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« Les Juifs secrets sont pires et plus dangereux que les autres… Ne te fie jamais à quelque Juif que ce soit, encore qu’il te semble être ami. » (R. P. Philippe de la Très-Sainte-Trinité, Voyage d’Orient, Livre VI, ch. 8.)

par | Avr 8, 2022 | Abbé Rioult

Avant de citer un extrait de l’œuvre de R. P. Philippe de la Très-Sainte-Trinité (1603-1671), donnons quelques brefs repères chronologiques.

Esprit Julien, celui qui sera un des religieux les plus en vue du Carmel thérésien au XVIIe siècle, naquit, en 1603, dans le Comtat Venaissin, alors appartenant aux États pontificaux (aujourd’hui département du Vaucluse). Aîné d’une famille catholique, il fit ses études aux collèges des Pères Jésuites à Avignon et Carpentras. Il revêtit l’habit du Carmel réformé au couvent de Lyon en 1620, et reçut le nom de Philippe de la Très-Sainte-Trinité. Il émit ses vœux de religion le 8 septembre 1621, âgé de 18 ans. Ayant achevé son second noviciat, il fut envoyé à Paris en 1622 pour y étudier successivement la philosophie et la théologie. En 1626, ses supérieurs l’envoyèrent à Rome pour se préparer à la vie missionnaire. Le 8 février 1629, le Pape Urbain VIII l’envoie en Perse en compagnie des PP. Épiphane de St-Jean-Baptiste et Ignace de Jésus.

Après un long voyage en bateau, à cheval ou à dos de chameau, il arrive le 15 juillet 1630 au couvent de Bassora. Là, il reçoit l’ordre d’aller enseigner la philosophie à Goa. Parti début octobre 1631, il parvient fin novembre au couvent de Goa, et y restera huit ans. En 1639, il retourne en Europe pour porter devant les SS. Congrégations de la Propagande et des Rites le procès du martyre du P. Denys de la Nativité et de son compagnon le Fr. Rédempt de la Croix. En route, il en profite pour visiter quelques lieux de la Terre Sainte, entre autres Nazareth, le mont Thabor et le mont Carmel… Arrivé à Marseille vers la fin de février 1641, il se rendit sans tarder à Rome pour y travailler à la cause de béatification des deux martyrs Carmes déchaussés. De retour au couvent de Marseille, il fut presque aussitôt nommé lecteur de théologie à Lyon. C’est là qu’il commença la rédaction de ses nombreux ouvrages.

A partir du chapitre provincial de 1643, il remplit, presque sans interruption, des charges de supérieur soit dans sa province d’Avignon, soit à la maison généralice, pour finir Préposé Général de 1665 jusqu’à sa mort qui survint à peine deux mois avant la fin de son généralat en 1671.

De nature « rude et austère », il s’efforça constamment à la pratique des vertus et exigea de ses religieux des efforts continuels. En formation, il n’« étudiait pas tant les sciences profanes… que la science des Saints », « il ne s’attachait pas si fort à la science qu’à la pratique de la vertu n’omettant rien de ce que sa règle et les constitutions prescrivent et même étant très fidèle aux moindres coutumes. » Ces contemporains le décrivent comme vivant continuellement en présence de Dieu. Son oraison « était aussi continuelle et jamais [il] n’ouvrait ses livres pour étudier qu’il n’eut devant ses yeux son crucifix; c’est de là qu’il a puisé toutes les lumières dont il a fait participant le public par le moyen de ses livres ».

Nous ne parlerons pas aujourd’hui de son Commentaire de la Somme théologique de Saint Thomas (1650), ni de sa Somme de la théologie mystique (1656), ni de son Histoire de l’ordre carmélitain, ni de sa Chronologie générale du monde, ni de son Traité de la pénitence (1663), ni de son Apologie de l’ordre du Carmel (1665), ni de ses autres ouvrages mais nous voulons simplement extraire un chapitre d’un de ses livres pour lequel il est le plus connu encore de nos jours : Voyage d’Orient (1649). Il s’agit du chapitre 8, au Livre VIe, (pages 357-360 de l’édition de 1669) :

Des Juifs orientaux

L’on trouve des Juifs répandus par tout l’Orient, en nulle part maîtres, partout serviteurs, et non moins persécutés en Orient qu’en Occident ; afin qu’en punition du plus grand sacrilège qui ait été jamais commis par eux au cruel crucifiement de notre Seigneur Jésus-Christ, les prédictions des saints prophètes fussent accomplies, par lesquelles ils auraient été menacés, qu’ils seraient chassés du royaume de Judée, qu’ils seraient dispersés par tout le monde, qu’ils seraient sans roi, sans temple et sans sacrifice, et qu’ils endureraient quantité d’incommodités et de maux ; ce que nous voyons entièrement accompli en eux, puisqu’ils sont fort rares dans la Palestine, qu’à peine y en trouve-t-on, si ce n’est dans Hébron et dans Sephet, qu’ils sont comme étrangers et pèlerins parmi toutes les nations, et servent à tous de sujet de moquerie et de risée ; de sorte qu’il semble que toutes les créatures aient conspiré contre eux.

Les Juifs sont connus de tout le monde, et tout ce qu’ils devaient observer est exprimé dans l’Écriture sainte. Tous errent à présent, en ce qu’ils attendent le Messie futur, s’imaginant qu’il n’est pas encore venu ; c’est pourquoi ils observent encore les préceptes cérémonieux qui le prédisent. Il y a trois causes principales de cette erreur : la première est qu’ils interprètent à la lettre tous les passages de l’Écriture qui parlent du Messie, quoiqu’il y en ait plusieurs qui doivent être entendus mystiquement ; la deuxième est qu’ils confondent l’une et l’autre venue du Sauveur, si bien que ne voyant pas encore accompli ce qui se dit de la dernière, qui doit être glorieuse, ils nient la première qui a été humble ; enfin la troisième est leur malicieuse obstination et la haine pour ainsi dire, originelle qu’ils portent à Jésus-Christ ; car encore que l’on conclut évidemment des prophètes, que toutes les choses qui ont été promises du Messie sont accomplies en Jésus-Christ, ce que Pilate même remarqua, comme il parut dans la lettre qu’il écrivit à l’empereur Tibère, leur obstination néanmoins rejette tout cela, leur haine le pervertit, et leur rage en est venue à tel point, qu’il n’en a pas manqué d’assez méchants, pour dire qu’ils sont affligés de perpétuelles peines, pour ce qu’un d’entre eux (Jésus-Christ) s’est fait Dieu. Mais la fureur les aveugle si fort, qu’ils ne voient pas qu’ils seraient plutôt dignes de récompense que de châtiment ; puisque par un pur zèle de l’honneur divin, comme ils se l’imaginent, ils lui ont fait souffrir si cruellement le supplice de la Croix. D’où vient qu’il ne faut pas s’enorgueillir si les théologiens enseignent communément avec l’angélique docteur Saint Thomas, que la pieuse affection est nécessaire pour croire ; étant très vraie que la pieuse affection explique tout en bonne part, comme la haine ne donne que de sinistres interprétations aux meilleures choses.

Il y en a plusieurs qui demeurent en toute la Syrie, et surtout aux villes où le trafic est en vogue. En Alep ils se distinguent aisément des autres, portant une longue veste violette ou bleue, avec un bonnet de même couleur plus étroit à la cime. J’ai vu leur synagogue en la ville d’Anne au milieu de l’Arabie déserte. J’en ai vu aussi en l’Arabie heureuse dans les villes de Bassora et de Mascate, où j’ai ouï dire qu’ils vivaient de sauterelles frites. J’en ai vu en Perse dans la ville de Lara et bien d’autres. Enfin j’en ai vu presque en tous les pays où j’ai passé. De telle sorte que cette engeance de vipères, pour me servir des paroles du saint précurseur de Jésus-Christ, se trouve partout ; et ceux-ci sont les connus et judaïsent ouvertement.

Les Juifs secrets sont en très grand nombre aux Indes cachés parmi les Portugais, et par ce moyen sont pires et plus dangereux que les autres. Les Portugais disent que les Juifs chassés de l’Espagne se retirent au royaume de Portugal, et comme on ne leur permettait pas de judaïser publiquement, ils feignirent de se faire Chrétiens et vouloir être baptisés : mais les hypocrites et les séducteurs qu’ils sont, ils professent extérieurement la loi chrétienne et sont intérieurement des loups ravissants qui persécutent Jésus-Christ à la sourdine, enseignent à leur enfants la loi judaïque, et sont ainsi parvenus jusqu’à notre temps par une succession héréditaire. Ils sont connus des Portugais, et sont appelés communément Nouveaux Chrétiens, et par moquerie Chevaliers du mont Calvaire. Mais hélas ils nuisent plus étant cachés que s’ils étaient connus ; car après avoir été baptisés, étant tenus au nombre des chrétiens, il leur est permis de se marier avec des personnes vraiment chrétiennes, et comme tout obéit à l’argent les plus nobles même s’y mêlent. En suite de quoi les enfants qui naissent de ces mariages, soit que le seul père ou la seule mère soit tant soit peu infecté de sang juif, sont en cela pire que leurs parents. De sorte qu’en eux cette maxime de logique est très véritable : Que la conclusion suit toujours la partie la plus faible et la pire, et que si la vigilance de la sacrée Inquisition ne s’y opposait, en brûlant tous les ans plusieurs de ces misérables, cette peste se glisserait dans tous.

Celui qui aura assisté aux actes publics de la sacrée Inquisition, connaîtra combien grande est la haine qu’ils ont pour les Chrétiens. C’est là que l’on entend comme quoi des curés, qui auraient été tirés de parmi eux, n’ont jamais administré les Sacrements mais ont méchamment abusé ceux qui les recevaient. C’est là que l’on entend comme quoi les médecins ont tué les malades avec des remèdes empoisonnés : et pour tout dire en peu de paroles, c’est là qu’on entend, qu’il y en a quelques-uns qui ne passent pas un jour sans apporter quelque dommage aux Chrétiens, croyant qu’ils font en cela un grand service à Dieu. Je pourrais apporter sur ce sujet une infinité presque d’exemples, mais que celui-ci suffit pour tous.

J’ai lu dans un certain livre écrit en portugais, que lorsque les Juifs chassés d’Espagne se retiraient au Portugal, l’un d’eux pria un sien ami Chrétien de l’accompagner, pour sa sûreté, jusqu’aux confins de Castille. Le Chrétien lui rendit ce témoignage et ce devoir d’amitié, et lorsqu’ils furent sur le point de se séparer et que le Juif disait adieu à son ami, il conclut en ces termes : « Tu sais combien étroite a été notre amitié, tu sais que nous nous tenions tous deux comme frères. Or sache à présent que lorsque je te donnais de plus grands signes de bienveillance et d’amour, je te portais en mon cœur une haine mortelle. La vérité me force de te faire cette déclaration ; et en récompense de tant de bienfaits que j’ai reçus de toi, je te donne ce seul avis en ce moment que nous allons nous séparer. Ne te fie jamais à quelque Juif que ce soit, encore qu’il te semble être ami. » Ensuite de quoi lui ayant dit le dernier adieu, il s’en alla.

(Fin du chapitre 8)