Le Père Thomas Calmel, lors de la retraite pascale prêchée au séminaire d’Écône en 1974, insistait sur l’aspect sacrificiel de notre fidélité en ces temps apocalyptique :
« Ne traînez pas Saint-Pie X aux messes de la nouvelle religion ! Notre position n’est tenable que si nous avons une âme de martyrs. […] Ce n’est pas drôle, mais c’est l’amour de Dieu qui nous demande cela : un témoignage aussi dur, aussi usant, avec tous les faux problèmes d’autorité, d’obéissance. C’est l’amour de Dieu qui a fait les martyrs, les témoins de la foi. Notre témoignage, notre combat à nous, c’est de maintenir le rite fidèle. Être confesseurs de la foi à notre époque, c’est un grand honneur que Dieu nous fait. Quels que soient nos sentiments de relégation, de déréliction, maintenons ! »
Les réflexions qui suivent conforteront ce jugement. Elles sont tirées de celles écrites par le Père M. Demaris, prêtre catholique, professeur de théologie dans la maison des missionnaires de Saint-Joseph à Lyon. Exilé vers 1803, il est mort pour la Foi.
M. Demaris voyant les fidèles menacés de se trouver sans pasteurs, sa charité, quoique enchaîné, lui fit écrire, à leur demande, une règle de conduite intitulée : Consolations pour les fidèles en temps de persécutions, de schismes et d’hérésie.
Or, « l’instauration de cette “Église conciliaire” imbue des principes de 1789, des principes maçonniques envers la religion et les religions, envers la société civile, est une imposture inspirée par l’Enfer pour la destruction de la religion catholique, de son magistère, de son sacerdoce et du sacrifice de Notre-Seigneur. » (Mgr Lefebvre, Itinéraire spirituel, Les perfections de Dieu, 1991)
L’église conciliaire est une imposture et une nouvelle religion qui persécute les catholiques. Lui résister, c’est se retrouver de plus en plus seul, abandonné de tous ceux qui abandonnent le combat par fatigue, respect humain, amour du monde ou par trahison. C’est donc subir un martyr et c’est aussi s’unir à l’agonie du Christ.
Voici maintenant les extraits les plus marquants parmi les règles données par M. Demaris, règles qui seront aussi pour les chrétiens du XXIe siècle une Consolation pour les fidèles en temps de persécutions, de schismes et d’hérésie.
Introduction
Placés au milieu des vicissitudes humaines et du danger, vous demandez une règle de conduite pour les moments pénibles où nous nous trouvons. Je vais vous la montrer : Jésus-Christ, le modèle des chrétiens.
Vous tremblez, mes chers enfants ; tout, ce que vous voyez, tout ce que vous entendez est effrayant, mais consolez-vous : c’est la volonté de Dieu qui s’accomplit. Vos jours sont comptés, Sa providence pèse sur vous. Chérissez ces hommes que l’humanité vous offre comme farouches ; ce sont des instruments que le ciel emploie à Ses desseins et, comme une mer courroucée, ils ne passeront pas la ligne prescrite contre les flots qui se balancent, s’agitent et se menacent.
Le tourbillon orageux de la révolution qui frappe à droite et à gauche ne doit pas nous détourner de nos bonnes œuvres ni flétrir l’éclat de nos vertus, qui vous unissent à Jésus-Christ.
Je sais que vous pouvez être privés de votre liberté, que l’on peut même chercher à vous faire mourir. Je vous dirais donc ce que saint Pierre disait aux premiers fidèles :
« Ce qui est agréable à Dieu est que, dans la vue de Lui plaire, nous endurions les maux et les peines qu’on nous fait souffrir avec injustice : en effet, quel sujet de gloire aurez-vous si c’est par votre faute que vous endurez de mauvais traitements ? Mais si en faisant bien vous les souffrez avec patience, c’est là ce qui est agréable à Dieu, car c’est à quoi vous avez été appelés, puisque Jésus-Christ a souffert pour nous, vous laissant Son exemple, afin que vous marchiez sur Ses traces. Lui qui n’avait commis aucun péché, et de la bouche duquel nulle parole trompeuse n’est jamais sortie, quand on l’a chargé d’injures, Il n’a point répondu par des injures ; quand on L’a maltraité, Il n’a point fait de menaces, mais il s’est livré entre les mains de celui qui Le jugeait injustement. » (I Pet, 2, 19-24).
Les disciples de Jésus-Christ ne doivent point fuir lâchement la persécution : quand on aime la croix, on est hardi à l’embrasser. Elle est nécessaire à notre union intime avec Jésus-Christ. Si Dieu ne vous appelle pas au martyre, vous serez comme ces illustres confesseurs dont saint Cyprien dit : « Que sans être morts par la main du bourreau, ils ont cueilli le mérite du martyre, parce qu’ils y étaient préparés. »
Voilà, mes chers enfants, quelles doivent être vos dispositions : le bouclier de la Foi doit nous armer, l’espérance doit nous soutenir et la charité doit nous diriger en tout. Si en tout et toujours nous devons être simples comme des colombes et prudents comme des serpents, nous devons l’être surtout lorsque nous sommes contristés pour Jésus-Christ. Je vous rappellerai ici une maxime de saint Cyprien qui, dans ces moments, doit être la règle de votre Foi et de votre piété :
« Ne cherchons pas trop l’occasion du combat et ne la fuyons pas trop : attendons-la de l’ordre de Dieu et espérons tout de Sa miséricorde. Dieu demande de nous plutôt une humble confession qu’une protestation trop hardie. L’humilité est toute notre force ».
Aimer Dieu et ne craindre que Lui seul, tel est l’apanage du petit nombre des élus. C’est cet amour et cette crainte qui nous font les martyrs, en détachant les fidèles du monde et les attachant à Dieu et à Sa sainte loi.
Pour soutenir cet amour et cette crainte dans vos cœurs, veillez et priez, augmentez vos bonnes oeuvres et joignez à cela des instructions édifiantes dont les premiers fidèles nous ont donné l’exemple. Vous êtes privés des ministres du Seigneur. Vous paraissez isolés à vous-mêmes, mais cet isolement, aux yeux de la Foi, ne peut-il pas vous être salutaire ? C’est par la Foi que les fidèles sont unis. En approfondissant cette vérité, nous croyons que l’absence du corps ne rompt point cette union, parce qu’elle ne rompt pas les liens de la Foi, mais plutôt qu’elle l’augmente en la dépouillant de toute sensibilité.
Les chrétiens qui ne vivent que de la Foi ne vivent que par la Foi. Si vous fûtes unis par ce lien aux ministres du Seigneur que vous respectez, consolez-vous : leur absence purifie et avive l’amitié qui nous unit quand ils seraient aux extrémités de la terre, ou même que la mort les sépareraient de nous.
La privation des sacrements…
La privation des sacrements et des consolations spirituelles vous alarme.
Quelque légitime que soit votre désolation, n’oubliez pas que Dieu est votre Père et que s’Il permet que vous soyez privés des médiateurs qu’Il avait établis pour dispenser Ses mystères, il ne ferme pas pour cela les canaux de Ses grâces et de Ses miséricordes. Ne cherchons que la vérité et notre salut dans l’abnégation de nous-mêmes, dans notre amour pour Dieu et une parfaite soumission à Sa volonté.
Pour profiter de ces canaux de miséricorde, il faut des ministres du Seigneur. Sans culte, sans autel, sans sacrifice, sans prêtre, que reste-t-il ? Le ciel.
Que faire donc quand nous n’avons plus de médiateur parmi les hommes ? Se tourner vers Jésus-Christ, le médiateur immortel : il voit notre cœur, il entend nos désirs, il couronne notre fidélité ; nous sommes, aux yeux de Sa miséricorde toute-puissante, ce malade de trente-huit ans auquel il dit, pour le guérir, non de faire venir quelqu’un qui le jette dans la piscine, mais de prendre son lit et de marcher…
Si les événements de la vie varient, varient de même nos obligations ; autrefois, nous étions ces serviteurs qui avaient reçu cent talents : nous avions l’exercice paisible de notre religion. Actuellement, nous n’avons qu’un seul talent, qui est notre cœur : faisons le fructifier et notre récompense sera égale à celle que nous aurions reçue si nous en avions fait fructifier davantage. Dieu est juste. Il ne demande pas de nous l’impossible ; mais parce qu’Il est juste, il demande de nous la fidélité dans ce qui est possible.
Pleins de respect pour les lois divines et ecclésiastiques, qui nous appellent au sacrement de pénitence, je dois vous dire qu’il est des circonstances où ces lois n’obligent pas… Dieu n’a besoin que de Lui pour nous sauver, quand il le veut. Il est la source de la vie et il supplée à tous les moyens ordinaires qu’Il a établis pour opérer notre salut, par des moyens que Sa miséricorde nous dispense selon nos besoins.
Si dans le cours de notre vie nous avions négligé le moindre des moyens que Dieu et Son Eglise ont établis pour nous sanctifier, nous aurions été des enfants ingrats ; mais si nous allions croire que dans des circonstances extraordinaires nous ne pouvons nous passer, même des plus grands moyens, nous oublierions et nous insulterions la sagesse divine, qui nous éprouve et qui, en voulant que nous en soyons privés, y supplée par Son esprit.
Pour vous exposer, mes chers enfants, votre règle de conduite avec exactitude, je vais rapprocher de votre situation, les principes de la Foi et quelques exemples de l’histoire de la religion, qui en développeront le sens et vous consoleront dans l’application que vous pourriez en faire.
Il est de Foi que le premier et le plus nécessaire de tous les sacrements est le baptême : il est la porte du salut et de la vie éternelle ; cependant le désir, le vœu du baptême suffit en certaines occasions : les catéchumènes qui étaient surpris par la persécution ne le recevaient que dans le sang qu’ils répandaient pour la religion. Ils trouvaient la grâce de tous les sacrements dans la confession libre de leur Foi et ils étaient incorporés dans l’Eglise par le Saint-Esprit, lien qui unit tous les membres au chef. C’est ainsi que se sont sauvés les martyrs ; leur sang leur a servi de baptême : c’est ainsi que se sauveront tous ceux qui, instruits de nos mystères, désireront (selon leur Foi) de les recevoir. Telle est la Foi de l’Eglise : elle est fondée sur ce que saint Pierre dit : “Qu’on ne peut refuser l’eau du baptême à ceux qui ont reçu le Saint Esprit”.
Quant on a l’esprit de Jésus-Christ, quand, par amour pour Lui, nous sommes exposés à la persécution, privés de tous secours, accablés des chaînes de la captivité, quand on nous conduit à l’échafaud, nous avons alors tous les sacrements dans la croix. Cet instrument de notre rédemption renferme tout ce qui est nécessaire pour notre salut.
La tradition de l’Eglise, dans ses plus beaux siècles, confirme cette vérité dogmatique. Les fidèles qui ont désiré les sacrements, les confesseurs et les martyrs ont été sauvés sans le baptême et sans aucun des sacrements, lorsqu’ils ne pouvaient les recevoir. D’où il est aisé de conclure que nul sacrement n’est nécessaire dès qu’il est impossible de le recevoir : et cette conclusion est la Foi de l’Eglise.
Saint Ambroise regardait le pieux empereur Valentinien comme un saint, quoiqu’il fût mort sans le baptême, qu’il avait désiré, mais qu’il n’avait pu recevoir. C’est le désir, c’est la volonté qui nous sauve : “Dans ce cas, dit ce saint docteur de l’Eglise, celui qui ne reçoit pas le sacrement de la main des hommes, le reçoit de la main de Dieu. Celui qui n’est pas baptisé par les hommes, l’est par la piété, l’est par Jésus-Christ”.
Ce que nous dit du baptême ce grand homme, disons le de tous les sacrements, de toutes les cérémonies et de toutes les prières dans les moments actuels.
Celui qui ne peut se confesser à un prêtre, mais qui, ayant toutes les dispositions nécessaires au sacrement, le désire et en forme le vœu ferme et constant, entend Jésus-Christ, qui, touché et témoin de sa Foi, lui dit ce qu’Il dit autrefois à la femme pécheresse : “Allez, il vous est beaucoup pardonné, parce que vous avez beaucoup aimé”.
Ici, au lieu de raisonnements, écoutons le langage des Saints. Les confesseurs et les martyrs d’Afrique, écrivant à saint Cyprien, disaient hardiment qu’on revenait la conscience pure et nette des tribunaux où on avait confessé le Nom de Jésus-Christ, ils ne disaient pas qu’on y allait avec une conscience pure et nette, mais qu’on en revenait avec une conscience pure.
Même pour la confession ?
Je sens, mes enfants, votre délicatesse et vos scrupules : qu’ils cessent et que votre Foi et votre amour pour la croix augmentent. Dites-vous à vous-mêmes et par votre conduite, dites à tous ceux qui vous verront ce que disait saint Paul : “Qui me séparera de la charité de Jésus-Christ ?” (Rom, VIII, 35) Saint Paul savait que, dépouillé de tout secours humain et privé de tout intermédiaire entre lui et le ciel, il trouverait dans son amour, dans son zèle pour l’Évangile et dans la croix, tous les sacrements et les moyens de salut nécessaires pour y parvenir.
De ce que je viens de dire il vous est aisé de voir une grande vérité, bien propre à vous consoler et à vous donner du courage : c’est que votre conduite est une vraie confession devant Dieu et devant les hommes. Si la confession doit précéder l’absolution, ici votre conduite doit précéder les grâces de sainteté ou de justice que Dieu nous dispense, et c’est une confession publique et continuelle. La confession est nécessaire, dit saint Augustin, parce qu’elle renferme la condamnation du péché, ici nous le condamnons d’une manière si publique et si solennelle qu’elle est connue de toute la terre et cette condamnation, qui est cause que nous ne pouvons approcher d’un prêtre, n’est-elle pas plus méritoire qu’une accusation de péché particulière et faite en secret ? N’est-elle pas plus satisfactoire et plus édifiante ? La confession secrète de nos péchés au prêtre nous coûtait peu et celle que nous faisons aujourd’hui est soutenue par le sacrifice général de nos biens, de notre liberté, de notre repos, de notre réputation et peut-être même de notre vie !
La confession que nous faisons au prêtre n’était guère utile qu’à nous, au lieu que celle que nous faisons à présent est utile à nos frères et peut servir à toute l’Eglise. Dieu nous fait, tout indignes que nous sommes, la grâce de vouloir Se servir de nous pour montrer que c’est un crime énorme d’offenser la vérité et la justice, et notre voix sera d’autant plus intelligible que nous souffrirons de plus grands maux avec plus de patience.
Nous ne confessons pas nos péchés en secret, nous confessons la vérité en public ! … Enfin, si nous ne confessons point nos péchés, l’Eglise les confesse pour nous. … Telles sont les règles admirables de la Providence, qui permet ces épreuves pour nous faire mériter et nous faire réfléchir sérieusement sur l’usage que nous avons fait des sacrements. L’habitude et la facilité que nous avions de nous confesser nous laissait souvent dans la tiédeur, au lieu qu’à présent, privés de confesseur, on se replie sur soi-même et la ferveur augmente.
Regardons cette privation comme un jeûne pour nos âmes et une préparation à recevoir le baptême de la pénitence qui, vivement désiré, deviendra une nourriture plus salutaire. Tâchons d’éloigner de notre conduite, qui est notre confession devant les hommes et notre accusation devant Dieu, tous les défauts qui peuvent s’être glissés dans nos confessions ordinaires, surtout le peu d’humilité intérieure.
Vous trouviez dans la sagesse, la maturité et l’expérience des ministres du Seigneur, des conseils et des pratiques efficaces pour éviter le mal, faire le bien et avancer dans la vertu, tout cela ne tient pas au caractère sacramentel, mais aux lumières particulières ; un ami vertueux, zélé et charitable peut être en ce point votre juge et votre directeur. Les personnes pieuses n’allaient pas seulement chercher au tribunal des instructions et des lumières, elles s’ouvraient aux personnes remarquables par leur sainte vie en des entretiens familiers. Faites de même, mais que la charité la plus directe règne dans ce commerce mutuel de vos âmes et de vos désirs ; Dieu les bénira, et vous trouverez les lumières dont vous avez besoin. Si ce moyen vous était impossible, reposez-vous sur la miséricorde de Dieu. Il ne vous abandonnera pas ; Son esprit parlera lui-même à vos cœurs par des aspirations saintes, qui les enflammeront et les dirigeront vers les objets augustes de vos destinées.
Éloignés des ressources du sanctuaire et privés de tout exercice du sacerdoce, il ne nous reste de médiateur que Jésus-Christ : c’est à Lui que nous devons recourir pour nos besoins ; c’est devant Sa majesté suprême que nous devons déchirer sans ménagement le voile de nos consciences et, dans la recherche du bien et du mal que nous avons fait, Le remercier de Ses grâces, nous reconnaître coupables de nos offenses… et prier ensuite qu’Il nous pardonne et nous trace les sentiers de Sa volonté sainte (ayant dans le cœur le désir sincère de le faire à Son ministre quand et sitôt que nous le pourrons),
Voilà, mes enfants, ce que j’appelle se confesser à Dieu. Dans une telle confession bien faite, Dieu Lui-même vous absoudra ! C’est l’Évangile qui nous l’apprend en nous proposant l’exemple du publicain qui, humilié devant Dieu, s’en retourna justifié, puisque la meilleure marque de l’absolution, c’est la justice qui ne peut être liée puisque c’est elle qui délie. Voilà ce que, dans l’isolement total où nous sommes, nous devons faire. L’Ecriture sainte nous trace, ici, nos devoirs.
Tout ce qui tient à Dieu est saint : quand nous souffrons pour la vérité, nos souffrances sont celles de Jésus-Christ, qui nous honore d’un caractère particulier de ressemblance avec Lui et avec Sa croix. Cette grâce est le plus grand bonheur qui puisse arriver à un mortel pendant sa vie.
C’est ainsi que dans toutes les positions pénibles qui nous privent des sacrements, la croix portée chrétiennement est la source de la rémission de nos fautes ; comme, portée autrefois par Jésus-Christ, elle le fut des fautes de tout le genre humain. Douter de cette vérité, c’est faire injure à notre Sauveur crucifié, c’est ne reconnaître pas assez la vertu et le mérite de la croix ! …
Dites-moi : serait-il possible que le bon larron ait reçu le pardon de ses fautes et que le fidèle qui abandonne tout pour son Dieu n’y reçût pas le pardon des siennes ? … Mais pour être sanctifié par la croix, il ne faut pas être à soi-même, il faut être tout à Dieu ; il faut que notre conduite retrace les vertus de Jésus-Christ : il ne suffit pas, dans ces moments, qu’animés de Son amour, vous vous reposiez sur Son sein comme saint Jean ; il faut que vous Le serviez avec fermeté et constance sur le calvaire et sur la croix ; là, en vous confessant à Dieu, si votre confession à Dieu n’est pas couronnée par l’imposition des mains du prêtre, elle le sera par l’imposition des mains de Jésus-Christ.
Regardons la conduite de nos persécuteurs comme une punition de nos péchés ! … La confession ne doit pas être seulement un remède pour tous les péchés passés ; elle doit être un préservatif pour les péchés à venir. Si nous réfléchissons sérieusement sur cette double efficacité du sacrement de pénitence, nous pourrons avoir beaucoup à nous humilier et à gémir ! Et nous y serons d’autant plus fondés que notre avancement dans la vertu aura été plus lent et que nous serons toujours trouvés les mêmes avant et après nos confessions. Nous pouvons actuellement réparer tous ces défauts, qui venaient d’une trop grande confiance dans l’absolution, et de ce qu’on n’approfondissait pas assez ses plaies ! … C’est une chose digne d’admiration et de reconnaissance de voir que ce que le monde fait pour nous éloigner de Dieu et de Son Église nous en approche davantage.
Obligée maintenant de gémir devant Dieu, l’âme fidèle s’occupe à considérer toutes ses difformités ; là, aux pieds du Sauveur, et pénétrée de la douleur et du repentir, elle y reste dans le silence, ne lui parlant que par ses larmes, comme la pécheresse de l’Évangile, voyant d’un côté ses misères et de l’autre la bonté de Dieu. Elle s’anéantit devant Sa majesté, jusqu’à ce qu’Elle dissipe ses maux par un de ses regards. C’est là que la lumière divine éclaire son cœur contrit et humilié et lui découvre jusqu’aux atomes qui peuvent l’obscurcir. Que cette confession à Dieu soit pour vous une pratique journalière, courte mais vive…
Mais pour l’Eucharistie ?
L’Eucharistie, le sacrement d’amour, avait pour vous bien des douceurs et des avantages quand vous pouviez y participer ; mais maintenant que vous en êtes privés, pour être les défenseurs de la vérité et de la justice, vos avantages sont les mêmes ; car qui aurait osé approcher de cette table si Jésus-Christ ne vous en eût pas fait un précepte et si l’Eglise, qui désire que nous nous fortifiions par ce pain de vie, ne nous eût invités à le manger par la voix de ses ministres qui nous revêtaient de la robe nuptiale ?
Abraham obéit en immolant son fils et en ne l’immolant pas : mais son obéissance fut bien plus grande quand il mit la main à l’épée que quand il remit l’épée dans le fourreau. Nous obéissons en nous approchant de l’Eucharistie ; mais en nous retirant de ce sacrifice, nous nous immolons nous-mêmes. Altérés de la soif de la justice, et nous privant du sang de l’Agneau, qui seul peut l’étancher, nous sacrifions notre propre vie autant qu’il est en nous. Le sacrifice d’Abraham fut d’un instant ; un ange arrêta le glaive ; le nôtre est journalier et se renouvelle toutes les fois que nous adorons avec soumission la main de Dieu qui nous éloigne de Ses autels, et ce sacrifice est volontaire.
C’est être avantageusement privé de l’Eucharistie que d’élever l’étendard de la croix pour la cause de Jésus-Christ et la gloire de Son Eglise. Observez, mes enfants, que Jésus-Christ, après avoir donné Son corps, ne fit aucune difficulté de mourir pour nous. Voilà la conduite du chrétien dans ses persécutions : la croix succède à l’Eucharistie. Que l’amour de l’Eucharistie ne nous éloigne donc pas de la Croix ! C’est montrer et faire un glorieux progrès dans la gloire de l’Évangile que de sortir du cénacle pour monter au Calvaire. Oui, je ne crains pas de le dire, quand l’orage de la malice des hommes gronde contre la vérité et la justice, il est plus avantageux aux fidèles de souffrir pour Jésus-Christ que de participer à Son corps sacré par la communion.
C’est ainsi que nous trouvons l’Eucharistie dans la privation même de l’Eucharistie ; d’un autre côté qui peut nous séparer de Jésus-Christ et de Son Eglise dans la communion, en nous approchant par la Foi de Ses autels d’une manière d’autant plus efficace qu’elle est plus spirituelle et plus éloignée des sens ? C’est ce que j’appelle communier spirituellement, en s’unissant aux fidèles qui peuvent le faire, dans les divers lieux de la terre.
Je vais vous exposer ce que l’Ecriture Sainte et les Annales de l’Eglise m’offrent de réflexions sur la privation de la messe et la nécessité d’un sacrifice continuel pour les fidèles, dans les temps de persécution, et cela brièvement. Donnez, mes enfants, une attention particulière aux principes que je vais rappeler ; ils tiennent à votre édification.
Rien n’arrive sans la volonté de Dieu : que nous ayons un culte qui nous permette d’assister à la messe ou que nous en soyons privés, nous devons être également soumis à Sa volonté sainte et, dans toutes les circonstances, soyons dignes du Dieu que nous servons !
Comme enfants de Dieu, selon le témoignage de saint Pierre et de saint Jean, nous participons au sacerdoce de Jésus-Christ pour offrir des prières et des vœux ; si nous n’avons pas le caractère de l’ordre pour sacrifier sur les autels visibles, nous ne sommes pas sans hosties, puisque nous pouvons l’offrir dans le culte de notre amour en sacrifiant nous-mêmes Jésus-Christ à Son Père sur l’autel visible de nos cœurs. Fidèles à ce principe, nous recueillerons toutes les grâces que nous aurions pu recueillir si nous eussions assisté au saint sacrifice de la messe. La charité nous unit à tous les fidèles de l’univers qui offrent ce divin sacrifice ou qui y assistent. Si l’autel matériel ou les espèces sensibles nous manquent, il n’y en a pas non plus dans le ciel, où Jésus-Christ est offert de la manière la plus parfaite. …
Quand nous sommes vrais dans nos paroles, justes dans nos actions, soumis à Dieu dans nos désirs et nos pensées, en ne parlant que par Lui seul, en Le louant de Ses dons et en nous humiliant de nos infidélités, nous offrons un sacrifice agréable à Dieu, qui ne peut nous être ôté : “Le sacrifice que Dieu demande est un esprit pénétré de douleur”, dit le saint roi David, “vous ne mépriserez pas, ô mon Dieu, un coeur contrit et humilié” (Ps. 50).
Et l’extrême-onction ?
Lorsque vous portez vos regards sur l’avenir, que vous vous voyez dans votre agonie, sans victime, sans extrême-onction et sans aucune assistance de la part des ministres du Seigneur, vous vous regardez comme dans l’abandon le plus triste et le plus affligeant !
Consolez-vous, mes enfants, dans la confiance que vous devez à Dieu ; ce père tendre répandra sur vous Ses grâces, Ses bénédictions et Ses miséricordes, dans ces moments terribles que vous redoutez, avec plus d’abondance que si vous pouviez être assistés par Ses ministres, dont vous n’êtes privés que parce que vous n’avez pas voulu L’abandonner Lui-même.
L’abandon et le délaissement où nous redoutons de nous trouver ressemble à celui du Sauveur sur la croix, lorsqu’Il disait à son Père : “Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ?” Ah ! Que ces paroles sont instructives : vos peines et vos délaissements vous conduisent à vos glorieuses destinées en terminant votre carrière comme Jésus-Christ termina la Sienne. Jésus, dans les souffrances, dans Son abandon et Sa mort, était dans l’union la plus intime avec Son Père. Dans vos peines et vos délaissements, soyez-Lui de même unis, et que votre dernier soupir soit comme le Sien : que la volonté de Dieu s’accomplisse.
Jésus-Christ fut crucifié par les mains de Ses ennemis, Il est traité comme un voleur et meurt entre les deux larrons ! Il était la sagesse même, Il passe pour un insensé ; Il était la vérité, et Il passe pour un fourbe et un séducteur ! Les pharisiens et les scribes ont triomphé de Lui et en Sa présence ! Enfin, ils se sont rassasiés de Son sang ! Jésus-Christ est mort dans l’infamie du supplice le plus honteux et dans les douleurs les plus sensibles ! Chrétiens, si votre agonie et votre mort sont à vos ennemis une occasion de vous insulter et de vous traiter avec opprobre, quelle fut celle de Jésus-Christ ?
Que le fidèle ne s’étonne donc pas de se trouver sans prêtre à se dernière heure. Jésus-Christ fait des reproches à Ses apôtres de ce qu’ils dormaient, mais Il ne leur en fait point de ce qu’ils Le laissent sans consolation, pour nous apprendre que, si nous entrons dans le Jardin des Oliviers, si nous montons au Calvaire, si nous expirons seuls et sans secours humains, Dieu veille sur nous, nous console et suffit à tous nos besoins. Fidèles qui craignez les suites du moment actuel, portez vos regards sur Jésus : fixez-Le, contemplez-Le, Il est votre modèle ; je n’ai rien de plus à vous dire sur ce sujet.
Après l’avoir contemplé, craindrez-vous encore la privation des prières et des cérémonies que l’Eglise a établies pour honorer votre agonie, votre mort et votre sépulcre ?
Saint Ignace, martyr, qui avait tant d’ardeur pour être dévoré par les bêtes, ne préféra-t-il pas les avoir pour sépulcre au plus beau mausolée ? Les premiers chrétiens, que l’on livrait aux bourreaux, se sont-ils jamais mis en peine de leur agonie et de leur sépulcre ? Tous étaient sans inquiétude de ce qu’on ferait de leur corps. Oui, mes enfants, quand on se fie à Jésus-Christ pendant la vie, on se fie bien à Lui après sa mort.
Adorons la profondeur de Ses jugements
Voilà, mes enfants, ce que j’ai cru devoir vous dire : je le crois suffisant pour répondre à vos demandes et tranquilliser votre piété… Craignez seulement que Dieu ne vous reproche votre peu de Foi et de n’avoir pu veiller une heure avec Lui. Je vous avouerai cependant que l’humanité peut s’affliger, mais, en vous faisant cet aveu, je dirai que la Foi doit se réjouir.
Dans Sa vie mortelle, Il guérissait les corps ; actuellement, Il guérit les âmes et complète par la tribulation le petit nombre des élus.
Quels que soient les desseins de Dieu sur nous, adorons la profondeur de Ses jugements et mettons en Lui toute notre confiance. S’Il veut nous délivrer, le moment est proche. Tous s’élèvent contre nous : nos amis nous oppriment, nos parents nous traitent en étrangers ! …
L’univers est l’ouvrage de Dieu ; Il le régit, et tout ce qui arrive est dans les desseins de Sa Providence. Quand nous croyons que la désertion va être générale, nous oublions qu’il suffit d’un peu de Foi pour rendre la Foi à la famille de Jésus-Christ, comme un peu de levain fait fermenter toute la pâte.
Ces événements extraordinaires, où la multitude lève la hache pour saper l’ouvrage de Dieu, servent merveilleusement à manifester Sa toute-puissance. …
Ne nous étonnons donc pas du grand nombre de ceux qui Le quittent ; la vérité triomphe, quelque petit que soit le nombre de ceux qui L’aiment et Lui restent attachés. Pour moi, je ne forme qu’un vœu : Comme enfant de l’Église, je souhaite la paix de l’Église ; comme soldat de Jésus-Christ, je souhaite de mourir sous Ses étendards.
Si vous avez les ouvrages de saint Cyprien, lisez-les, mes chers enfants, c’est surtout aux premiers siècles de l’Église qu’il faut remonter pour trouver des exemples dignes de nous servir de modèles. C’est dans les livres saints et dans ceux des premiers défenseurs de la Foi qu’il faut se former une idée précise de l’objet du martyre et de la confession du Nom de Jésus-Christ : c’est la vérité et la justice, ce sont les objets augustes, éternels, immuables de la Foi qu’il faut confesser. C’est l’Évangile, car les instructions humaines, quelles qu’elles soient, sont variables et temporelles ; mais l’Évangile et la loi de Dieu tiennent à l’éternité. C’est en méditant cette distinction que vous verrez clairement ce qui est à Dieu et ce qui est à César, car, à l’exemple de Jésus-Christ, vous devez rendre avec respect, à l’un et à l’autre, ce que vous leur devez. …
Notre espérance est fondée ; elle nous montre ou la persécution qui finit ou la persécution qui nous couronne. Dans l’alternative de l’une ou de l’autre, je vois l’accomplissement de notre destinée. Que la volonté de Dieu soit faite, puisque de quelque manière qu’Il nous délivre, Ses miséricordes éternelles se répandent sur nous.
Je finis, mes chers enfants, en vous embrassant et en priant Dieu pour vous ; priez Le pour moi et recevez ma bénédiction paternelle, comme le gage de ma tendresse envers vous, de ma Foi et de ma résignation sincère à n’avoir pas d’autre volonté que celle de Dieu.