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Catholique et antisémite : Mgr Jouin, Mgr Benigni et l’abbé Boulin : Un catholique peut-il être antisémite ?

par | Oct 10, 2022 | Abbé Rioult

Umberto Benigni (gauche) avec Jules Saubat (droite), 1913,
archives des Betharramites de Rome.

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Il n’est pas rare d’entendre de la part de tel prêtre ou de tel laïc un peu influents, et qui se veulent zélés dans le service de Dieu, déclarer de manière péremptoire : On ne peut pas être catholique et antisémite ! D’ailleurs l’antisémitisme a été (infailliblement…) condamné par le pape !

Ces personnes se méprennent gravement, et à plus d’un titre. Elles ignorent quantité de canons conciliaires et de directives papales qui restreignaient la liberté civile des juifs. Elles se trompent enfin lorsqu’elles prétendent que Pie XI aurait condamné tout antisémitisme et elles s’abusent complétement lorsqu’elles écrivent que cela aurait été fait infailliblement…

Pour s’en rendre compte, il suffit de lire, ce que nous avons fait, le livre de Nina Valbousquet, paru en 2020 au CNRS Éditions, intitulé : Catholique et antisémite : Le réseau de Mgr Benigni (1918-1934). L’objet du livre est de montrer la tentative de Mgr Umberto Benigni, proche du pape saint Pie X, d’organiser des réseaux antisémites à l’échelle mondiale.

Nous nous proposons d’extraire de ces 322 pages les principaux passages concernant les trois ecclésiastiques suivants, en raison de leur importance dans le combat antisémite : Mgr Jouin, Mgr Benigni et l’abbé Boulin.

I. Présentation ecclésiastique

Mgr Ernest Jouin († 1932), « portant depuis 1895 le titre honorifique de chanoine de la cathédrale d’Angers, il a la charge de la cure de Saint-Augustin à Paris de 1899 jusqu’à son décès. [Il résistera à la] Séparation entre l’Église et l’État de 1905 et aux Inventaires en 1906. Il mobilise les fidèles de sa paroisse pour empêcher l’entrée des agents de l’État dans l’église, ce qui lui vaut d’être condamné à une amende par le tribunal correctionnel de la Seine pour “provocation directe à résister à l’exécution des lois françaises” (11-13 avril 1907). […] Forgé à la fois dans la lutte contre les lois laïques et dans l’activisme antijudéo-maçonnique, le parcours de Jouin l’encourage à fonder sa propre revue mensuelle, la Revue Internationale des Sociétés Secrètes (RISS), en janvier 1912, avec l’aide de son homme de confiance Charles Nicoullaud. » (C&A, p. 44-45)

Le 23 mars 1918, un bref du pape Benoît XV « conférant à Jouin le titre de prélat est un soutien clair à tous les aspects de la carrière du curé de Saint-Augustin, y compris ses publications : “Nous savons […] que vous avez affirmé avec constance et avec courage les droits de l’Église catholique — non sans péril de votre vie — contre les sectes ennemies de la religion, enfin que vous n’épargnez rien, ni labeurs, ni dépenses, pour répandre dans le public vos ouvrages sur ces matières. » (C&A, p. 48)

Mgr Umberto Benigni († 1934), zélé prélat dans la lutte contre le modernisme catholique, ancien membre de la curie de Pie X et alors protonotaire apostolique au Saint-Siège. « figure emblématique du courant catholique intégral », il lutta « à la fois contre le modernisme religieux et politique et contre le pouvoir des jésuites. » « Sous-secrétaire de la Congrégation des affaires extraordinaires du Saint-Siège de 1906 à 1911, Benigni est probablement le visage le plus connu de la répression contre le modernisme sous le pontificat de Pie X (1903-1914) en tant que dirigeant du Sodalitium Pianum, dit la Sapinière, un réseau secret et international de dénonciation des modernistes, approuvé entre 1909 et 1914. » (C&A, p. 14-15). La Sapinière était une sorte de « “service secret” sous l’autorité du pape et de l’ordre exclusif du “domaine réservé de Pie X et de son gouvernement”. En 1911, Pie X exhortait les membres de la Sapinière à mener “le bon combat de la foi, particulièrement contre les erreurs et les ruses du modernisme sous toutes ses formes”. (C&A, p. 30) Mgr Benigni sera « jusqu’en 1923 professeur d’histoire ecclésiastique et de style diplomatique à la prestigieuse Académie des Nobles Ecclésiastiques qui a pour vocation de former les diplomates du Saint-Siège. Eugenio Pacelli – futur Pie XII – est son élève avant de devenir lui-même professeur à l’Accademia aux côtés de Benigni. » (C&A, p. 25-26)

L’abbé Paul-Émile Boulin († 1933), ordonné prêtre à Troyes en 1898, homme de lettres et polémiste, sera rédacteur de L’Univers (1912) mais surtout un membre éminent et un correspondant central de la « Sapinière ». « Antimoderne et antimoderniste, le réseau est défini comme une “Entente romaine de groupes catholiques romains intégraux”, ainsi que dans le programme publié en 1913 : “Le Catholique Romain intégral accepte intégralement la doctrine, la discipline, les directions du Saint-Siège et toutes leurs conséquences légitimes pour l’individu et pour la société. Il est […] antimoderniste, antilibéral, antisectaire. Donc il est intégralement contre-révolutionnaire, parce qu’il est l’adversaire non seulement de la Révolution jacobine et du radicalisme sectaire, mais également du libéralisme religieux et social ». (C&A, p. 29)

Pour mesurer la stature de l’abbé Boulin, il faut connaitre la confidence qu’il laissa, sous un de ses pseudonymes dans un livre écrit sur la fin de sa vie : « J’écrivais il y a quelque vingt ans déjà, à leur sujet [les abbés démocrates, charlatans de l’action social], dans l’Univers, ces lignes que Pie X a daigné reprendre presque mot pour mot, dans sa Lettre apostolique sur le Sillon : “Non… on ne bâtira pas la cité autrement que Dieu ne l’a bâtie ; on n’édifiera pas la société, si l’Église n’en jette les bases et ne dirige les travaux ; non, la civilisation n’est plus à inventer ni la cité nouvelle à bâtir dans les nuées. Elle a été, elle est ; c’est la civilisation chrétienne, c’est la cité catholique. Il ne s’agit que de l’instaurer sans cesse sur ses fondements naturels et divins contre les attaques toujours renaissantes de l’utopie malsaine, de la révolte et de l’impiété : omnia instaurare in Christo.” Pareil témoignage peut suffire à l’honneur d’un publiciste, certain par là d’avoir un jour “senti avec l’Église” et, n’ayant pas varié depuis sous les caresses ni les outrages, d’avoir gardé la foi et transmis intact le dépôt. » (Roger Duguet, Autour de la Tiare, Essai, Fernand Sorlot, Paris, (1931), p. 269, parution à titre posthume)

II. Le bon combat de la foi…

« Pour les zélés de la Sapinière, la plus grande menace pour l’Église est représentée par les “ennemis internes”, c’est-à-dire les catholiques qui introduisent libéralisme et séparation dans la religion et affaiblissent ainsi l’Église de l’intérieur. Le point 3 du programme de 1913 [déclare] : “Nous considérons comme des plaies dans le corps humain de l’Église, l’esprit et le fait du libéralisme et du démocratisme soi-disant catholiques, aussi bien que du modernisme intellectuel et pratique, radical ou modéré, avec leurs conséquences.” » (C&A, p. 36-37).

Mais leur zèle ne s’exerçait pas uniquement contre les ennemis intérieurs. Ils combattaient aussi les ennemis de l’extérieur, et parmi eux les « juifs. » Tous ces ecclésiastiques revendiquaient fièrement leur antisémitisme.

« Les articles antisémites [de Mgr Benigni] abondent dans la première phase de sa carrière de journaliste dans les années 1890, façonnant une image des Juifs comme étrangers et parasites au sein des nations chrétiennes, les “ennemis naturels de la Chrétienté dans le champ éthique-religieux et les sangsues des peuples dans le champ éthique-économique”. (C&A, p. 41).Dans sa Storia sociale della chiesa, le professeur Benigni écrivait : « L’Église enseignante et régnante continua de prêcher le pardon, tout en édictant des lois de prudence et de préservation contre la “juive perfidie” ; mais la foule chrétienne se sentit plus souvent foule que chrétienne, et pour cette raison les Juifs durent régler leurs comptes avec une justice populaire presque toujours tumultueuse, illégale, et cruelle mais presque jamais imméritée. » (C&A, p. 42)

« L’antisémitisme assume une fonction contre-révolutionnaire pour les antisémites catholiques comme Benigni ou Jouin qui appellent au rétablissement d’un régime de séparation excluant les Juifs de la société chrétienne. Ils souhaitent effacer l’émancipation des Juifs et restaurer un système de ghettos, corporations et privilèges communautaires. De fait, cet appel à la ségrégation est aussi une apologie de l’Ancien Régime : l’antisémitisme catholique s’inscrit ici dans un champ plus politique. Le discours antisémite est mobilisé dans une lutte contre la sécularisation et les révolutions libérales en France et en Italie et prend appui sur les positions des papes intransigeants du XIXe siècle. […] Bien que Léon XIII se montre par la suite plus réservé, Pie IX, “prisonnier du Vatican”, a déjà donné une certaine légitimité à l’amalgame entre Juifs et révolutionnaires, notamment dans ses déclarations aux pèlerins à Rome après 1870, invoquant la “nation réprouvée qui se maintient dans la réprobation.” » (C&A, p. 49-50)

Mgr Jouin, dans une lettre adressée à dom Baucher en 1920 en opposition au second Ralliement, écrit : « “les lois laïques sont maçonniques. Et la Judéo-Maçonnerie veut détruire l’Église. Il n’y a donc aucune confiance à accorder à la loi des [associations] cultuelles et à la jurisprudence de quelques arrêts du Conseil d’État”. […] Pour le prélat de Saint-Augustin, la solution à la “question juive” ne réside pas dans la conversion des Juifs au catholicisme mais bien davantage dans celle des catholiques eux-mêmes, dans leur retour vers la foi et la défense des droits de l’Église : la “solution, la seule vraie, la seule efficace, la seule préservatrice des cataclysmes de demain, la seule libératrice du péril, c’est notre conversion”. […] “Le juif est le châtiment du catholique ; il pénètre nos sociétés dans la mesure où elles chassent Dieu”. » (C&A, p. 51) Dans une lettre au cardinal Pignatelli di Belmonte, Mgr Jouin écrira : « les catholiques de France acceptent l’État et les lois laïques. C’est un glissement à gauche au point de vue politique, mais (ce qui est plus grave), c’est une apostasie au point de vue religieux. » (C&A, p. 65)

Comme nous l’avons déjà évoqué, la revue de Mgr Jouin sera louée par la hiérarchie ecclésiastique. « La renaissance de la RISS en 1920 est saluée par des personnalités ecclésiastiques, notamment par le cardinal Luçon, archevêque de Reims, et par l’archevêque de Cambrai, Jean-Arthur Chollet. Secrétaire de la commission permanente de l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France, Mgr Chollet devient un abonné officiel de la RISS et salue en son directeur “l’infatigable adversaire des sociétés secrètes”. À Rome, l’influent père Henri Le Floch, supérieur du Séminaire français, remercie Jouin pour l’envoi de la RISS encore en 1923, alors que le cardinal Billot, soutien des intransigeants, souligne l’œuvre de dévoilement accompli par Jouin avec “son vaillant journal, qu’il faut continuer à tout prix afin d’éclairer les catholiques aveuglés”. » (C&A, p. 64)

III. Les intégraux et les Protocoles…

Mgr Jouin a fait publier les Protocoles dans le numéro de la RISS d’octobre 1920, à côté d’un des épisodes de “La Guerre maçonnique”. En 1921, dans son ouvrage majeur, Le Péril judéo-maçonnique, après avoir rendu hommage à la lutte de Pie X contre le modernisme et contre la loi de Séparation, Mgr Jouin expliquait « l’acuité et l’actualité du “problème juif” par le fourvoiement des catholiques dans le libéralisme et le sécularisme. […] : “Tel est le virus du libéralisme dont les effets sont trop manifestes pour qu’il soit besoin de recourir aux Protocoles. Les pays catholiques en sont infectés. La France en meurt ; elle subit les Juifs et les Maçons, parce qu’elle n’a plus, pour l’instant, d’héritiers convaincus de la vieille foi de ses pères et que le sang des croisés circule si peu dans ses veines qu’elle n’a pas protesté contre la spoliation de la Palestine au mépris de tous ses droits et au profit du royaume de Sion. […] La Judéo-Maçonnerie a fait dans le passé la Révolution de 1793. […] La Judéo-Maçonnerie fait dans le présent la révolution russe, dont le bolchevisme menace le monde entier. […] Pour arriver à la domination du monde, les Juifs doivent s’emparer de tous les États […]. C’est ce qu’ils veulent réaliser par la triple emprise des biens, du pouvoir et des peuples déchus. […] Jusqu’à l’heure de la revanche de Dieu, les survivants resteront les esclaves, les parias, les ilotes des Juifs, ces maîtres de l’univers, sinon par l’emprise finale de leur autocratique domination, du moins par la possession de l’or mondial et l’oppression de leur formidable tyrannie. Plus fort que l’islamisme et le paganisme, le Talmud aurait alors momentanément triomphé de l’Évangile.” » (C&A, p. 81-82)

En ce qui concerne les Protocoles, Mgr Benigni écrivait à Mgr Jouin, le 9 février 1921 : « Plus j’étudie la question et plus je me persuade de la non-authenticité formelle et de l’immense valeur réelle de ce document. » « Si “les Protocoles sont apocryphes”, le prélat romain reste persuadé de “leur véridicité objective (pris en bloc)”, puisque les principes énoncés dans le texte s’appuient selon lui sur des “sources” authentiques : “ils ont été rédigés avec l’aide de quelques prières authentiques, mais sans qu’elles fussent les Protocoles.” En somme, les doutes émis quant à l’authenticité formelle des Protocoles ne remettent pas en cause la vérité de fond de la conspiration juive aux yeux d’antisémites tels que Jouin et Benigni qui n’hésitent pas à tirer profit du succès international du texte. […] Au nom d’une “critique éclairée”, [Benigni] affirme que les “défenseurs outrés des Protocoles sont tombés dans une regrettable confusion” car elle nuit essentiellement à la cause chrétienne : “ce serait contre la vérité et contre l’intérêt lui-même de la défense sociale, de soutenir que le document publié par Nilus soit certainement et formellement non seulement authentique mais même un vrai “protocole”. » (C&A, p. 83 & 95)

Mgr Benigni sera en étroite collaboration avec les réseaux de Russes blancs exilés. Pour lui « le socialisme devient l’instrument “à travers lequel le Juif déracinera le christianisme, en détruisant la civilisation. Et quand il ne restera que l’anarchie, le Juif se mettra à la tête de tout” » (C&A, p. 101) Parmi eux, Leslie Fry qui fuira la Russie bolchevique avec ses enfants, après avoir perdu son époux durant la guerre civile durant l’hiver 1919-1920. « Manifestant son admiration pour Benigni, elle partage le même combat religieux (“pour la cause même du Christ”) et porte un regard tout aussi méfiant sur les dirigeants ecclésiastiques : “Où va l’Église ? Il semble qu’elle s’éloigne de plus en plus du Christ et de son sublime enseignement”. […] Le tableau des États-Unis décrit par Fry à Benigni laisse transparaître son antisémitisme social et économique, stigmatisant un prétendu pouvoir financier des Juifs qui leur permettraient d’avoir un poids politique majeur : “Ici les choses vont bien pour les Juifs. Ils s’emparent de plus en plus du président Harding – Je vais chercher de quel côté on le tient.” Fry est convaincue d’une situation similaire de domination financière juive en Italie, une obsession contre les “banques juives” qu’elle partage avec Benigni : “Si vous avez des nouvelles d’Italie qui puissent attirer l’attention des Américains sur la situation du pays en tant que gouverné par les juifs, cela pourrait aider, surtout les banques, y en a-t-il une seule qui soit libre d’influence juive ?” En outre, elle déplore l’absence aux États-Unis d’un solide mouvement catholique intégral similaire à celui européen : “Ici les Catholiques ne valent pas grand-chose […]. Ici on dort encore malheureusement. Il n’y a pas un seul groupe vraiment formé. Tout ce qui est antisémitisme c’est seulement le Dearborn Independent […] et Ford refuse de se joindre à qui que ce soit ! – Voilà où en sont les Goyim. Toujours le manque d’union et de solidarité. J’en suis découragée parfois. Il n’y a qu’ici qu’il y a l’argent, ce pays même est menacé par une révolution, sinon aussi par une guerre déterminée par les Juifs et tout le monde dort”. En 1922, elle regrette la fin de la campagne antisémite du Dearborn Independent qu’elle attribue à une faiblesse de caractère de Ford. De son côté, Benigni émet très tôt des réserves sur l’industriel protestant, mais ne se montre pas plus préoccupé, tant que ce dernier continue à financer secrètement les mouvements antisémites. » (C&A, p. 106-107)

IV. Pour une Entente de défense sociale…

« Au tournant de l’année 1920-1921, [Benigni] lance un appel à la “défense sociale”. Cet appel est centré sur la défense d’un ordre traditionnel chrétien menacé de toutes parts : 1. Une action de défense sociale, dans le sens traditionnel de la lutte de la Civilisation chrétienne contre le mal, s’impose aujourd’hui quand l’ordre social est, plus que jamais, terriblement menacé. 2. Cette action bien que ne se développant point sur le terrain proprement religieux, pour être efficace, doit s’appuyer sur le fait fondamental, qu’il n’est pas de vraie civilisation sans – et d’autant moins contre – l’esprit et la tradition authentique du Christianisme. Ceci est d’autant plus vrai parce que l’Église a dans sa doctrine et dans sa tradition, l’indication et la solution fondamentale de tout problème social. […] 4. Il est désormais notoire qu’Israël résume en lui-même la plus grande menace antisociale, parce qu’il est vraiment le dragon à deux têtes : celle du Veau d’or, c’est-à-dire de la finance internationale juive, saignant à blanc et corrompant le monde ; et celle du Loup rouge, c’est-à-dire de la démagogie hébraïque, subsidiée par cette même finance afin que cette démagogie bouleverse le monde en vue d’en faire une proie plus facile du monstrueux monopole d’Israël. 5. Par conséquent quiconque veut sérieusement et honnêtement la défense sociale, doit placer le devoir et la raison même d’être de son action dans la lutte surtout contre Israël, ses instruments, ses complices, à commencer par la franc-maçonnerie et les sectes similaires, vraies usines de l’action antisociale, juive et analogue. […] 10. Sans doute chacun peut travailler isolément et indépendamment des autres, à la défense sociale, mais vu que l’union fait la force, et qu’il s’agit de lutter avec un ennemi très puissant et très fourbe, il est aussi naturel qu’utile pour tous ceux qui s’intéressent à la défense sociale de se grouper de la meilleure manière possible et avec le plus de prudence et d’esprit pratique selon les circonstances. L’expérience apprendra aux individus et aux groupes la manière la meilleure de collaborer à la défense sociale, en général et dans chaque cas. » (C&A, p. 67-68)

Mgr Benigni explique sa stratégie à Mac John dans une lettre du 19 aout 1921 : « Nous fondons l’action de notre Ligue sur le terrain pratique de la défense sociale et de la défense de la civilisation chrétienne, afin que les non-catholiques honnêtes et intelligents puissent être capables de nous aider dans notre campagne, laquelle intéresse non seulement les chrétiens, mais aussi les incroyants qui acceptent bien volontiers les bienfaits de la Chrétienté sociale. » (C&A, p. 69)

C’est ainsi que la revue d’Urbain Gohier et de Drault est recommandée par le réseau de Benigni. « Preuve que Jouin et Benigni sont plus radicaux que l’AF en matière d’antisémitisme, le groupe catholique se rapproche davantage d’Urbain Gohier, directeur de La Vieille France et premier éditeur français des Protocoles. Durant la guerre, Gohier rompt explicitement avec l’Union sacrée, en attaquant la République et les Juifs français. Bien que salué par Léon Daudet comme l’un des pionniers d’une “nouvelle vague antisémite” en France, Gohier professe dans l’après-guerre un antisémitisme plus virulent que ses confrères royalistes. Il refuse l’incorporation des “Juifs bien nés” à la nation française et s’emporte contre les hommages rendus par Maurras au dramaturge d’origine juive Henri Bernstein (engagé volontaire en 1914), conduisant à un conflit ouvert entre les rédactions de L’Action française et de La Vieille France à partir de 1922. [En 1919, on lisait dans le bulletin du réseau de Benigni] : “Discutable sur plusieurs points, la revue La Vieille France d’Urbain Gohier devient de plus en plus recommandable aux gens de jugement et d’expérience à cause de sa lutte centrale contre le centre sémitique de tous les malheurs d’hier, d’aujourd’hui et de demain. La revue sait relier, avec une main ordinairement heureuse, les fils apparemment épars et embrouillés du réseau sémite. Nous ne croyons pas qu’aujourd’hui on puisse trouver mieux sur ces champs-là ; au moment où de plus en plus l’infiltration sectaire sue à travers les pores de certaine presse catholique, religieuse, conservatrice etc. etc., ce que d’ailleurs La Vieille France sait aussi bien dénoncer. Donc nous envoyons nos amis à celle-ci”. Cet extrait est particulièrement éclairant quant au poids de l’antisémitisme dans la reconfiguration du réseau de Benigni. Il y est bien insinué que les journaux catholiques ne sont plus fiables et qu’une revue pourtant athée et ultra-nationaliste comme La Vieille France se révèle plus recommandable en matière d’antisémitisme. Parce qu’elle sait exposer au grand jour les multiples ramifications du “réseau sémitique”, la revue de Gohier mérite d’être diffusée parmi les intégraux. » (C&A, p. 75-76)

« Tout en admettant que La Vieille France a certaines idées fixes trop radicales, l’homme de lettres italien loue la revue comme expression trop rare d’un “journalisme indépendant”, sans compromission. En octobre 1923, il déplore la suspension d’une revue dont la lecture lui était particulièrement utile : “je suis affligé de voir que la revue cesse ; désormais j’en avais pris l’habitude et j’en sentirai la privation”. Quelques jours plus tard, Veritas regrette également cet arrêt (résultant du conflit de Gohier avec l’Action française) : “La Vieille France était un périodique nationaliste et partisan ; naturellement il était dans son droit de l’être, comme nous sommes dans notre devoir de ne pas envisager ce côté-là dans nos regrets. Ce que nous regrettons c’est l’inlassable combattant toujours sur la brèche contre le Bloc du ghetto-Loge-Bourse, le magnifique organe de vulgarisation et de documentation internationale, l’exemple d’énergie et de crânerie qui, malgré des excès de détails restait toujours un exemple précieux pour les pachydermes, les mollusques et les juste-milieux de ce conservatisme qui n’a rien conservé en dehors de ses préjugés et de son égoïsme d’ailleurs bien myope”. » (C&A, p. 136)

En lien, comme on l’a vu, avec des Russes blancs exilés, Mgr Benigni est aussi en contact « avec les écrivains anglais catholiques Gilbert Chesterton et Hilaire Belloc, dont les écrits ne sont pas dépourvus de préjugés antisémites. » (C&A, p. 118)

En 1922, Mgr Benigni orchestre le lancement du bulletin Veritas qui trouve, selon le prélat, « sa raison d’être dans l’expansion croissante de la “mauvaise presse pseudo-catholique”, à savoir la presse démocrate-chrétienne et libérale : “entre la presse syndiquée de parti […] et la presse inorganique du juste milieu, la masse catholique sera automatiquement conduite aux idées et aux… faits voulus par l’Ennemi. Rester les mains croisées face à une telle situation serait un délit.” Le nouveau bulletin est ainsi un jalon incitant à une émulation antisémite qui pourrait être reprise par des intermédiaires plus influents : “Nos forces trop modestes ne réussiront qu’à un résultat bien mince, et absolument disproportionné avec tout l’ensemble. Mais mieux vaut peu que rien, et nous aurons donné l’exemple à ceux qui pourront faire plus et mieux que nous.” » (C&A, p. 120)

Dans le même contexte, une autre agence de presse intégrale est mise en place en Suisse, par Ferdinand Rüegg : l’agence KIPA, « Agence catholique internationale de presse » (Katolische internationale Presse-Agentur). « Les motivations invoquées par Rüegg sont similaires à celles de Benigni : transmettre aux journaux des sources catholiques, filtrées en amont, afin de contrer la “dépendance presque totale des journaux catholiques envers la presse libérale et judéo-maçonnique et leurs agences”. […] Une différence notable distingue cependant les deux réseaux parallèles, puisque Rüegg entend placer son agence sous l’autorité du Vatican. […] la KIPA réussit, en 1921, à obtenir de Benoît XV une bénédiction générique grâce à de nombreux soutiens épiscopaux. Contrairement à son homologue suisse, Benigni ne choisit pas la voie de la reconnaissance officielle du Saint-Siège : n’ayant plus foi en la capacité de ses dirigeants à guider la contre-révolution intégrale, il préfère entretenir une agence souterraine. » (C&A, p. 123-124)

En 1923, une circulaire spéciale de Veritas annonce la fondation de l’Entente romaine de défense sociale : « Notre organisation est une entente fraternelle entre les différents groupes de race aryenne ou aryanisée, lesquels acceptent la déclaration suivante : Nous, croyant en Dieu dans le sens chrétien, retenons et déclarons fermement : que les fondements de la vie sociale, nationale, individuelle sont dans la religion, la nation, la famille ; par conséquent nous devons et voulons combattre par ces fondements contre leurs ennemis ouverts ou masqués, quels qu’ils soient, et les complices directs et indirects. […] Les membres – particuliers et groupes – de l’Entente de défense sociale doivent être des croyants et libres aryens : a) croyants en Dieu dans le sens chrétien ; b) libres de tout lien avec des Sectes ou des sociétés sectarisées ; c) issus d’une des nations aryennes ou aryanisées. […] Le danger juif – sous sa double figure de Mammon (le capitalisme international juif) et de la Démagogie – constitue la plus grande menace contre ces fondements-là ; par conséquent notre plus grand effort doit être organisé dans la forme la plus efficace sur la civilisation chrétienne, le loyalisme patriotique, le respect et l’amour familial, contre la menace juive, ses meneurs juifs, ses complices enjuivés. […] Nous insistons sur ce point qui est le plus délicat de notre Entente composée par des défenseurs de leur credo religieux et de leurs intérêts patriotiques, divergents, naturellement, entre confession et confession, entre patrie et patrie, mais convergents dans leur base commune de l’Ordre religieux, social et national en face de l’Ennemi de cet Ordre fondamental. Ainsi nous devons être l’Entente internationale des défenses nationales en face de l’Internationale antisociale (anti-religieuse et anti-nationale). » (C&A, p. 125-128)

L’abbé Boulin défend la même stratégie et se fait le porte-voix du prélat romain auprès de correspondants français qu’il tente de convaincre d’adhérer à l’Entente. « L’abbé loue l’absence de centralisation et de formalisation qui selon lui éviterait à l’Entente de subir le même sort que la Sapinière : “Entre nous point d’organisation centrale proprement dite, qui serait ou boycottée et sabotée en haut et en bas – ou accusée d’être une société secrète par ceux qui sont les premiers à vivre des sociétés secrètes ou tout au moins à secret. […] Lutte globale pour l’“Ordre” et la “Défense sociale” dans le sens logique de contre-révolution intégrale ramenant tout à ce suprême commun dénominateur. Nous combattons la Révolution-Désordre, donc ses complices, donc, entre autres, ce libéralisme doctrinal et pragmatique qui, en religion, est le modernisme intellectuel et pratique. Et nous voilà tout droit dans l’intégralité catholique comme affirmation et comme lutte sous forme d’un corollaire d’une formule transcendante. […] Un honnête “cartel” des groupes les plus divers de nationalité, de confession religieuse et de tendances politiques, est légitime sur le terrain commun des principes les plus élémentaires de la défense sociale. Pie X eût préconisé une pareille entente, au rebours de tant d’internationalismes pseudo-chrétiens et de monstrueux consortiums d’intérêts et de partis, où les convictions sont sacrifiées sans vergogne aux appétits.” » (C&A, p. 129)

À partir d’octobre 1922 et jusqu’en décembre 1923, « l’abbé traduit et commente des extraits choisis, spécifiquement antisémites, de la Storia sociale della Chiesa, “génial essai d’histoire politique du catholicisme”. L’introduction présente le parcours biographique de Benigni en termes laudatifs, soulignant avant tout son statut professoral et son expertise sur la “question juive” avec “l’impartialité et la modération d’un véritable historien” : […] Partout éclate le caractère particulier de cette race juive, constituée en secte bien avant sa dispersion, devenue volontairement depuis lors la Contre-Église, agent perpétuel de corruption et de ruine parmi les “gentils”. Israël est, au cours de ces vingt siècles d’histoire, après son déicide, l’artisan obstiné des persécutions et des hérésies, le maître déguisé des Sociétés secrètes qui se multiplient pour battre en brèche l’ordre et la paix du monde ; inlassablement, il poursuit une impossible hégémonie juive destinée à remplacer, dans les rêves de ces mosaïstes dévoyés par le Talmud, le règne du Messie personnel dont leur crime les a fait désespérer. Par-là l’œuvre de Mgr Benigni rejoint l’objet propre de cette revue ; et c’est pourquoi nous en voulons donner au moins quelques extraits, qui éclairent pour nos lecteurs les origines, les diverses positions traditionnelles et les alternatives d’une lutte aujourd’hui deux fois millénaire.” » (C&A, p. 131-132)

Mgr Benigni et Mgr Jouin sont en réseaux aussi avec Henry Beamish, leader des Britons. La RISS fera la promotion de son journal « The Hidden Hand et salue l’“excellente devise” des Britons : “L’Angleterre aux Anglais.” De fait, Beamish correspond directement avec Jouin auquel il écrit en mai 1923, au sujet de l’adoption de la croix croisée : “L’idée de cet emblème m’a été donnée par notre ami commun à Rome, et je lui suis très reconnaissant pour cette suggestion. Je me rends compte d’autant plus que l’ensemble de notre civilisation est fondé sur la chrétienté et que si la Croix est traînée dans la boue, toutes les races blanches vont tomber avec elles.” […] Benigni se vante auprès de Jouin d’avoir réussi à écarter les Britons de toute organisation de type “pan-aryenne” et de la tentation d’adopter la croix gammée au lieu de celle chrétienne. Il souligne la convergence chrétienne de Beamish : “autant honnête que clairvoyant, il veut ce que nous voulons : l’entente des Européens chrétiens en face de l’Antéchrist”. […] Percevant une certaine réticence britannique à dénoncer le capitalisme, Benigni tente de convaincre Beamish que l’antisémitisme ne peut se limiter au seul antibolchevisme mais doit inclure une dimension sociale et économique : “Israël doit être dénoncé non seulement en tant que bolchevisme mais aussi comme capitalisme anti-social. Autrement, les gens ne peuvent pas voir et comprendre – et par là même combattre – le Monstre bicéphale dans son ensemble : le Veau d’Or et le Loup Rouge.” De son côté, Beamish apporte une perspective impériale à laquelle le prélat romain est moins familier, suggérant même la ségrégation comme solution au “problème juif”, selon sa propre expérience coloniale en Afrique du Sud : “J’ai vu les succès de la ségrégation dans diverses parties de l’Afrique, j’ai l’impression que le seul plan à adopter avec les Juifs est de tous les ségréger quelque part dans le monde. Je suggère Madagascar comme c’est une grande île fertile, ce qui leur permettrait d’établir leur propre Nationalité ; et en les ségréguant de cette manière, on les empêcherait de contaminer les races blanches comme ils sont actuellement en train de le faire et l’ont toujours fait”. » (C&A, p. 133-134)

Mgr Benigni recommande aussi la revue Fede e Ragione qui « est une feuille catholique intégrale et par conséquent intégralement contre-révolutionnaire et antijuive : nous sommes contre ces bourgeois avachis, à étiquette catholique ou non, qui sont les traîtres de leur Église, quand ils se disent catholiques, et, tous, de leur Patrie qu’ils aident à soumettre à la Judéo-maçonnerie. Donc nous avons tout au moins l’ennemi commun ce qui prime sur tout en temps de guerre.” » (C&A, p. 135). La revue Fede e Ragione, officiellement assurée par De Töth (prêtre de Spolète) avec le comte Filippo Sassoli de Bianchi, est soutenue par le cardinal Tommaso Pio Boggiani (1863-1942) qui jouissait d’une grande influence dans les affaires du Saint-Siège. « Reprenant les préceptes du néo-thomisme, le titre “Foi et Raison” renvoie aux “vérités immuables” de la “foi catholique, en parfaite harmonie avec les faits les plus vrais et certains de la raison” : un ordre opposé au désordre libéral des “opinions” qui placent “la raison au-dessus de la Foi et l’individu et la nature à la place de Dieu”. Fede e Ragione situe sa lutte antilibérale et antimoderne “autant sur le terrain religieux que sur le terrain politico-social” […] : “Derrière les diverses contingences momentanées et locales, il y a toujours, au moins au fond, une lutte séculaire et cosmopolite entre deux grandes forces qui se divisent le monde, d’un côté, la cité de Dieu, c’est-à-dire l’Église catholique apostolique romaine, et, de l’autre, l’ensemble de ses adversaires autant externes, c’est-à-dire ceux qui se déclarent loyalement et franchement anticatholiques et antireligieux, que ceux internes, à savoir les faux amis de l’Église et de la religion. Les ennemis externes – judaïsme, franc-maçonnerie, socialisme et autres sectes affiliées formant la cité du monde entre opposition à la cité de Dieu – sont aux mains du pouvoir central adverse à l’Église ; ceux de l’intérieur, à l’inverse – modernistes, démocrates, libéraux etc. – servent aux premiers d’instruments plus ou moins conscients d’infiltration, de pénétration et de décomposition dans notre camp”. » (C&A, p. 143)

V. Une sympathie fasciste

En 1923, Mgr Benigni opère un rapprochement avec le fascisme. « Si le dirigeant de l’Entente romaine tente d’insuffler plus de verve antijuive dans la presse fasciste, c’est parce qu’il n’est pas encore complètement convaincu du potentiel antisémite du nouveau régime. Une note d’octobre 1923 ne manque pas de remarquer la présence de personnalités juives au sein du fascisme, en particulier Margherita Sarfatti, “la juive Sarfatti”, directrice éditoriale de Gerarchia et maîtresse de Mussolini ; ou encore l’entrepreneur Guido Jung, membre du PNF et futur ministre des Finances : “Au ministère des Finances, le juif Jung dit Young est déjà patron”. Benigni exempte cependant Mussolini de la responsabilité de cette soi-disant influence juive sur le régime et prédit un réveil antisémite et nationaliste contre la “haute banque juive”. […] Un point de vue similaire est exprimé dans la RISS par Boulin, lequel souligne encore en 1924 l’absence surprenante d’antisémitisme dans la doctrine fasciste. L’abbé pointe du doigt les fréquentations juives du dictateur italien, “cet homme qui a pour confident intime un sous-secrétaire d’État d’origine juive, M. Finzi”. […] Si l’opinion des catholiques de Fiesole vis-à-vis du fascisme devient plus favorable à partir de 1923-1924, c’est toujours en rappelant à Mussolini les droits de l’Église et les devoirs de l’État fasciste. Fede e Ragione n’adhère pas au fascisme pour lui-même, mais par opposition à des ennemis communs : socialistes, populaires, libéraux et francs-maçons. Le retournement de la position du fascisme vis-à-vis de la franc-maçonnerie (notamment l’incompatibilité entre appartenance au fascisme et aux loges maçonniques décrétée en février 1923) est salué comme un signe prometteur annonçant une lutte plus vigoureuse contre la “Secte et tous ses complices, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont masqués”. Mais c’est surtout à partir de janvier 1925, avec le musellement des mouvements d’opposition, et après la fermeture des loges maçonniques en novembre 1925, que Fede e Ragione se rallie complètement à la campagne antimaçonnique du fascisme. La répression fasciste contre les libéraux, socialistes et populaires, est également applaudie par les intégraux. » (C&A, p. 161-162)

En 1923, l’abbé Boulin « relit tous les bouleversements advenus depuis la Grande Guerre au prisme d’un complot juif mondial : “On sait tous les avantages que la Guerre a procurés déjà au judaïsme : la création du Foyer national juif à Jérusalem, la reconnaissance par le nouveau droit des gens de privilèges inouïs pour les minorités ethniques au sein de l’Europe nouvelle, le trust de l’or et du crédit mondial le plus imposant qu’ait connu l’histoire financière. Gonflés des milliards écumés sur les vainqueurs et sur les vaincus, les Juifs, sans perdre de temps, ont donc cherché leur revanche définitive”. » (C&A, p. 169)

Pour Benigni, « le foyer national juif est illégitime puisque les Juifs auraient toujours été des conquérants étrangers dans une Palestine “envahie”, et que le sionisme ne serait qu’une forme d’appropriation bolchevique de la propriété d’autrui. » (C&A, p. 171). Rappelons que saint Pie X avait opposé à Theodor Herzl un “Non Possumus” formel au projet sioniste en 1904. (C&A, p. 90). Pour le prélat romain : « “Notre lutte de défense sociale doit être d’autant plus énergique et efficace contre Israël, que ce peuple, en vue d’atteindre la conquête du monde, nous fait la guerre de la manière la plus déloyale, la plus inhumaine, la plus infâme qu’on puisse concevoir. Foulant aux pieds tout sentiment de fraternité humaine, Israël est devenue une Secte qui emploie les moyens les plus sectaires pour opprimer le monde. […] C’est pour cela qu’aujourd’hui plus que jamais, Israël est le danger international par excellence, la pieuvre maudite qui veut nous envelopper et étouffer pour s’engraisser de notre substance”. » (C&A, p. 176)

Mgr Benigni et l’abbé Boulin « insistent sur la nécessaire internationalisation de la lutte antisémite, dans la continuité directe des documents diffusés au sein du réseau en 1921 et 1923 : “1. Il est évident que la Judéo-Maçonnerie domine le monde, et que les Juifs et les Maçons sont aujourd’hui les ennemis les plus redoutables de la société. 2. Il y a donc une raison très sérieuse d’unir les efforts de tous ceux qui comprennent le danger et de tenter cette union d’une manière internationale, puisque c’est le monde entier qui est menacé”. » (C&A, p. 184)

« Benigni et Boulin sont bien conscients des rancœurs nationales encore prégnantes six ans après la fin de la guerre. […] Pour cette raison, Boulin souhaite limiter le combat à un antisémitisme dit social : “Le grand objet de la Judéo-Maçonnerie est, avant tout, la destruction de l’Église catholique qui s’oppose à son but de domination universelle et qui maintient encore debout nos sociétés modernes. Mais comme, au point de vue international, les peuples sont divisés par différentes confessions religieuses, j’estime qu’il ne faut pas aborder cette question, et que pour éviter toute mésentente entre les membres du Comité et toute critique venant de leurs coreligionnaires, il faut rester sur un terrain uniquement social, qui est d’ailleurs fort étendu.” L’abbé donne une définition avant tout sociale de la menace juive et ce, en partie afin d’empêcher qu’un groupe particulier ne s’arroge le monopole de l’antisémitisme : “l’antijudaïsme n’étant une querelle ni de race au sens allemand ni de religion, mais une entreprise de défense sociale.” À l’issue des trois journées de conférence, un « Pacte de Paris », déclaration commune en quatorze articles, est adopté. […]. Présenté comme un rassemblement de représentants du “mouvement anti-juif dans leur pays respectif”, la conférence a bien comme thème commun et pressant l’antisémitisme : “Nous avons reconnu que le spiritus agens et le moyen de tout mouvement décomposant notre civilisation est le judaïsme, l’esprit juif, non pas tant comme religion ou comme nationalité ou race, que comme organisation occulte, poussant, grâce aux idées matérialistes, au règne mondial du Peuple Élu. Il est évident que le microbe qui provoque la contamination de la civilisation idéaliste aryenne c’est le Juif.” (Déclaration commune du Congrès international antisémite de Paris, 28-30 juin 1924) […] Les membres ne doivent présenter absolument aucune trace de “judaïsation” : “ils sont des aryens ou des aryanisés en ce sens : que ni du côté du père, ni de celui de la mère, ils n’ont dans les veines trace de sang juif, depuis au moins trois générations consécutives et en cas de soupçon ils devront en faire la preuve. Ils ne sont ni mariés à une juive, ni associés à une entreprise juive.” [Leur but sera de] : “a) ouvrir les yeux à tous les peuples aryens ou aryenisés sur le danger soigneusement déguisé qui les menace – chacun sous une forme particulière de décomposition – de la part de l’impérialisme d’Israël ; b) former au sein de chaque peuple chrétien, un courant d’opinion publique qui exige partout une législation spéciale pour le “peuple Élu”, afin de lui retirer toute possibilité de décomposer et d’asservir les peuples de race blanche, créateurs et détenteurs de la civilisation chrétienne.” » (C&A, p. 185-186)

Pour Mgr Jouin, « la lutte contre le “pouvoir juif” doit toujours s’inscrire dans le cadre d’une résistance active à la sécularisation : “les groupements nationalistes, fascistes ou autres, sont impuissants par eux-mêmes à détruire le mal qui nous envahit. La guerre est religieuse ; si vous voulez vaincre, mettez-vous d’abord sur le terrain de combat.” » (C&A, p. 191) « Pour Boulin, les demi-solutions sont également dangereuses, à l’image de Nesta Webster qu’il accuse d’être “antijuive maçonne”, ou encore de l’Entente Internationale Anticommuniste, fondée en Suisse en 1924 par Théodore Aubert, “antibolchevique qui admet maçons et juifs”. Comme son collaborateur français, Benigni se méfie de l’anticommunisme international qui ne serait pas doublé systématiquement d’antisémitisme : “[Considérez] comme un faux frère et traître tout « antibolcheviste » qui n’est pas positivement antijuif et antimaçon.” » (C&A, p. 192)

« En 1923, face à l’attraction exercée par le svastika, “emblème païen”, sur les groupes antisémites, Jouin se réjouit que, pour son Entente, Benigni l’ait “chrétiennement remplacé par la Croix et le Christus Vincit” ; il ajoute cependant : “mais je ne crois pas que nous soyons suivis par le côté allemand, autrichien, hongrois et russe.” Veillant “à ce que l’influence allemande protestante ne fasse dévier le mouvement” lors de la réunion de Paris de 1924, Boulin craint la monopolisation du projet d’internationale par les pangermanistes. […] Les intégraux italiens et français craignent que les “pangermanistes” détournent du droit chemin des “amis” tels que les Britons et les antisémites roumains. Lors de la conférence de Budapest, Benigni tente ainsi de convaincre Ion Motza [Proche de Codreanu, Motza devient ensuite second de la Garde de Fer roumaine], à renoncer à l’emploi de la croix gammée. L’antisémite roumain défend cependant sa position, en avançant la théorie d’une équivalence entre croix gammée et chrétienne (“le Seigneur fut crucifié sur la Swastika”) comme symbole de la coprésence de la foi et de la race dans le nationalisme roumain : “Le Swastika comprend la croix croisée, l’une ne peut vivre sans l’autre, car l’un symbolise la race, et l’autre la foi, l’une suppose l’autre.” Il tient à rassurer son correspondant italien quant aux fondements “nationalistes chrétiens” de la lutte antijuive en Roumanie : “Nous vous prions de croire que nous ne pouvons pas concevoir un nationalisme achrétien. Toute notre doctrine antisémite (du prof. Cuza) a son fondement dans l’enseignement de Jésus, qui a caractérisé cette nation satanique avec des paroles saintes […]. Le plus grand danger, de la part des Juifs, réside justement dans leur œuvre de destruction de la culture (en commençant par le fondement de la culture : la foi en Dieu, le christianisme), et ce n’est qu’au second plan que vient l’inconvénient de l’asservissement économique, matériel”. » (C&A, p. 193-194)

Paradoxalement, ce sont les accords du Latran entre l’Église et l’État fasciste (1929) qui vont entrainer la fin de l’Entente romaine de défense sociale. Nina Valbousquet montre comment la vision plus politique d’un Benigni et la vision plus théologique d’un Boulin vont finir par se transformer en un conflit ouvert, « brisant ainsi le duo qui animait le cœur de l’Entente. Contrairement à Fede e Ragione, le rédacteur de la RISS vilipende les accords du Latran comme un “chiffon de papier”, un échec pour la revendication des droits du Saint-Siège et une démission de l’Église face à un État fasciste héritier des principes révolutionnaires jacobins : “Les chemises noires accomplissent le rêve des chemises rouges. M. Mussolini n’est que le lieutenant attardé de Garibaldi ; et la Jeune Italie qui triomphe sous nos yeux, voilà l’héritière de l’ancienne conjuration de la Maison de Savoie avec la Haute Maçonnerie et l’esprit de 1789 pour la fondation d’un État moderne sur les ruines de la Rome papale et de l’ordre catholique’”. Du point de vue intégral de Boulin, il ne peut y avoir de solutions de demi-mesure sur la question romaine : “Rome est au Christ, elle est à Pierre ; elle est au monde catholique.” Le verdict est sans appel : les accords du Latran sont un “cataclysme” pour les catholiques et une trahison de la “cause de l’indépendance de l’Eglise” dont le premier responsable est Gasparri. En outre, l’abbé critique le culte d’homme providentiel rendu à Mussolini par certains catholiques italiens : “loin de détester le Duce, nous l’avons vanté ici plus d’une fois ; nous envions pour la France l’équivalent de son génie réaliste et réalisateur. Mais ce sentiment ne saurait tourner à l’idolâtrie.” » (C&A, p. 259) L’article de l’abbé Boulin contre les accords du Latran publié dans la RISS déclenchera la colère de Mgr Benigni : la rupture sera alors consommée et définitive.

Les critiques de Boulin contre les accords du Latran feront aussi du remous auprès des autorités ecclésiastiques. Et le 31 mai 1929, le Conseil de Vigilance de l’archevêché de Paris, le cardinal Dubois, adresse un blâme à la RISS, rendu public par La Croix. Un an plus tard, afin de préserver la RISS, l’abbé Boulin adresse sa démission à Mgr Jouin (le 8 janvier 1930). « L’abbé évoque le risque de sanctions ecclésiastiques graves pesant sur lui depuis la nomination, en novembre 1929, d’un nouvel archevêque, Mgr Verdier. Boulin quitte définitivement Paris le 14 février 1930, un an après les accords du Latran. » (C&A, p. 262)

VI. Un antisémitisme chrétien

En 1921, Mgr Benigni, dans son programme de défense sociale de janvier 1921, « entend préciser le caractère chrétien de l’antisémitisme du réseau : “Dans cette défense, la règle qui différencie l’action chrétienne de celle des autres, est naturellement la suivante : a) lutte contre Israël non pas à raison de sa religion mosaïque, mais de son immoralité antisociale, pharisaïque et talmudiste ; b) lutte non pas de race parce qu’Israël est un peuple, car tous les individus et partant tous les peuples sont frères en Dieu ; mais parce que précisément à cause de son pharisaïsme et de son talmudisme, Israël s’est donné pour but la domination et l’exploitation mondiale la plus odieuse. […] Notre lutte n’est pas une lutte de race en tant que race. Si nous adoptons pratiquement les mots “sémitisme” et “antisémitisme” entrés dans l’usage commun, nous le faisons seulement dans un sens occasionnel pour indiquer l’élément juif proposant de faire des goyims ses esclaves.” » (C&A, p. 203-204)

« L’utilisation du terme antisémitisme est débattue au sein de l’Entente romaine. Pour l’anglais Henry Beamish, il faut utiliser franchement les termes désignant les Juifs et renoncer aux “mots enfantins” et aux euphémismes tels “financier international” ou “étranger cosmopolite” [de] l’Action française, trop “peureux” dans le choix des mots. […] Ainsi, Beamish exhorte les mouvements antisémites à ne pas céder aux peurs bien-pensantes du public. À l’opposé, le catholique Walter McDermott fait part à Jouin des risques à utiliser le mot antisémitisme. Ce n’est pas la signification du terme qui pose problème au rédacteur de The Patriot, mais son inefficacité et son caractère peu approprié dans le contexte anglais : “il est facile de tuer un mouvement tel que le nôtre qui n’est pas soutenu par beaucoup d’argent, par une phrase comme “antisémite” ou “extrémiste”. La prudence face à l’étiquette antisémite est donc motivée par des facteurs plus stratégiques qu’idéologiques. […] Si Benigni ou Jouin n’ont aucune difficulté à utiliser le terme antisémitisme, l’abbé [Boulin] souhaite au contraire s’en distinguer en raison de sa connotation sécularisée voire antichrétienne ; au même moment, il plaide dans la RISS pour une distinction en faveur du terme antijudaïsme : “Notre antijudaïsme n’est pas une guerre de religion, mais ce n’est pas non plus une guerre de race. Nous n’en voulons à aucun homme ici-bas du seul fait qu’il est étranger. Mais nous défendons contre un ennemi commun notre race et notre religion, l’ordre chrétien et notre civilisation séculaire contre les entreprises d’une horde interlope, maîtresse de l’or, avide du pouvoir, conjurée contre tous les peuples, qu’il s’agit de contenir à tout prix si nous ne voulons nous voir par elle anéantis.” » (C&A, p. 204-205)

« Benigni, quant à lui, prétend que son hostilité antijuive ne se fonde pas sur des différences raciales mais sur un antagonisme profond qui séparerait les Juifs du reste du monde : “Si donc nous luttons contre Israël, ce n’est pas parce que sa race n’est pas la nôtre, mais parce qu’elle est l’ennemie née de la nôtre.” […] Refusant la catégorie des “Juifs bien-nés” promue par Maurras, Benigni considère qu’il est impossible de distinguer entre “bons” et “mauvais” Juifs, à moins que les quelques rares Juifs “honnêtes” ne deviennent eux-mêmes antisémites : “C’est toute la race juive qui est, en masse, solidaire du programme talmudique. […] Y a-t-il des juifs honnêtes et étrangers à ce programme barbare ? Sans doute ; et nous nous empresserons de les “exceptionner” de cette lutte à peine ils se feront reconnaître. Et pour se faire reconnaître, ils ont un moyen d’une extrême simplicité : qu’ils combattent, par des faits, le danger juif. Si non, non !” » (C&A, p. 206)

Pour Mgr Jouin, « M. Bernard Lazare a raison de tenir pour impropre le mot d’antisémitisme pris en effet pour antijudaïsme. Les Arabes et les Syriens ne prétendent pas à la domination universelle, précisément parce qu’ils ne rentrent pas dans le cycle du développement messianique. […] Ce que nous constatons du point de vue de la race reparaît dans la nationalité juive. En dehors du messianisme, l’existence de ce peuple devient incompréhensible. » (C&A, p. 211-212)

Dans Fede e Ragione, « Sassoli de Bianchi qualifie les Juifs de “misérable peuple frappé par les malédictions célestes que ses pères appelèrent à grande voix sur lui et sur leurs descendants” ; une référence au verset de l’Évangile selon saint Matthieu (27, 25) : “Et tout le peuple répondit : Que son sang [retombe] sur nous et sur nos enfants.” Le déicide est clé dans l’argumentaire antisémite de Boulin selon lequel l’atemporelle “question juive” est la manifestation visible d’un châtiment divin qui ne connaîtra de résolution que dans le dénouement surnaturel des jours derniers : “Le Christ crucifié a voulu qu’à travers les âges et les peuples, errât sans fin ce témoin des prophéties, de son avènement et de ses vengeances. Et c’est pourquoi l’éternelle question juive, éternellement insoluble, se posera et se reposera jusqu’au dernier jour, dans les termes les plus variés, sans aboutir jamais, entre les trahisons et les massacres, qu’à des mesures insuffisantes.” Pour l’abbé, ce châtiment explique la longévité de l’antisémitisme en tant que réaction instinctive des chrétiens : “À travers les âges, la malédiction qui pèse sur les déicides s’est réalisée plutôt par un obscur et irrésistible mouvement d’horreur religieuse et d’immédiate revanche contre certains attentats plus criants de l’avarice ou de la haine juives. […] Les trahisons des Juifs, individuelles et collectives, à l’égard des pays chrétiens sont d’ailleurs trop avérées, de l’âge apostolique aux lendemains de la révolution russe et de Judas l’Iscariote à tant d’autres Judas contemporains, pour qu’une sorte de synonymie ne soit établie dans l’esprit des peuples entre le judaïsme et l’esprit de traîtrise. […] Châtiés pour leur méconnaissance du Messie spirituel, ce peuple à l’inflexible échine se redresse lentement à travers les siècles pour atteindre enfin sous nos yeux à la taille de l’Antéchrist, roi temporel des peuples infidèles à l’Évangile.” » (C&A, p. 214-216)

Pour les intégraux, « l’Israël non pas du Pentateuque, mais du Talmud, [est] une corruption religieuse hautement antisociale », d’où « la “défense” antijuive de l’Église » et la « légitimation de l’antisémitisme d’Église et des mesures de séparation entre Juifs et chrétiens. Selon Benigni, cette défense est apparue comme une nécessité vitale dès les premiers temps du christianisme : “le christianisme naissant est contraint de prendre des mesures de précaution contre le Juif qui maltraitait en particulier les esclaves chrétiens, pour ne pas parler du constant danger matériel et moral que représentait le judaïsme contre l’entière nouvelle civilisation”. De même, Boulin cite en exemples les conciles de Vannes (465) et d’Agde (506) interdisant aux chrétiens de manger à côté des Juifs afin d’en limiter la “contamination” […]. La suite logique pour les deux intégraux est la justification des ghettos de l’époque moderne selon la théorie du double protectorat : du point de vue de l’Église, le rôle des ghettos est de protéger la société chrétienne tout en isolant les Juifs pour qu’ils ne subissent pas d’attaques populaires. Benigni comme Boulin font explicitement référence à ce double protectorat : “l’Église, l’État, en cherchant par amour de l’ordre à protéger les Juifs contre les “pogroms” ou à défendre le peuple chrétien contre leurs perfidies, les ont d’ailleurs peu à peu isolés, refoulés à l’intérieur de leurs ghettos […] Jamais la lutte pour la défense sociale ne doit oublier la justice et la charité chrétienne dues à l’ennemi sur le pied de guerre”. » (C&A, p. 220-221)

« Les intégraux appellent clairement à l’action antijuive, Benigni affirmant, par exemple, qu’un musellement constant des Juifs s’avère impératif : “Pour qu’il observe les pactes, pour qu’il remplisse ses obligations, le Juif doit avoir la cravache devant ses yeux ; il faut qu’il ait les mains liées pour l’empêcher de nuire. Il doit jouir de tous ses justes droits individuels et collectifs, parce que, nous chrétiens, nous savons notre devoir chrétien de conscience. Mais pas un moment d’oubli dans la surveillance, et, au besoin, dans la légitime répression de la bête fauve”. » (C&A, p. 222)

VII. L’affaire des “Amis d’Israël”

Nina Valbousquet résume bien l’affaire en un paragraphe : « Entre 1926 et 1928, le cas de l’association des Amis d’Israël cristallise les luttes catholiques autour de la question de l’antisémitisme et des relations judéo-chrétiennes. Fondée en février 1926, Amici Israel est une association pieuse de prière pour les Juifs dont l’objectif premier est d’encourager les conversions au catholicisme. Mais à la différence des autres œuvres apostoliques de conversion, l’association des Amis d’Israël se distingue par son projet ambitieux de révision de l’enseignement catholique sur le judaïsme. Ses arguments sur le caractère irrévocable de l’amour divin pour les Juifs remettent en cause l’idée d’un châtiment permanent contre le peuple “déicide”. En dépit de son succès rapide et de ses soutiens ecclésiastiques importants, l’association est dissoute par un décret du Saint-Office, le 25 mars 1928. Deux mois auparavant, en janvier, les Amis d’Israël ont adressé une requête de modification de la liturgie du Vendredi Saint (demandant la suppression de l’expression “Perfidis” et de la génuflexion manquée ; une requête jugée trop novatrice car défiant le respect hiérarchique des rites. Cependant, tout en supprimant une association pionnière des relations judéo-chrétiennes, le décret du Saint-Office inclut une condamnation nominale de l’antisémitisme, et ce, pour la première fois dans un document du Saint-Siège. » (C&A, p. 235)

Nous compléterons les informations sur les réactions de nos catholiques intégraux que Nina donne avec celles de Laurence Loupiac-Deffayet : Amici Israel : les raisons d’un échec : des éléments nouveaux apportés par l’ouverture des archives du Saint-Office. (In : Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée, tome 117, n°2. 2005. Sanctuaires français et italiens dans le monde contemporain. pp. 831-851)

L’association des Amis d’Israël était présidée par l’abbé général de la congrégation bénédictine du Mont-Cassin, Benoît Gariador (1859-1936). Un autre prêtre régulier, Anton van Asseldonk (1892-1973), chanoine de Sainte-Croix, en était secrétaire général. Le 2 janvier 1928, l’association des Amis d’Israël adresse donc à la Sacrée Congrégation des Rites, accompagnée d’un mémoire, une requête : prétendant constater la multiplication des « signes qui semblent indiquer que le moment de la conversion des juifs n’est pas loin », les PP. Gariador et Van Asseldonk suggéraient, dans le but de faciliter cette conversion, d’enlever des prières et des discours « tout ce qui peut sembler dur ou peu tendre envers Israël » (Archives du Saint-Office – A.S.O.) : d’où cette demande de la suppression des mots perfidis et perfidiam dans la prière du Vendredi saint ainsi que le rétablissement dans les rubriques de la génuflexion accompagnée des paroles Oremus. Flectamus genua. Levate.

L’argumentation des P. P. Gariador et Van Asseldonk trouvait un appui chez un bénédictin de l’abbaye de Saint-Paul hors-les-murs, connu pour son œuvre liturgique, le P. Abbé Ildefonse Schuster, qui osa écrire à la Congrégation des Rites : « La triple proposition faite au sujet de la substitution du mot perfidis, de l’oremus et de la génuflexion me semble pleinement justifiée par la tradition classique de la liturgie romaine. Il s’agit d’abroger un usage tardif et superstitieux. » (A.S.O.).

Le premier avis donné par le Saint-Office sera un « nihil esse innovandum » : il ne faut rien innover ! Et ce en raison du respect qu’il convient de porter aux expressions les plus anciennes de la liturgie. « Le P. Marco Sales, qui a examiné le dossier, est surtout choqué par le caractère “inconvenant” de la demande. Si l’on devait modifier la liturgie sur simple pétition de telle ou telle association qu’est-ce qui empêcherait, se demande-t-il, une autre association de demander demain la suppression dans le Credo du nom de Ponce Pilate, sous le prétexte que cela semble dur pour l’autorité romaine ? Cette logique apparaît comme particulièrement dangereuse au P. Sales car elle conduit à se poser en juge de la liturgie au nom d’une conception fausse de la charité prêchée par le Christ. Il souligne également “que la liturgie de la Semaine Sainte est très ancienne dans l’Église et qu’elle était déjà certainement en usage au Ve siècle avec les mots perfidis et perfidiam, ainsi que l’omission de l’Oremus. Flectamus genua. Levate [qui] remonte à une respectable antiquité [IXe]”. Le commentaire des mots perfidis et perfidia donne lieu à des prises de position plus théologiques : “il est certain que celui qui viole la parole donnée après la conclusion d’un pacte est communément désigné comme perfide, particulièrement s’il a contracté une certaine habitude dans une telle manière de faire. Or, c’est précisément cela que Dieu, dans les Écritures, reproche aux Juifs (par exemple en Dt 31,16 ou 20,27) […] Et il est clair que seuls les Juifs avaient un pacte avec Dieu et une alliance avec lui, et que seuls les Juifs ont continuellement violé et violent ce pacte. On ne doit donc pas s’étonner qu’ils soient par conséquent désignés comme perfides et que l’on ait l’expression perfidia judaica à la différence des païens”. » (Laurence Loupiac-Deffayet)

Cette demande incongrue éveilla alors l’attention du Saint-Office qui se mit à soupçonner l’orthodoxie des Amis d’Israël. Elle consulta alors leur dernier bulletin, publié en janvier 1928 : « Le passage le plus intéressant, et le plus connu, du bulletin est celui où se trouve décrit “l’esprit” de l’œuvre. Il est notamment précisé que les Amis d’Israël doivent omettre de parler : – du “peuple déicide”, car cette expression n’a jamais été employée par les apôtres… et au regard de l’histoire, les gentils ne sont pas moins déicides que les juifs ; – de la “cité déicide” pour désigner Jérusalem ; – de la “conversion des juifs” (“Une telle expression est odieuse pour les Juifs qui ont une religion et un culte divinement révélés, que l’on parle plutôt de retour et de passage, si l’on peut dire, de Regno Patris ad regnum Filii”) ; – de l’inconvertibilité des juifs (“Même les Juifs se convertiront, mais il revient à l’Église de leur montrer le Christ, non seulement au moyen de la Doctrine, de l’autorité infaillible et de l’évangélisation, mais avant tout avec des exemples”) ; – des rumeurs infamantes sur les juifs, comme les accusations de crime rituel… » (Laurence Loupiac-Deffayet)

De telles ambitions apparaissent comme éminemment empoisonnées au censeur du Saint-Office qui écrit dans son rapport : « toute la tonalité de l’opuscule étudié est en faveur manifeste des juifs, avec des insinuations plutôt défavorables à l’Église et à ses ministres, comme si l’Épouse de Jésus Christ s’était rendu coupable d’une négligence ou pire d’une aversion injustifiée envers le peuple que l’on dit élu ». Le P. Drehmans « rappelle qu’il n’est pas possible, du point de vue de la doctrine traditionnelle de l’Église sur les juifs, de considérer tous les descendants d’Israël selon la chair comme de vrais Israélites, partageant, comme tels, avec les catholiques, la vie de grâce et de foi qui est le propre de l’Église. Il faut pour cela que les juifs renoncent à leur obstination traditionnelle et donc se convertissent. Le deuxième point discuté est lié au rapport que les Amis d’Israël établissent avec la Tradition de l’Église : ils sont soupçonnés de privilégier comme source principale de la Révélation, à l’instar des protestants, l’Écriture sainte et de critiquer la Tradition, à laquelle ils ne reconnaissent qu’une valeur secondaire. Ils soulignent par exemple que les controverses des Pères de l’Église, si elles sont mal interprétées, peuvent être à l’origine de certaines incompréhensions et duretés injustifiées à l’égard des juifs : ces textes ne doivent pas prendre le pas, dans la doctrine de l’Église, sur ce qu’enseigne l’Évangile. Et le P. Drehmans de commenter, non sans agacement : “la saine théologie catholique enseigne que la source principale de la Révélation n’est pas l’Écriture sainte mais la Tradition”. Le Saint-Office prend brutalement conscience du caractère singulier du mouvement, de la hardiesse de ses idées et de leur non-conformité avec la pensée traditionnelle de l’Église sur les juifs et le judaïsme. » (Laurence Loupiac-Deffayet)

Le cardinal Merry del Val, le Cardinal-secrétaire du Saint-Office, est indigné face aux idées formulées par les Amis d’Israël, tout particulièrement au sujet de la liturgie du Vendredi saint : « Cette requête présentée par les susdits Amis d’Israël me semble complètement inacceptable, et je dirai même insensée. Il s’agit de prières et de rites très anciens dans la liturgie de l’Église, liturgie inspirée et consacrée par les siècles, qui exprime l’exécration pour la rébellion et la trahison du peuple élu, infidèle et déicide, la proclamation de la nouvelle Alliance scellée par le Sang très précieux de Notre Seigneur Jésus-Christ, et reflète tout l’enseignement de l’Écriture sainte, celui de saint Paul, spécialement dans les Épîtres aux Romains et aux Hébreux, ainsi que la doctrine des Saints Pères. […] Le judaïsme avec toutes ses sectes inspirées par le Talmud est toujours perfidement opposé au christianisme et aujourd’hui, à la suite de la guerre, il s’élève plus que jamais et cherche à reconstruire le règne d’Israël en opposition au Christ et à son Église. Où trouve-t-on ce supposé commencement de repentir du peuple juif ? Je ne voudrais pas que ces Amis d’Israël soient tombés par inadvertance dans un piège imaginé par les juifs eux-mêmes qui pénètrent partout dans la société moderne et cherchent par tous les moyens à effacer le souvenir de leur histoire et à surprendre la bonne foi des chrétiens. Je ne peux pas l’exclure. » (Lettre du Cardinal-secrétaire du Saint-Office du 7 mars 1928 – Archives du Saint-Office, 125/28).

Quant à l’association elle-même, elle est soupçonnée de se livrer à « l’interconfessionnalisme et à l’indifférentisme religieux », deux tendances déviantes déjà condamnées par Rome. Dès le 8 mars, le Saint Père est mis au courant de l’affaire par le Cardinal-secrétaire du Saint-Office, dont il partage les vues. Le Pape ordonne que l’on informe la S. C. des Rites de l’impossibilité de réformer la prière du Vendredi saint, puis, après une longue réflexion, demande la dissolution du Comité et de l’association des Amis d’Israël, « en raison de l’orientation gravement erronée et dangereuse adoptée par le Comité qui, après avoir fondé l’œuvre sur la base d’une union de prières pour la conversion des juifs, a par la suite gravement dévié sur un faux terrain » (A.S.O., Compte rendu de l’audience du 8 mars).

Le 25 mars, Pie XI approuve la version finale du Décret supprimant l’Association des “Amis d’Israël” déclarant que « les Eminentissimes Pères préposés à la garde de la foi et des mœurs ont d’abord reconnu le côté louable de cette Association, qui est d’exhorter les fidèles à prier Dieu et à travailler pour la conversion des Israélites au règne du Christ. Il n’est pas étonnant qu’à ses débuts, cette Association n’ayant en vue que cette fin unique, non seulement beaucoup de fidèles et de prêtres, mais encore bon nombre d’évêques et de cardinaux y aient adhéré. L’Eglise catholique, en effet, a toujours eu coutume de prier pour le peuple juif, qui fut le dépositaire des promesses divines jusqu’à Jésus-Christ, malgré l’aveuglement continuel de ce peuple, bien plus à cause même de cet aveuglement. Avec quelle charité le Siège Apostolique n’a-t-il pas protégé le même peuple contre les vexations injustes. Parce qu’il réprouve toutes les haines et les animosités entre les peuples, il condamne au plus haut point la haine contre le peuple autrefois choisi par Dieu, cette haine qu’aujourd’hui l’on a coutume de désigner communément par le mot d’“antisémitisme”. Toutefois, remarquant et considérant que cette Association des “Amis d’Israël” a adopté ensuite une manière d’agir et de penser contraire au sens et à l’esprit de l’Eglise, à la pensée des Saints Pères et à la Liturgie, les Eminentissimes Pères […] ont décrété que l’Association des “Amis d’Israël” devait être supprimée. Ils l’ont déclaré abolie de fait et ont prescrit que nul, à l’avenir, ne se permette d’écrire ou d’éditer des livres ou des opuscules de nature à favoriser de quelque façon que ce soit pareilles initiatives erronées. […] Donné à Rome, au Palais du Saint-Office, le 25 mars 1928. »

« La dissolution de l’association en mars 1928 réjouit naturellement Fede e Ragione qui profite de cette condamnation officielle pour réitérer ses attaques contre la “farce” et les “utopies judaïques” des Amis d’Israël et notamment de l’inspiratrice de l’association, la Hollandaise convertie Francisca van Leer, “demoiselle juive et ex-bolchevique”. Le ton devient plus dur contre les propositions des Amis d’Israël, qui, selon la revue de Fiesole, visaient uniquement à “ne pas offenser la susceptibilité de Judas qui prétend cependant aux privilèges dont il a joui pendant un temps, mais irrévocablement perdus”. Le rejet catégorique des révisions théologiques des Amis d’Israël dessine, en creux, le programme inverse que Fede e Ragione revendique contre les Juifs : théologie de la substitution, déicide, châtiment divin, inconvertibilité des Juifs, crimes rituels et généralisation sous des appellations stigmatisantes telles que “Judas”. Au même moment, dans la RISS, Boulin se réjouit de la dissolution de l’association en rappelant “l’impossibilité ou l’extrême difficulté de la conversion des Juifs”. L’ami de Benigni s’insurge naturellement contre les positions des Amis d’Israël sur les crimes rituels : “Jusque devant les reliques du petit Simon de Trente, honoré comme martyr par l’Église, c’est aux Juifs que les Amis d’Israël, comme les judéophiles de la Semaine des Écrivains catholiques, sont toujours prêts à demander pardon de la dureté de cœur des chrétiens !” » (C&A, p. 236)

L’initiative de la création des Amis d’Israël revenait en effet à une jeune juive hollandaise, Francisca Van Leer, née en 1892. Engagée auprès des spartakistes à Berlin, puis à Munich auprès de Kurt Eisner, elle fut arrêtée lors de la contre-révolution et décida alors de demander le baptême dans l’Église catholique dans le cas où elle sortirait saine et sauve de sa prison. Libérée quelque temps après, elle se convertit et part en 1925 dans un kibboutz de Palestine, où elle se lance, sans être mandatée par la hiérarchie, dans une activité “missionnaire” auprès des juifs. Elle rentre finalement en Europe et fonde en février 1926 à Rome l’association des Amis d’Israël, en collaboration avec deux prêtres hollandais, le P. Antoine Van Asseldonk, procureur général des Chanoines de Sainte-Croix, et l’abbé René Klinkenberg.

Francisca Van Leer était une personne exaltée et fascinée par le sionisme. Enthousiasme que ne partageait pas le Patriarche latin de Jérusalem, Mgr Luigi Barlassina qui déclarait, en 1921 à Rome, lors d’une conférence : « [Les dirigeants sionistes] dictent la loi et imposent leur volonté à toute la population, catholique, musulmane, et jusqu’aux israélites orthodoxes soumis à mille abus de pouvoir de la part de leurs coreligionnaires. Outre l’autorité, ils disposent de beaucoup d’argent envoyé par les comités sionistes de tous les pays, spécialement de ceux des Etats-Unis et de Grande-Bretagne, et avec cet argent, ils achètent les terres des pauvres musulmans ruinés par la guerre, ils fondent des écoles et quelquefois corrompent aussi les consciences. En bref, comme le prouvent des rapports fiables, le propos des sionistes est d’exproprier peu à peu les Arabes et les chrétiens et de prendre leur place. Pour accroître le nombre de leurs coreligionnaires, on a autorisé l’immigration en Palestine des Juifs russes, presque tous bolcheviques […]. L’action sioniste ne s’est pas révélée moins funeste sur le plan de l’immoralité, qui, à partir du moment où les sionistes se sont érigés en maîtres de la Palestine, s’est terriblement étendue sur cette terre baignée par le sang de Jésus-Christ. Des établissements de vice se sont ouverts à Jérusalem, à Jaffa, à Nazareth, et dans tous les centres importants : les femmes de mauvaise vie fourmillent partout, les maladies honteuses se répandent, c’est vraiment, s’exclame Mgr Barlassina, “l’abomination de la désolation dans le Lieu saint” (Mt 24, 15) […] Il faut sauver la Palestine, menacée de tomber sous un joug mille fois pire que celui des Turcs ; une fois encore doit retentir le cri des Croisés : “Dieu le veut, Dieu le veut !” » (Compte rendu de la conférence donnée au Collège St Joseph de Rome, le 11 mai 1921, paru dans La Civiltà Cattolica, II (1921) p. 461-462)

Stanislas Fumet, qui fut membre de l’association des Amis d’Israël décrit Francisca Van Leer ainsi : « Elle avait essayé de nous communiquer son enthousiasme pour la cause du judéo-christianisme […]. Elle était sincère, dynamique, électrisante. Elle galvanisa plusieurs prêtres néerlandais qui finirent un peu désaxés. Mais nous aimions sa vitalité, son audace judaïque, sa confiance en Dieu ». Le P. Devaux porte sur elle un jugement plus sévère et critique son caractère « ardent » et « excentrique », son « besoin naturel d’activité ostentatoire et d’expression de nationalisme juif sous le couvert d’un sincère zèle chrétien. » (Laurence Loupiac-Deffayet)

*

Revenons maintenant sur le décret. Pour la première fois dans un document du Saint-Siège, et ce par volonté expresse de Pie XI, le décret du Saint-Office inclut une condamnation nominale de l’antisémitisme. Qu’en est-il ? Quelles sont les réelles limites de cette condamnation ecclésiastique de l’antisémitisme ?

« La version du décret voulue spécifiquement par le pape Ratti précise que l’Église “condamne particulièrement la haine envers le peuple, qui fut par le passé le peuple de Dieu, une haine qui est aujourd’hui communément entendue sous le nom d’antisémitisme”. Ce faisant, le décret place les antisémites catholiques dans une position délicate, entre orthodoxie et hétérodoxie : comment les intégraux peuvent-ils obéir à une hiérarchie qui condamne l’antisémitisme quand ce dernier est à leurs yeux essentiel dans la mission qu’ils s’assignent pour la survie du dogme chrétien ? » (C&A, p. 238)

Laurence Loupiac-Deffayet l’explique très simplement : « Il s’agit pour [le pape] de distinguer l’antisémitisme, rejeté par l’Église en raison de son caractère raciste et de sa violence meurtrière, de l’antijudaïsme, qui est une opposition de nature religieuse. » Même conclusion d’Hubert Wolf : « Du point de vue de ces cardinaux, c’est donc uniquement l’antisémitisme racial qui était condamné, alors qu’ils considéraient un antisémitisme théologique légitime et même requis sur le plan ecclésial. » (Hubert Wolf, Pie XII, le Vatican et Hitler : les révélations des archives, CNRS éditions, Paris, 2009. Ch. 2) Selon Boulin, le décret condamne uniquement l’antisémitisme tel qu’il se manifeste hors du cadre de l’Église et de la morale chrétienne : “avec le Saint-Siège et avec l’Église, nous réprouvons par conséquent et condamnons tout antisémitisme sans justice et sans miséricorde, contraire aux enseignements de l’Evangile.” (C&A, p. 238)

C’est ce que pensait, au XIIIe siècle, le pape Innocent III qui écrivait : « Aucun chrétien ne doit se permettre de léser leur personne [des juifs] sans scrupule en dehors d’un jugement du seigneur du lieu, ou d’enlever leurs biens par la force. En outre, que personne, d’aucune façon, ne les trouble à coups de bâton ou de pierres lors de la célébration de leurs fêtes, et que personne ne cherche à exiger d’eux des services qui ne sont pas dus, ou à les y obliger, à l’exception de ceux qu’ils avaient eux-mêmes coutume de rendre dans le passé… Cependant Nous voulons que ceux-là seulement bénéficient de cette protection qui ne se permettent pas de se livrer à des machinations en vue de subvertir la foi chrétienne. » (Lettre 302). Et ce même Pape établissait par la suite la politique du IVe Concile œcuménique de Latran, en 1215, qui obligeait les juifs « des deux sexes, dans toute la Chrétienté et en tous temps » à se distinguer « publiquement des autres peuples par la qualité du vêtement, la même chose leur ayant aussi été commandée par Moïse. » (Canon LXVII). Puis pour éviter que « la religion chrétienne » soit « d’autant plus lésée par l’exaction des usures qu’avec celles-ci s’accroît la perfidie des juifs, de telle sorte qu’en peu de temps ils ruinent les biens des chrétiens », le concile annulait les « dettes des chrétiens » et, « si nécessaire », obligeait les chrétiens « de s’abstenir de tout commerce avec eux. »

Le Saint-Siège ne pouvait donc pas condamner l’antisémitisme chrétien mais seulement l’antichrétien. Pie XI n’avait ni l’intention ni le pouvoir de condamner Innocent III qui imposa un signe distinctif aux juifs. Pie XI n’avait ni l’intention ni le pouvoir de condamner saint Pie V qui leur imposa la couleur jaune hors des ghettos. Pie XI n’avait ni l’intention ni le pouvoir de condamner Benoît XIV qui approuva les règles de l’inquisition romaine restreignant les pouvoirs civils des juifs dans les États pontificaux en Avignon… Il eut certes été préférable que Pie XI rappela la morale et le droit chrétien sans user du concept moderne et équivoque d’“antisémitisme”. Il suffisait de rappeler l’enseignement du Christ de ne pas haïr son prochain et le devoir d’aimer, autant que faire se peut, son ennemi, fut-il juif…

« C’est que le mot d’antisémitisme est un terme fâcheux, non seulement quant à la fausseté de sa signification étymologique, mais quant aux équivoques qu’entretient son acception usuelle”. Cet antisémitisme est “gênant” [car] “il y a, en effet, de par le monde, un antisémitisme inacceptable : celui, en particulier, des racistes allemands, que nous avons toujours combattu avec tant de vivacité.” Boulin présente la forme d’hostilité antijuive qui reste au contraire la seule “acceptable” : “Tout autre est notre œuvre de défense religieuse, patriotique et sociale contre la conjuration des forces du mal sous le double signe des Loges et du Kahal. D’où la légitime appellation anti-judéomaçonnique, qui seule est exactement la nôtre, à l’exclusion de cette fausse et troublante étiquette antisémite, qu’il nous faut bien employer, sans doute, ça et là, pour la commodité du discours ou parce que l’adversaire s’acharne à n’en pas user d’autre. » (C&A, p. 238-239)

Le père Enrico Rosa, directeur, depuis 1915, de la revue jésuite La Civiltà cattolica, livrera l’interprétation officielle à donner au décret du Saint-Office. Ce père a été « pendant trente ans l’interprète et l’intrépide défenseur des directives du Saint-Siège », comme l’indique une notice nécrologique de 1938 (Civiltà Cattolica 89,4). Dans un article commandé par Pie XI, “Il pericolo Giudaico e gli ‘Amici d’Israele” : Le péril juif et les Amis d’Israël, le père Rosa distinguait deux types d’antisémitisme : la “forme non chrétienne d’antisémitisme” et “la saine appréciation du danger émanant des juifs” : « Le premier courant de l’antisémitisme est non chrétien, parce qu’il est contraire à l’amour du prochain de combattre des hommes en raison de leur appartenance à un peuple et non de leurs actes. » Mais outre une prédominance sociale et politique dans de nombreux États européens, « disproportionnée par rapport à leur faible nombre », Rosa reprochait globalement aux juifs d’avoir « tiré les ficelles de toutes les révolutions, depuis la Révolution française de 1789 jusqu’à la révolution russe d’Octobre [1917], en passant par celle de juillet 1831 et celle de mars 1848. » (Civiltà Cattolica 79, 2 – 1928)

Donc, globalement, le père Rosa livrait la même interprétation que l’abbé Boulin dans la RISS, « même si le ton est moins direct et plus alambiqué » : « “Une telle bienveillance de l’Église ainsi que sa double recommandation, mentionnée précédemment, contre l’antisémitisme – c’est-à-dire de ne pas haïr les Juifs et encore moins de les accabler injustement, mais au contraire de prier pour eux en dépit de leur aveuglement – ne doit pas nous faire oublier ou fermer les yeux sur ce qu’est la triste vérité, comme ce qui semble s’être produit parmi certains des principaux dirigeants et propagateurs de la Société des Amis d’Israël.” La “triste réalité” mentionnée ici correspond à la “lutte antichrétienne” menée par la “génération des fils de Judas”, avec la complicité des libéraux et de la franc-maçonnerie, auxquels Rosa n’hésite pas à rajouter tous les stéréotypes actualisés du judéo-bolchevisme et de la finance juive. Comme Jouin, le père jésuite perçoit le “péril judaïque” (titre de cet article approuvé par le Saint-Siège) comme une “punition” contre les sociétés catholiques éloignées de Dieu. Le libéralisme, avec son corollaire d’émancipation, serait pour Rosa la véritable source de l’antisémitisme moderne, puisqu’il aurait rompu les barrières traditionnelles posées par l’Église. La condamnation de l’antisémitisme dans le décret de 1928 est ainsi inscrite dans la continuité du double protectorat, l’Église protégeant un peuple “exposé à la haine en raison de ses propres méfaits”. Le directeur de La Civiltà cattolica entend bien limiter la définition de l’antisémitisme aux “nationalismes antichrétiens”, un phénomène qui n’aurait aucun lien avec l’antijudaïsme chrétien : “l’antisémitisme est condamné nommément, comme le Décret l’ajoute ; mais il est condamné, comme on s’entendra bien, dans sa forme et son esprit antichrétien”. La portée du “péril juif” n’est nullement minimisée : “il menace le monde entier avec ses infiltrations pernicieuses et ses ingérences néfastes, en particulier chez les peuples chrétiens et plus spécifiquement encore chez les catholiques et les latins, où l’aveuglement du vieux libéralisme a favorisé majoritairement les Juifs, tout en persécutant les catholiques et les religieux avant tout”. Le père Rosa crée ainsi, au même titre que le groupe de Benigni, une distinction entre des formes légitimes et illégitimes d’antisémitisme. [Quoique par ailleurs], l’article du père Rosa s’inscrit dans un conflit plus large entre les jésuites et les intégraux, ainsi que dans le contexte de la condamnation de l’Action française. » (C&A, p. 240 et 242)

Après la condamnation des Amis d’Israël, le Saint-Siège attendait la soumission des responsables. « Quand le cardinal Merry del Val [préfet du Saint-Office] entra, van Asseldonk s’agenouilla et présenta sa soumission inconditionnelle, sans demander les raisons de la suppression. […] Pourtant, relatera-t-il, je restai sans voix lorsque, une fois le décret paru, je lus les raisons invoquées. Un des membres du Comité […] vint en pleurant chez lui. Tous deux ont alors offert cela à Dieu. A ce moment-là, il réalisa, comme il l’écrit lui-même, que l’Église serait submergée par l’antisémitisme. » (Ramaekers, “Doctor Anton van Asseldonk o.s. crucis 1892-1973”, in Clairlieu, Achel, 1978, p. 33)

Le P. Van Asseldonk rédigera alors, de manière hypocrite, et au nom de tout le Comité central des Amis d’Israël, un acte de soumission dans lequel il interprétait le décret comme une condamnation de tout antisémitisme. Grâce à une habile présentation, le décret devenait ainsi une sorte de porte-parole officiel des thèses des Amis d’Israël… Il remerciait le Saint-Office d’avoir reconnu de manière élogieuse leurs bonnes intentions et exprimait sa joie quant au fait que, dans ce texte du Magistère : « l’antisémitisme soit solennellement condamné avec la plus grande fermeté – et mieux que nous n’aurions jamais pu le faire » (A.S.O.). Mais les cardinaux du Saint-Office ne furent nullement d’accord avec cette lettre de soumission. Ils convoquèrent une nouvelle fois van Asseldonk et, le 14 avril, lui interdirent de commenter, de quelque manière que ce soit, les décrets émanant de la suprême autorité de la foi. Trois jours plus tard, le 17 avril, van Asseldonk dut de nouveau se présenter au Palais du Saint-Office et subir les avertissements les plus sévères. Il lui fut alors interdit non seulement d’interpréter le décret de dissolution, mais, en outre, de s’exprimer publiquement sur toute cette affaire (Procès-verbal des avertissements adressés à Asseldonk par Alfonso Gasparini, 17 avril 1928 – A.S.O.)

L’Abbé Gariador, président de l’association et signataire de la demande, fut convoqué le 3 avril 1928 au Saint-Office. Sa soumission ne posa pas de problème. Le père Laetus Himmelreich fit aussi la sienne sans difficulté. Quant à l’Abbé Schuster, le cardinal Merry del Val s’était prononçé en faveur d’un sérieux « rappel à l’ordre » du bénédictin parce que celui-ci, « dans son extrémisme, était allé jusqu’à vouloir supprimer du rite de la Sainte Église une prétendue ‘superstition’ ». L’expert et consulteur de la congrégation des Rites fut donc aussi convoqués au Saint-Office. Dans la lettre de soumission exigée de lui, Schuster écrira : « De tout mon cœur, en tant que fils très obéissant de la sainte Mère, je retire et rétracte de mon avis sur la demande de prière faite pour les juifs lors de l’Office du Vendredi Saint tout ce qui déplaît aux vénérables Pères de cette congrégation et qu’ils désapprouvent. La vitesse de la plume a trompé l’intention de la pensée, car l’adjectif ‘superstitieux’ que j’ai utilisé ne s’appliquait pas au rite liturgique, saint et vénérable, mais à l’attitude répandue au Moyen Âge concernant les juifs. »

Ainsi se termine l’incident des Amis d’Israël. Malheureusement il allait se rouvrir de manière beaucoup plus gave. Car la première vraie compromission ne date pas de 1928, mais de 1955 : la Sacrée Congrégation des Rites, dans son décret Maxima redemptionis nostrae mysteria, réformait l’ordonnance liturgique des offices de la Semaine sainte et, dans ce cadre, elle supprima la rubrique ordonnant l’omission de la génuflexion dans la prière pour les juifs… Cette compromission était regrettable et dommageable, car quoique purement symbolique, elle préparait un processus suicidaire et idéologique inacceptableen donnant corps aux « initiatives erronées » des Amis d’Israel. En mars 1959, la réforme liturgique de Jean XXIII modifiera la prière Pro judaeis dans le sens voulu par les “Amis d’Israël”. En soi ce changement n’était pas encore hérétique, puisque dans le missel ambrosien, on trouvait, au lieu de l’expression “judaicam perfidiam” (perfidie juive), la formule “plebem Iudaicam” (peuple juif). La compromission était alors encore qu’une omission…

Le plus grave restait à venir. Avec Vatican II, la compromission sera purement et simplement une trahison… Les erreurs des Amis d’Israël et le travail d’influence de Jules Isaac avaient porté leurs fruits amères et pervers. Car dès 1928, les Amis d’Israël eux-mêmes s’étaient proposé d’abandonner même de manière générale, la notion de « conversion » s’agissant des juifs, sous le prétexte que ce terme avait quelque chose d’“odioso”, autrement dit de déplaisant, pour les personnes juives… Après le concile Vatican II, la nouvelle version du Missel (1970), au lieu de dire : « Prions même pour les Juifs perfides, afin que le Seigneur notre Dieu enlève le voile qui couvre leurs cœurs, et qu’ils reconnaissent avec nous Jésus-Christ Notre-Seigneur », déclarait : « Prions pour les Juifs à qui Dieu a parlé en premier : qu’ils progressent dans l’amour de son Nom et la fidélité à son Alliance. » Et au lieu de la prière : « Dieu tout puissant et éternel, qui, dans votre miséricorde, ne repoussez pas même les Juifs perfides, exaucez les prières que nous vous adressons au sujet de l’aveuglement de ce peuple ; afin que, reconnaissant la lumière de votre vérité qui est le Christ, ils soient enfin arrachés à leurs ténèbres. Par le même J.C.N.S. Ainsi soit-il. », on eut : « Dieu éternel, Dieu tout-puissant, toi qui as choisi Abraham et sa descendance pour en faire les fils de ta promesse, conduis à la plénitude de la rédemption le premier peuple de l’Alliance, comme ton Église t’en supplie. Par Jésus, le Christ, notre Seigneur. »

Comme le remarquera tout observateur impartial, nous sommes face à un « virage à 180 degrés » par rapport au texte traditionnel. Il n’est plus question de conversion des juifs, ce qui signifie que les promesses divines faites à Israël sont reconnues de façon pérenne. Et ici, nous sommes purement et simplement dans l’hérésie…

VIII. La Judaïsation de l’Église

Nina Valbousquet est une historienne engagée… Pour elle, « une responsabilité juive dans l’assassinat de la famille impériale russe des Romanov… » relève du « mythe » (C&A, p. 178) ; « La synchronie entre la révolution bolchevique et la déclaration Balfour est une coïncidence qui sert d’aubaine pour les antisémites conspirationnistes. » (C&A, p. 78) ; le « judéo-bolchevisme et de la conspiration juive mondiale » ne sont que « des mythes répandus… » (C&A, p. 262). Elle reste sceptique « envers la “judaïsation” de la société chrétienne » qui résulte selon elle d’une « obsession spécifique du groupe intégral » (C&A, p. 224) La « “judaïsation” de la société » relève d’un « discours conspirationniste et contre-révolutionnaire… » (C&A, p. 286) « La hantise de la judaïsation et la prescription de mesures de discrimination contre les Juifs (annulation de l’émancipation, restauration des ghettos, numerus clausus, empêchements civils, politiques et économiques) facilitent le rapprochement – ne serait-ce que ponctuel – des catholiques intégraux avec tous types d’antisémites, même laïques et pangermanistes, tant que ceux-ci se rattachent au même courant des “anti-Lumières”. Tout autant que les antisémites de tendance sécularisée, Benigni et ses collaborateurs catholiques professent un antisémitisme social et économique virulent […]. La modernité post-1789 et la “judaïsation” de la société deviennent synonymes […]. Cela explique que l’antisémitisme de Jouin, par exemple, s’adresse avant tout aux fidèles catholiques, en appelant à leur conversion et non pas à celle des Juifs jugée inutile – car la lutte contre la sécularisation apparaît comme l’unique solution à la question juive. […] Pour Benigni et ses collaborateurs, l’antisémitisme devient un critère, une ligne de démarcation entre les vrais catholiques éclairés, d’une part, et les catholiques égarés, “faux-amis” et autres “complices enjuivés”, d’autre part. […] Certes Benigni n’a pas le même impact que le père Tacchi Venturi, émissaire officieux du Saint-Siège auprès du gouvernement fasciste, qui essaie de convaincre Mussolini, dès 1926, de l’imminence d’une conspiration juive mondiale. Toutefois, Benigni s’inscrit dans la même tendance de fond, celle d’une sorte de lobby catholique auprès du régime fasciste, plaidant pour l’introduction de mesures de “défense” contre les Juifs, effaçant par là même l’héritage révolutionnaire de l’émancipation et de l’égalité civile entre catholiques et non-catholiques. » (C&A, p. 285-286 & 289-290)

Les personnes qui désirent approfondir ces questions pourront lire utilement : Ils ont tué le Tsarde Nicolas Ross (Éditions des Syrtes, 2018) ; De la Question Juivede l’abbé O. Rioult, (Éditions Saint Agobard, 2019) ; Le grand secret du communisme de David Duke (Free speech press, 2015) et Des origines du mondialisme à la grande réinitialisation de Pierre Hillard (Culture & Racines, 2022).

Pour conclure, nous voudrions remercier Nina Valbousquet pour l’énorme travail qu’elle a accompli, mais aussi attirer l’attention du lecteur sur sa conclusion et dire tout de même quelques mots de la judaïsation de l’Église.

A la dernière page de son livre, Nina Valbousquet signalait que « l’article du marquis de La Franquerie publié dans Le Bloc catholique en 1927, dénonçant l’infiltration juive au Vatican, est de nouveau reproduit dans le bulletin des Francs Catholiques (n° 31, éditions Saint-Rémi, janvier 2014 – des extraits sont disponibles en ligne : http://saint-remi.fr/ fr/revue-la-voix-des-francs/1349-la-voix-des-francs-n31.html.), une renaissance de l’ancienne Ligue franc-catholique, et ce, encore en janvier 2014, alors que gronde la manifestation “Jour de colère” aux cris de “mort aux Juifs”. » Nina concluait dans son tout dernier paragraphe : « Il y a donc une autre histoire à écrire, celle des prolongements de l’antisémitisme catholique après la Shoah et de sa réactivation dans les réseaux traditionalistes opposés au concile Vatican II. » (C&A, p. 290)

Nous laissons à Nina la responsabilité de son amalgame final pour passer le concept de “judaïsation de l’Eglise” au crible des faits afin de voir s’il correspond bien à la réalité ou s’il est un mythe, fruit d’une vue d’un esprit faussé et obsessionnel ?

Tout d’abord, voici ce que Nina écrivait sur le marquis de La Franquerie. Dans les années 1930, « les collaborateurs proches de Benigni forment désormais un bastion intégral, lancés dans une ultime bataille acharnée contre tous les “traîtres du dedans” : catholiques ralliés, démocrates-chrétiens, “philosémites”, ou encore “chrétiens rouges”. » (C&A, p. 245) Un an après la mise à l’Index de l’Action française par Pie XI (1926), le marquis André Lesage de La Franquerie, rédacteur en chef de la RISS à partir de 1926, publie, à l’été 1927, un long article du Bloc catholique intitulé “Le plan judéo-maçonnique contre l’Église” sous le pseudonyme de Louis de Beslon. Il invoque « une conjuration judéo-maçonnique qui menacerait les sommets de l’Église : “Nous croyons particulièrement utile, aux heures troublées que nous traversons, de rappeler aux catholiques le plan de la judéo-maçonnerie contre l’Église. […] Depuis un siècle, la judéo-maçonnerie rêve et s’efforce de pénétrer au Vatican et de faire monter sur le trône de saint Pierre un homme qui accomplira, inconsciemment, ses desseins. […] Ainsi, dès cette époque [la Révolution française] – et il en est de même de nos jours – la judéo-maçonnerie voulait : 1. Placer l’un des siens au Vatican et recruter de nombreux membres du clergé ; 2. S’attaquer plus spécialement aux pays latins : France, Espagne, Italie ; 3. Détruire la Maison de France.” Face au “monde aveuglé”, “décérébré”, seule l’Église aurait le courage de s’opposer à cette “action diabolique”, selon La Franquerie, dans un passage rendant explicite le lien entre antisémitisme et antimodernisme : “Pour mettre le monde en garde contre les agissements criminels de la judéo-maçonnerie, les Souverains Pontifes condamnèrent solennellement le libéralisme, le modernisme, l’américanisme, le socialisme, le Sillon et, en général, tous les principes modernes issus de la Révolution et des ‘droits de l’Homme’.” Cette clairvoyance unique de l’Église expliquerait pourquoi le monde catholique serait désormais devenu la cible privilégiée des attaques de la “judéo-maçonnerie”. La stratégie de cette dernière vise à “arriver au triomphe de l’idée révolutionnaire par un Pape”, afin que “prêtres et laïcs se persuadent que le christianisme est une doctrine essentiellement démocratique” ; ce faisant l’article disqualifie la démocratisation de l’Église en la présentant comme un phénomène essentiellement judéo-maçonnique. » (C&A, p. 245)

La conclusion de l’article était : « La judéo-maçonnerie a pris pied au Vatican et – humainement – il semble qu’elle va bientôt triompher définitivement de l’Église et de la France. […] La foi des croyants – loin d’être ébranlée par tout ce qui arrive et notamment par des faits aussi bouleversants que la condamnation de l’Action française – doit se fortifier dans l’épreuve, car elle sait que l’Église a les promesses d’éternité. » (C&A, p. 253) L’archevêque de Toulouse, Mgr Germain, condamnera Le Bloc catholique et en interdira la lecture par une ordonnance du 28 septembre 1927. Mais comme le signale Nina Valbousquet : « La réaction de la hiérarchie ecclésiale contre Le Bloc catholique s’explique ainsi dans le contexte de la condamnation de l’AF ; elle résulte davantage d’une indignation face à l’accumulation d’attaques de la revue contre plusieurs personnalités catholiques que d’une véritable préoccupation de la hiérarchie pour l’antisémitisme. » (C&A, p. 254)

Alors qu’en est-il ? Les choix prudentiels et malheureux ou les faiblesses d’un Pie XI et d’un Pie XII ont-ils, oui ou non, favorisé une judaïsation de l’Église qui serait devenue effective avec la révolution de Vatican II ? Jean XXIII, puis ses successeurs, ont-ils œuvré à faire de l’Église une annexe de la synagogue ? Jean XXIII, hier, et François, aujourd’hui, sont-ils des ministres de la “judéo-maçonnerie” ? Cette stratégie de la “judéo-maçonnerie” visant à “arriver au triomphe de l’idée révolutionnaire par un Pape”, afin que “prêtres et laïcs se persuadent que le christianisme est une doctrine essentiellement démocratique” a-t-elle réussi ?

Ces questions sont essentielles. Sans pouvoir les traiter à fond ici – nous renvoyons nos lecteurs à nos livres sur ces sujets (L’apothéose humaine, De la Question Juive, L’Église et l’Apostasie) -, nous pensons que le fait suivant suffira à éclairer la lanterne de nos lecteurs.

« Les collaborateurs de Benigni émettent des doutes explicites sur la probabilité, la faisabilité et la sincérité des conversions juives au catholicisme. Jouin suggère même une analogie entre conversion religieuse et subversion politique : “il ne faut compter ni sur la conversion des Juifs, ni sur l’assagissement des communistes”. Boulin de son côté n’envisage la conversion que dans la perspective surnaturelle et eschatologique de la fin des temps : “ […] Cette solution idéale, remise aux derniers jours du monde, peut donc aussi bien se réaliser dès demain que tarder des dizaines de siècles encore ; et il faut en attendant, trouver une réponse à la question de vie ou de mort, de jour en jour plus pressante, que posent à la conscience des nations civilisées l’existence du Juif, l’audace de ses entreprises, la menace de son monstrueux triomphe”. La conversion ne pallie nullement l’urgence d’une action antijuive jugée vitale. Benigni va même plus loin en considérant la conversion comme dangereuse en tant qu’infiltration juive dans le corps catholique. Il procède à une relecture de l’histoire des relations judéo-chrétiennes au prisme de la “fausse conversion” et des “crypto-juifs” : la conversion ne serait qu’une stratégie des Juifs pour subvertir la société chrétienne de l’intérieur. Benigni stigmatise le Juif qui serait “prêt à recevoir le baptême, même plusieurs fois si c’est nécessaire, pour échapper aux punitions qu’il a méritées et pour faire de cette nouvelle profession religieuse un nouveau moyen pour porter un coup encore plus grave contre l’Église”. Citant des historiens latins et chrétiens comme références d’autorité, le prélat italien déploie plusieurs exemples de “ruses juives”, en suivant la même trame narrative : dissimulation des Juifs par la conversion, instrumentalisation de cette conversion à des fins de domination, dévoilement final de l’imposture grâce aux autorités chrétiennes. Il loue la “prudente mesure” du concile d’Agde (506) instaurant des règles plus strictes pour le catéchuménat […]. Si le Juif est perçu comme ayant toujours été un parasite infiltré parmi les nations, l’Ancien Régime pouvait néanmoins contenir cette infiltration en séparant les Juifs de la société chrétienne et en les rendant visibles et identifiables. Au contraire, l’âge des Révolutions a rompu cette ligne de séparation et aurait permis une dangereuse pénétration juive dans la société. […] Benigni sonne l’alarme contre le parasite “Israël” introduit dans le corps chrétien : “Il est toujours à l’œuvre pour nous contaminer et nous saigner : l’âme d’abord et la bourse, puis le corps. […] Il est déjà bien tard ; d’un moment à l’autre il sera trop tard.” […] Benigni stigmatise l’infiltration des “fils d’Israël” et autres “rongeurs” dans l’industrie italienne. Jouin dénonce surtout la présence des Juifs dans la culture, la presse, l’éducation et l’administration, vecteurs par lesquels “les Juifs travaillent à la déformation de l’esprit par la diffusion des idées fausses”. De même pour Boulin, la judaïsation prend la forme d’une dissolution des mœurs, en particulier dans la France urbaine : “[…] Paris surtout est en proie aux Juifs, déjà maîtres des premiers postes de l’Université” […] et promeut l’instauration d’un “numerus clausus” : une “clôture préservatrice”, limitant le nombre de Juifs à l’université, à étendre également aux professions libérales et commerciales. Il salue ainsi les propositions des extrêmes droites roumaines, hongroises ou lettones en 1923 [comme] “une mesure de salut public [face à] une nationalité ennemie du genre humain”. » (C&A, p. 223-226)

La RISS fait donc de l’antisémitisme et du philosémitisme un des « éléments de distinction entre les catholiques “éclairés” et les catholiques “aveuglés” et “complices” des Juifs : “puisse au moins le décret du Saint-Office achever d’ouvrir sur ce point les yeux de tous les catholiques, [écrira l’abbé Boulin]. » (C&A, p. 237)

Pour les intégraux, la judaïsation de l’Église relève donc d’un fait qu’ils combattent et non d’une idée qu’ils théorisent. Depuis le New Jersey, Leslie Fry se plaint à Mgr Benigni « de la situation “épouvantable” du catholicisme américain dont les dirigeants seraient “tous vendus aux Juifs”. Elle explique les tendances trop indépendantes de l’Église américaine vis-à-vis de Rome, ainsi que le manque de conscience antisémite chez les catholiques aux États-Unis, par une complicité avec les Juifs : “Le gros des Catholiques ici marche la main dans la main avec les Juifs et sont leurs meilleurs soutiens”. La réponse que Benigni adresse à Fry est symptomatique des amalgames qu’il construit entre intégralisme et antisémitisme, d’une part, et modernisme et philosémitisme, d’autre part : “[…] En pratique, le catholique intégral est le contre-révolutionnaire, intégral, antisémite, anti-maçon etc. ; l’autre [le moderniste] est un “transactionniste” sur tous les terrains”. […] En 1926, Boulin dénonce l’“hébraïsation volontaire” des catholiques : “Nous sommes décidés à en finir avec cette campagne internationale en faveur d’Israël dans les milieux catholiques et nous répétons pour notre part : oui, c’est une démence ou une trahison.” » (C&A, p. 228)

Pour illustrer le fait de la judaïsation de l’Église, nous allons résumer un article d’Olivier Rota, intitulé L’Association de Prières pour Israël (1903-1966) (Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 2003), qui a étudié « une association prosélyte liée à la congrégation de Notre-Dame de Sion et toujours cautionnée par la hiérarchie, de sa création en 1903 jusqu’à sa disparition en 1966 : l’Association de Prières pour Israël (A.P.I.). »

En 1903, cette Association avait pour objet la conversion du peuple d’Israël, dans le prolongement de la spiritualité réparatrice et mariale de la congrégation Notre-Dame de Sion. La croissance de l’Association est rapide et s’explique en partie par l’indulgence plénière accordée le 23 mars 1906 par Pie X à ceux qui prient pour la conversion d’Israël.

Encouragé par le succès de l’A.P.I., le Supérieur général des Prêtres de N.-D. de Sion sollicite du Patriarche latin de Jérusalem l’érection en confrérie des membres déjà inscrits à Jérusalem. Mgr Philippe Camassei accède à la demande le 17 avril 1908 et confie à l’A.P.I. la mission « d’obtenir que les Juifs, reconnaissant dans le Christ la vraie lumière de la vérité, arrivent à l’unité de la foi catholique ». Le 4 juillet 1908, le pape Pie X adhère lui-même à l’A.P.I. Suite à ces patronages prestigieux, l’Association prend son essor. On dénombre plus de 100.000 membres en 1917 et 26 confréries affiliées en 1927. Chaque associé s’engage à réciter quotidiennement la prière suivante : « Dieu de bonté, Père des Miséricordes, nous vous supplions par le Cœur Immaculé de Marie, et par l’intercession des Patriarches et des Saints Apôtres, de jeter un regard de compassion sur les restes d’Israël, afin qu’ils arrivent à la connaissance de notre unique Sauveur, Jésus-Christ, et qu’ils aient part aux grâces précieuses de la Rédemption. Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. »

Mais dans les années 20-30 émergent de ce mouvement des membres à tendance philosémite. Certaines confréries déforment les enseignements de saint Paul sur l’irrévocabilité des promesses de Dieu faites à « son Peuple » ou exagèrent leurs conséquences quant aux racines juives du christianisme. On insiste, de manière lourde et à contre sens, sur la judéité de Jésus, de sa famille et de ceux qui l’ont suivi…

En 1934, un article paru dans Catholic Guild of Israel, revue dirigée par des jésuites anglais, va plus loin et franchit un cap. Devant le constat de l’échec de la congrégation de Notre-Dame de Sion à obtenir la conversion en masse des Juifs, au lieu d’attribuer ce fait à la liberté humaine des juifs eux-mêmes, elle en attribue la faute au milieu catholique antisémite. Elle appelle donc à travailler à la conversion des catholiques et lutter contre l’antisémitisme en milieu chrétien. La priorité n’est donc plus de prier pour la conversion des juifs mais « for the conversion of all Anti-Semites… » (Henriette Alinel, Act for the Conversion of all Anti-Semites, paru dans Catholic Guild of Israel, été 1934, pp 26-27)

La suppression de l’Association des Amis d’Israël en 1928, par décret romain, cause quelques troubles parmi les sympathisants des œuvres travaillant à la conversion des Juifs, et en premier lieu parmi les adhérents de l’Association de Prières pour Israël. Aussi, des précisions sont vite venues éclairer le décret romain. Le P. Joseph Bonsirven (S.J.), dans Bulletin des Missions, publie un article sur La suppression des Amici Israel, où il concède ce qui suit :

« Il semble que, poussés par un zèle mal éclairé, qui trahit la race [Allusion aux propagandistes catholiques d’origine juive du mouvement des Amici, et particulièrement à F. van Leer], les promoteurs et inspirateurs de l’œuvre ont parfois dépassé les limites du vrai et du juste ; les façons de parler, qu’ils voulaient n’être que de délicates précautions oratoires, se tournaient en apologétique spéculative et pratique du judaïsme […]. Par là aussi on fomente imprudemment l’esprit d’exclusivisme, de séparatisme et de nationalisme, auquel Israël n’est que trop enclin et qui rend plus difficile sa conversion au catholicisme, le passage à une Église où il doit se fondre dans la masse fraternelle d’une nation sainte, d’un sacerdoce royal. […] Coïncidence significative : nombre de ces amis exagérés d’Israël se passionnent pour le mouvement sioniste et le favorisent. » (T. IX/24, n° 3, 1928)

Dans la revue La Question d’Israël, le même Père jésuite rassure l’A.P.I. : « L’Eglise catholique possède, en vue de la conversion d’Israël, des organes qu’elle a solennellement approuvés et qui font depuis des années la preuve de leur fécondité, de leur sécurité : Notre Dame de Sion. Cet institut a été créé pour les mêmes fins ; il exerce les mêmes activités que l’Association ‘les Amis d’Israël’ ; cette dernière pouvait donc être supprimée, puisqu’elle ne présentait pas toutes les garanties de prudence. » (Quelques remarques sur la suppression des ‘Amis d’Israël’, n° 24, août 1928).

Des années 1930 aux années de la guerre, l’apostolat de l’Association de Prières continue sans connaître aucune modification remarquable. Il faut attendre l’après-guerre et sa propagande pour voir certains membres de l’Association remettre en cause leur engagement. Une nouvelle revue voit le jour, dirigée par les Pères de Sion, qui vient dénaturer les fondements de la vision catholique des juifs et du judaïsme. Dès leur premier numéro en 1947, les Cahiers sioniens se posent en rupture avec l’avant-guerre : « Nous estimons que le souvenir de ces millions de victimes conditionne désormais les réflexions, les jugements de ceux qui étudient les problèmes que soulèvent sur notre planète la condition des juifs. »

De 1947 à 1955, ce sont tous les fondements de la théologie de la substitution qui sont critiqués dans les Cahiers sioniens. Les sophismes et les jugements hérétiques abondent. Tout est fait pour réévaluer le judaïsme dans un sens positif en entretenant la confusion entre le mosaïsme abrogé qui avait préparé la venue du Christ et le talmudisme qui combat l’action du Christ… C’est dans ce contexte qu’une circulaire de M. Marie-Félix du 2 février 1951 met en porte-à-faux les orientations prosélytes de l’Association : « Montrons enfin au dehors que nous travaillons plutôt à un rapprochement entre Juifs et chrétiens qu’à des conversions prématurées. Une réputation de ‘prosélytisme’ nuirait à notre apostolat plutôt qu’elle ne le servirait. »

Créée pour l’apostolat d’Israël, l’A.P.I. renonce à sa prédication aux Juifs et recentre ses activités en direction des catholiques. Puis, suite à l’Affaire Finaly (1952-1953), les Echos de Notre-Dame de Sion, pour la première fois, prennent en compte les arguments de la partie juive dans son contentieux avec les catholiques. Les enfants Finaly sont deux orphelins juifs, âgés respectivement de deux et trois ans, confiés par leurs parents avant leur mort aux religieuses de Notre-Dame de Sion à Grenoble en 1944. En raison du très jeune âge des enfants, les religieuses les confient à une fervente catholique, mademoiselle Antoinette Brun qui refusera de les livrer, après la guerre, à leur tante et les fera baptiser en 1948. Le Consistoire central et les rabbins Schilli et Kaplan interviennent auprès des autorités politiques et religieuses, alertant également les médias. La presse de gauche et anticléricale s’implique fortement, ainsi que la presse catholique progressiste qui condamnent la conduite d’une partie du clergé. Finalement, le cardinal Pierre Gerlier, archevêque de Lyon, décide de négocier avec le Grand rabbin Kaplan et avec la famille des enfants : les deux enfants doivent être restitués à leur famille et en contre-partie, la famille s’engage à retirer ses plaintes contre les religieux. Au mois de juin 1953, les deux enfants baptisés rejoignent leur famille en Israël…

Le Cardinal Gerlier venait de trahir l’Evangile et avait désobéi aux instructions du Saint Office données en 1946, et approuvées par Pie XII au sujet « des enfants juifs qui, pendant l’occupation allemande ont été confiés aux institutions et aux familles catholiques et qui sont réclamés par des institutions juives pour leur être remis » : « Les enfants qui ont été baptisés ne pourraient être confiés aux institutions qui ne seraient pas à même d’assurer leur éducation chrétienne. Pour les enfants qui n’ont plus de parents, étant donné que l’Église s’est chargée d’eux, il ne convient pas qu’ils soient abandonnés par l’Église ou confiés à des personnes qui n’auraient aucun droit sur eux, au moins jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de disposer d’eux-mêmes. Ceci évidemment, pour les enfants qui n’auraient pas été baptisés. Si les enfants ont été confiés par les parents, et si les parents les réclament maintenant, pourvu que les enfants n’aient pas reçu le baptême, ils pourront être rendus. » (Note du S.O. du 23 oct. 1946 remise au Cardinal Gerlier le 30 avril 1947)

Après cette affaire, il faudra encore dix ans pour que se concrétise un changement significatif dans l’apostolat de la congrégation – et par extension au sein de l’Association de Prières. Le temps du prosélytisme catholique approchait de sa fin : la vocation de la congrégation de Sion fondait maintenant son nouvel apostolat non plus sur la conversion des juifs mais sur le rapprochement judéo-chrétien…

Puis vint 1962 et la subversion du concile Vatican II. L’irénique Jean XXIII décide de rendre les armes sans combattre… c’est l’ouverture au monde. Le Christ disait que les chrétiens sont dans le monde sans être du monde ; mais les modernistes eux veulent être du monde… Ce changement d’attitude suicidaire, introduit par Jean XXIII, sera bien sûr présenté sous apparence de bien par un sophisme qui dénature l’amour du prochain et la charité du Christ et qui peut se résumer en : Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil…

En conséquence, le 21 mars 1964, une nouvelle circulaire de S. Marie-Laurice décide la mise en veilleuse de l’Association : « Le développement du Mouvement œcuménique dans l’Eglise et les orientations du Concile nous amènent à réviser nos attitudes apostoliques, en particulier celle qui est propre à Sion. […] L’Eglise prend une nouvelle conscience des valeurs religieuses qui existent chez tous nos frères croyants, non-catholiques et même non-chrétiens. [Par] conséquent, nous n’aurons plus de prières pour la ‘conversion’ des Juifs. […] Ceci exige la suppression totale des feuillets, brochures, tracts, dépliants, etc… concernant l’A.P.I. […] Les documents sur la vie de nos Pères et de nos premières mères, […] seront désormais considérés comme archives privées, à l’usage strict des Sœurs, ainsi que le Directoire. »

En 1965, c’est la déclaration conciliaire Nostra ætate sur l’Eglise et les religions non-chrétiennes. M. Riegner, membre influent du Congrès juif mondial déclarera à ce sujet que « les organisations juives saluent l’adoption du texte de Nostra ætate…, le cardinal Béa a souligné avec raison que, de tous les textes adoptés par le deuxième concile du Vatican, celui sur les Juifs est le seul qui ne contient aucune référence aux enseignements traditionnels de l’Église, qu’ils soient patristiques, conciliaires ou pontificaux. Cela démontre à l’évidence le caractère révolutionnaire de cet acte. » (Gerhart M. Riegner, Ne jamais désespérer…, Cerf, 1998, Ch. IV).

Contrairement aux Amis d’Israël, l’Association n’a pas été supprimée, mais elle s’est auto dissoute, elle a disparu ipso facto au cours de la révolution ecclésiologique du Concile Vatican II qui devait abandonner toute idée de mission envers les juifs… Vatican II, Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI et François sont aujourd’hui tellement soumis aux desiderata juifs qu’ils en sont venus à faire de l’Église une sorte d’annexe de la synagogue… Leur enseignement hérétique, qui contredit les Écritures et deux mille ans de théologie catholique fondée sur les Pères et le magistère, se résume à prétendre que l’ancienne alliance n’aurait jamais été abrogée, qu’Israël devrait être toujours considéré comme le peuple de Dieu et que l’Église n’a donc plus à chercher la conversion des juifs…

A ce niveau on n’est plus dans la judaïsation de l’Église, on est dans une trahison pure et simple ; on est dans l’apostasie, et cela annonce la fin des temps prophétisée par les Écritures…

Conclusion

Pour conclure, nous ne pouvons pas mieux faire que de livrer le témoignage de l’abbé Pie Mortara († 1940). Vers 1850, une chrétienne au service d’une famille juive de Bologne, ville des Etats pontificaux, baptisa, en danger de mort, le petit Mortara. Mais l’enfant de quelques mois était revenu à la santé. Après enquête de l’inquisiteur de Bologne, le baptême fut déclaré valide. Edgar, alors âgé de sept ans, étant sans aucun doute chrétien, avait le droit à une éducation chrétienne. Pour éviter ces situations délicates, la loi interdisait aux juifs d’employer à leur service des serviteurs chrétiens. Les parents d’Edgar n’avaient pas respecté cette loi… Et comme des parents juifs sont incapables d’élever chrétiennement leur enfant, l’Inquisition romaine, approuvée par Pie IX, décida, selon le droit, de retirer Edgar à ses parents et de confier son éducation à la société chrétienne. Parvenu à l’âge d’homme, le baptisé de Bologne avait non seulement persévéré dans la foi chrétienne, mais il était devenu prêtre et religieux.

Dans la première partie de son témoignage, le Père Mortara raconte puis justifie son histoire en rendant hommage à Pie IX. Dans une seconde partie, il parle de « la question juive » et de « l’antisémitisme ». Après avoir rappelé que son baptême « survenu quelques mois seulement après [sa] naissance, [avait] neutralisé l’influence du sémitisme héréditaire », il continuait ainsi :

« Au sujet de l’antisémitisme, je dois distinguer deux aspects : 1° la question de principe, de religion et de mœurs, la prépondérance politique et sociale ; 2. l’antagonisme de race, et, par suite, les représailles, la haine et les persécutions.

« En supposant spéculativement que l’antisémitisme ne soit que la lutte entre le christianisme avec ses droits et sa prépondérance légitime, et le judaïsme déchu de la morale fondée sur la révélation primitive, cette lutte est raisonnable et légitime. Le judaïsme de nos jours, quelle que soit sa dénomination, nie la divinité de Jésus-Christ, et, par suite, le surnaturel dans l’évangile et la morale catholique. Il se perd dans le Talmud et dans la Kabale, se laissant aller aux transactions avec le philosophisme rationaliste, ou bien achevant de s’engouffrer dans l’agnosticisme. C’est là le fond de son symbole. Depuis 25 ans, je voyage en qualité de missionnaire dans les deux mondes, et partout j’ai constaté ces traits caractéristiques du Judaïsme moderne.

« Pour nous, catholiques, il y a là un grand danger qu’il faut combattre. Et comme les principes s’incarnent dans les hommes, il est naturel qu’en fait on combatte les Juifs en tant que partisans d’une morale fausse et impie. Cette lutte se poursuivra ainsi, d’autant plus que, jusqu’à la fin des âges, le Juif sera là, endurci comme le noyau du fruit mûr, témoin en permanence de la réalisation des prophéties, annonçant d’avance depuis Moïse, jusqu’à l’Apocalypse, son endurcissement et sa déchéance.

« Que pour beaucoup d’antisémites la lutte ne soit pas religieuse mais purement de race, nous le savons ; et même à ce point de vue, nous n’affirmerions pas qu’elle soit injustifiable, cependant des réserves sont nécessaires. […] Le Juif rationaliste […] a adoré le veau d’or ; il a fait, de la banque et de l’argent, son Messie de tous les jours. C’est par là qu’il aspire à l’hégémonie, car tout obéit à l’argent. C’est aussi sur ce terrain qu’on la lui dispute. […] Une juste et légitime défense, sur le terrain de l’industrie et du commerce n’implique pas le droit de traquer et de massacrer son adversaire.

« […] Travaillons à la conversion des Juifs, non pas tant par la polémique, qu’en leur montrant la beauté de la religion catholique. Ce prosélytisme ne doit pas cependant s’étendre jusqu’aux mariages mixtes, qui peut-être feraient quelques chrétiens et sûrement bien plus de Juifs. On connait le résultat des mariages mixtes entre protestants et catholiques. Et surtout la prière. C’est ce qu’on oublie souvent. […] Ici, à Paris, à Notre-Dame de Sion, il y a des anges de prière, qui intercèdent en permanence pour la conversion de nos frères, les Juifs. Plaise à Dieu que cette belle œuvre antisémitique ait plus d’écho et de diffusion. » (P. Pie-Marie Mortara, chanoine régulier de Saint Augustin, L’Univers, 19 mai 1898)

Nous pensons que si Nina Valbousquet avait connu ce témoignage, elle n’aurait pas intitulé son livre : “catholique et antisémite”, mais plutôt : “catholique donc antisémite”…

Abbé Olivier Rioult,
22 août 2022