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3) Amour de la vérité et haine de l’erreur chez divers auteurs catholiques

par | Avr 22, 2013 | Amour de la Vérité

Père Faber

Père Faber

« Suivant le jugement du monde et celui des chrétiens mondains, cette haine de l’hérésie, est exagération, aigreur, indiscrétion, elle est immodérée, déraisonnable, exigeante, bigote, intolérante, étroite, stupide, immorale. Que pouvons-nous dire pour la défendre ? Rien qu’ils puissent comprendre. […] L’opinion doucereuse de certaines bonnes gens sans discernement spirituel adopte aussi les vues du monde, et nous condamne ; car la timide bonté a une assurance et un semblant de douceur qui sont loin de Dieu, […] On ne peut guère, en jouissant du plein usage de ses sens, s’attacher à prouver au monde, à l’ennemi de Dieu, qu’une haine complète et catholique de l’hérésie est le fait d’un esprit droit. Nous pourrions aussi bien chercher à forcer un aveugle à juger d’une question de couleurs. L’amour divin nous place dans un cercle différent de vie, de motifs, de principes, qui non seulement n’est pas celui du monde, mais qui est en inimitié directe avec lui » (Père Faber, Le Pied de la Croix).

Ernest Hello

Ernest Hello

Ernest Hello a aussi des pages sublimes sur le sujet qui nous occupe.

« Quiconque aime la vérité déteste l’erreur. […] cette détestation de l’erreur est la pierre de touche à laquelle se reconnaît l’amour de la vérité. Si vous n’aimez pas la vérité, vous pouvez jusqu’à un certain point dire que vous l’aimez et même le faire croire : mais soyez sûr qu’en ce cas vous manquerez d’horreur pour ce qui est faux, et à ce signe on reconnaîtra que vous n’aimez pas la vérité. Quand un homme qui aimait la vérité cesse de l’aimer, il ne commence pas par déclarer sa défection ; il commence par moins détester l’erreur. C’est par là qu’il se trahit. » (Ernest Hello, L’homme, 40ème éd., Perrin, 1941, p. 214-215).

La charité étant une chose sublime et la réalité par excellence, l’abus de la charité et le mauvais usage de son nom seront la pire des choses.

« On tourne le nom de la charité contre la lumière, toutes les fois qu’au lieu d’écraser l’erreur, on pactise avec elle, sous prétexte de ménager les hommes. On tourne le nom de la charité contre la lumière, toutes les fois qu’on se sert d’elle pour faiblir dans l’exécration du mal. En général, l’homme aime à faiblir. La défaillance a quelque chose d’agréable pour la nature déchue ; de plus, l’absence d’horreur pour l’erreur, pour le mal, pour l’enfer, pour le démon, cette absence semble devenir une excuse pour le mal qu’on porte en soi. Quand on déteste moins le mal en l’autre, on se prépare peut-être un moyen de s’excuser celui qu’on caresse dans son âme. […] La charité, l’amour envers Dieu exige, suppose, implique, ordonne la haine envers l’ennemi de Dieu. Dans l’ordre humain, l’amitié ne se mesure pas si bien à la vivacité de la tendresse qu’à la sympathie vis-à-vis de la souffrance. […] Si votre ami est victime, dans sa personne ou dans son honneur, d’un accident, d’un attentat quelconque et que vous sentiez faiblement son mal, vous n’êtes plus son ami. […] La mesure de l’amour est dans l’exécration qu’on a pour la chose ennemie de l’ami. […] Celui qui transige avec l’erreur, celui-là ne connaît pas l’amour dans sa plénitude et dans sa force souveraine.

« Après une longue guerre, quand on n’en peut plus, on a souvent vu les rois, lassés de combattre, se céder les uns aux autres telle ou telle place forte. Ce sont là des concessions qui fournissent les moyens d’en finir avec le canon. Mais on ne traite pas les vérités comme on traite les places fortes. Quand il s’agit de faire la paix, en esprit et en vérité, c’est la conversion qu’il faut et non l’accommodement. […] La paix apparente est aussi contraire à la charité qu’à la justice, car elle creuse un abîme là où il y avait un fossé. La charité veut toujours la lumière, et la lumière évite jusqu’à l’ombre d’un compromis. Toute beauté est une plénitude. […] Que dirait-on d’un médecin qui, par charité, ménagerait la maladie de son client ? […] C’est le crime du dix neuvième siècle que de ne pas haïr le mal, et de lui faire des propositions. Il n’y a qu’une proposition à lui faire, c’est de disparaître. Tout arrangement conclu avec lui ressemble non pas même à son triomphe partiel, mais à son triomphe complet, car le mal ne demande pas toujours à chasser le bien ; il demande la permission de cohabiter avec lui. Un instinct secret l’avertit qu’en demandant quelque chose, il demande tout. » (Ernest Hello, L’homme, p. 80-85).

L’abbé Berto, théologien de Mgr Lefebvre au concile, répondait aux accusations de « rudesse du ton peu charitable » qu’il aurait utilisée dans un de ses articles :

Abbé Berto

Abbé Berto

« Sur ce point, je ne vous concède rien. Si la charité est ce que vous dites, il faut déchirer des pages entières de l’Évangile, depuis la paille et la poutre des « hypocrites », jusqu’à la clef de la science que les ‘’conducteurs d’aveugles et d’insensés’’ gardent dans leur poche, pour finir par ‘’race de vipères’’. Ou bien avez-vous deux poids et deux mesures ? […] Vous vous scandalisez de rencontrer de l’invective dans une publication qui s’intitule catholique[1]. C’est tout simplement que l’invective est catholique, à preuve l’Évangile, à preuve non seulement les onze volumes de saint Jérôme dans Migne, mais cent autres tomes de la Patrologie. Elle n’est donc pas d’elle-même et dans tous les cas, contraire à la charité. […] Vraiment « l’Évangile ne parle que de charité » ? À merveille, et j’en demeure d’accord ; pourtant il contient des invectives, donc les invectives ne sont pas, de soi, contraires à la charité de l’Évangile. Et quant à une charité qui ne serait pas celle de l’Évangile, je me moque bien d’en manquer.

« Je maintiens donc absolument mon droit à l’invective ; je repousse absolument le reproche de charité, fondé sur le seul usage de l’invective ; je dis que ce reproche procède d’une erreur sur la nature même de la charité. On peut certes manquer de charité dans l’invective, et j’ai pu avoir ce malheur ; mais on peut aussi manquer de charité dans la douceur, et condamner l’invective au nom de la charité, n’est pas selon la charité telle que l’Évangile du très doux et du très terrible Seigneur Jésus nous en livre la notion et nous en montre la pratique.

[…] Interdire au prêtre, parce qu’il est prêtre, l’invective, c’est accepter une image conventionnelle et artificielle du prêtre, qui a son origine ailleurs que dans l’Évangile et dans l’Église, étant l’image mondaine du prêtre ou plutôt sa caricature, bénisseuse, onctueuse, efféminée. Je ne veux pas ressembler à cette caricature dégradante ; je veux garder, à portée de ma main, le fouet dont s’est servi le souverain prêtre, seul vrai modèle des prêtres ministériels. J’ai pu user peu charitablement de ce fouet charitable, peu évangéliquement de ce fouet évangélique, peu sacerdotalement de ce fouet sacerdotal : mais il est charitable, mais il est évangélique, il est sacerdotal […]. Il est vrai, ce sont des prêtres, des religieux que je rencontre parfois sur mon chemin. Mais s’ils font une oeuvre néfaste, la charité me commande-t-elle de la laisser accomplir, parce qu’ils sont prêtres et religieux ? Elle me commande au contraire d’empêcher que leur caractère ne protège leurs entreprises. […] la charité qui m’oblige à les aimer comme mon prochain, me fait un devoir de les haïr, ‘’perfecto odio’’, comme publicistes, si leur théologie est inexacte, si leur pastorale est funeste, si leur style est ridicule, si leur jugement est faux, si leur goût est sophistiqué, s’ils ratiocinent contre le bon sens, s’ils embrouillent l’univoque et l’analogue, la géométrie et la finesse, l’essentiel et l’existentiel, surtout enfin s’ils ont gagné une audience assez large pour semer le désarroi dans beaucoup d’esprits, pour déranger un grand nombre de têtes faibles.  (Le Chardonnet n°42, décembre 1988).

Le libéral ne veut pas de polémique ! Derrière ce faux pacifisme ce cache le pire des sectarismes.[2]

« Pas de polémique… mais gare à quiconque se permettra de penser (en le disant) autrement que nous. Vous pouvez (disent-ils) exprimer toutes vos opinions, mais… pas de polémique. Vous pouvez exprimer (disent-ils) une opinion différente de la nôtre, mais… pas de polémique. Vous pouvez essayer (disent-ils) de démontrer que vous avez raison contre nous… mais pas de polémique.

– Mais qu’est-ce donc que la polémique ? Personne ne veut le dire, personne peut-être n’en sait rien. […] Et c’est très commode, car cela permettra, permet depuis longtemps de pouvoir tuer sans recevoir de coups… de pouvoir étouffer les âmes sous l’erreur sans entendre crier les victimes. On leur a dit : pas de polémique… défendez-vous, mais ne frappez pas, ne criez pas, ne bougez pas… et surtout pas d’armes à la main… pas de polémique. Et dire qu’après la vérité, il n’y a rien de plus beau au monde que la polémique… cette lutte spirituelle contre l’erreur et le mensonge avec les seules armes de l’esprit dans le don de tout son être… Combattre pour la vérité avec toute son âme. Jésus s’est incarné pour inaugurer la « polémique chrétienne » contre le « monde » et contre Satan. Saint Paul, premier patron des polémistes… « argue, obsecra, increpa »… « J’ai combattu le bon combat… ».

– Mais la polémique divise les âmes.

Non, monsieur, ce n’est pas le combat qui divise, mais l’erreur. […] La polémique est finalement le seul moyen de savoir où est la division, entre qui et pourquoi. »[3]

(à suivre) Abbé Olivier Rioult

 


[1] Invective : Discours injurieux, expression injurieuse (parole qui cause du tort, du dommage) contre quelque personne ou contre quelque chose. (Littré)

[2] Louis Veuillot l’avait déjà remarqué « pas plus sectaire qu’un libéral » ; « Le libéralisme est une maladie qui se manifeste par une absence d’horreur pour l’hérésie, par une perpétuelle complaisance envers l’erreur, par un certain goût des pièges qu’elle tend et, souvent, par un certain empressement à s’y laisser prendre ». (Mélanges, 3e série, t. 3).

[3] Père Jacques Michel cit. dans Le Chardonnet n°43, janv-fév 1989.