altamira, Marguerite prétend que l’abbé est sous influence, qu’il déteste un tel, qu’il méprise tels autres comme « libéraux à ses yeux », qu’il n’a « aucun souci de vérité mais une obsession perpétuelle de trouver la petite bête » et que « c’est la raison pour laquelle il n’est pas besoin d’en dire plus. » Ces réactions sont typiques de l’esprit de parti. Quand quelqu’un écrit une lettre de reproches, la première chose à faire n’est pas de savoir qui influence qui, mais d’examiner les faits. Sont-ils fondés ou non ? Or, c’est ce qu’a omis de faire Marguerite. Elle fait un procès d’intention à quelqu’un qui, comme saint Augustin, nous dit « quelle que soit l’éminence de sa doctrine et de sa sainteté, je ne regarde pas pour cela son sentiment comme vrai ; il doit me convaincre, soit par l’autorité des écrivains canoniques, soit par de solides raisons, qu’il ne s’est pas éloigné du droit chemin. »
Il s’agit maintenant de conclure, car nous avons été déjà trop long. Mais il fallait entrer un peu dans les détails pour la bonne intelligence de nos réflexions. En espérant que nos efforts seront récompensés par une plus grande amitié et un meilleur esprit critique entre combattants catholiques, clercs comme laïcs, nous remercions Titus de nous avoir donné l’occasion d’exposer ces éclaircissements.
Nous laisserons le mot de la fin à I. de Récalde, pseudonyme de l’abbé Paul Boulin (1875-1933). Polémiste et homme de lettres antimoderniste, il fut prêtre du diocèse de Troyes, collaborateur de Louis Veuillot à l’Univers et de l’abbé Barbier à la Critique du libéralisme ; ami de Mgr Begnini, le fondateur de la Sapinière approuvée par Pie X et ami de Mgr Jouin, le directeur de la R.I.S.S. ; il fut aussi le fondateur des éphémères Cahiers anti-judéo-maçonniques trop tôt interrompus par sa mort.
Que ses paroles sacerdotales puissent être entendues de tous nos confrères prêtres quels qu’ils soient, mais plus spécialement ceux de l’USML, comme un avertissement, et ceux de la FSSPX, comme une explication de leur déchéance…
« Après la gloire, très vite, le bel idéal avait dévié. Une·propagation merveilleuse, des services immenses, de belles prouesses enorgueillirent la Société. […] L’esprit de corps, par un mouvement fatal, la pousse aux doctrines singulières, aux méthodes aventureuses d’apostolat, aux situations éminentes, fausses pour elle et périlleuses. Elle accumule sur sa tête les charbons ardents des rancunes, des colères, des jalousies, des susceptibilités les plus légitimes, régulières et séculières, ecclésiastiques et civiles, catholiques et hétérodoxes. Elle encombre, elle écrase. L’histoire religieuse, la meilleure et la pire, est remplie de ses entreprises […]
« Ce n’est pas la fortune que lui avait souhaitée son fondateur ; ce n’est pas la pensée profonde qu’il lui avait léguée. Ce n’est pas même la règle qu’il lui avait faite. Seul un désintéressement surhumain pouvait la sauver de cet excès de bonheur. Et comme à tous les grands Ordres, au cours des âges, une réforme, de jour en jour lui devenait à la fois plus difficile et plus nécessaire ; non pas celle de son Institut, approuvé par l’Église, mais celle, plus radicale encore, de son âme, enflée à la mesure de sa puissance et de ses visées. Ni ses Collèges, ni ses Docteurs, ni ses Confesseurs, ni ses Saints eux-mêmes n’excusent ses politiques d’avoir provoqué la Némesis éternelle qui préside à toute destinée.
« L’heure devait venir, et elle était venue, de payer la rançon de cette insolente grandeur, qui avait fatigué l’univers. La chrétienté presque entière demandait la chute de ce colosse à la tête d’or, aux pieds d’argile. L’impiété grandissante, profitant de toutes les équivoques de son anormale prépondérance, cherchait à mordre ce talon vulnérable de l’immortelle Église. Qu’y pouvait le Pape ? Depuis longtemps, l’instrument de choix, souple et fort, que Saint Ignace croyait avoir mis aux ordres de Pierre, s’était révélé comme une puissance de plus en plus envahissante et indépendante, dont Rome avait perdu le maniement et qui servait seulement contre elle de grief. La Compagnie, ultramontaine par vocation, pour achever de conquérir le cœur des Rois, partout s’était proclamée audacieusement régalienne. En France, en particulier, Louis XIV, n’avait pas eu de plus zélé complice contre Innocent XI […].
« La politique des jésuites, le laxisme des jésuites, le mercantilisme chez les jésuites, la malfaisance ou la stérilité finale de certaines de leurs entreprises d’apostolat les plus éclatantes, la décadence doctrinale et disciplinaire dans tous les domaines de la vie spirituelle où triomphe leur prépondérance, leurs résistances perpétuelles à l’autorité que leur vocation était de promouvoir : autant de procès déjà vidés avec éclat. […] Le Bref Dominus ac Redemptor, loin d’accabler les individus, leur ouvre toutes grandes les portes d’une rentrée honorable dans l’ordre et dans la paix. Il n’a retenu aucun des griefs abominables formulés contre les hommes ; il ne les en a jamais crus coupables. Il y a de bons jésuites, ils peuvent être des saints ; presque tous, par la vertu de la vie religieuse et des communs secours spirituels de l’Église, menaient une vie suffisamment chrétienne. La question n’est pas là. C’est l’Ordre qui a dévié, et dont le crime est d’avoir fait servir justement d’incontestables vertus, d’innombrables dévouements, d’immenses efforts et l’excellence des vœux de religion, à des intérêts de corps, au mouvement plus ou moins réfléchi d’égocentrisme, comme on dit aujourd’hui, d’un organisme aussi puissant. C’est la Compagnie que le Pape supprime, comme convaincue d’impuissance à atteindre sa véritable fin sociale. Il ne voue ses membres ni à la vengeance, ni à la malédiction. » (Clément XIV, Le Bref Dominus ac Redemptor portant suppression de la Compagnie de Jésus par I. de Récalde, Paris, Editions et Librairie, 1920)
Clément XIV avait le droit de châtier, Pie VII avait le droit de restaurer.
Prions pour que nos fautes puissent, elles aussi, être objet de la clémence divine.
Abbé Olivier Rioult,
Ermitage Saint Agobard,
le 29 septembre 2016.