5°) L’incohérence officielle de la FSSPX. 1
“Vous me tendez un piège ! … Je préfère suspendre ma réponse.”. 3
5°) L’incohérence officielle de la FSSPX
Si Mgr Fellay a déserté le combat de la foi contre les antichrists romains et que la trahison officielle de la FSSPX date de 2012, son incohérence est beaucoup plus ancienne et trouve sa racine dans une difficulté que Mgr Lefebvre n’a malheureusement pas pu, ou pas voulu, résoudre. À la question de savoir si l’on peut reconnaître les autorités vaticanes comme légitimes et leur désobéir en presque tout où normalement elles auraient droit à l’obéissance, Mgr Lefebvre n’a jamais pu donner de réponse théorique parfaitement satisfaisante. Il s’est contenté de résoudre ce problème de manière pratique en nous faisant survivre loin de la Rome conciliaire.
Donnons tout d’abord ici quelques faits manifestant cette incohérence officielle.
Premier fait : la Fraternité a institué ses propres tribunaux :
« Nous avons pouvoir et devoir de porter de vraies sentences, ayant potestatem ligandi vel solvendi. Elles ont donc valeur obligatoire. La raison prochaine en est que nous devons pouvoir dire aux fidèles ce qu’ils doivent suivre, quod debent “servare”. Nos sentences ne sont pas de simples avis privés, car un tel avis ne suffit pas là où le bien public est engagé ; or le bien public est engagé dans chaque cause où le lien matrimonial est discuté. […] Mais ce n’est pas une usurpation de pouvoir de droit divin du pape, car la réserve de cette troisième instance au pape est seulement de droit ecclésiastique ! Enfin, nos sentences, comme tous nos actes de juridiction supplétoire, et comme les sacres épiscopaux eux-mêmes de 1988, 1991, etc., devront être confirmées ultérieurement par le Saint-Siège. »[1]
Un tel agir est-il compatible avec la reconnaissance que Rome est l’autorité légitime ? Que se passerait-il si les décisions de la Fraternité n’étaient pas confirmées ultérieurement par le Saint-Siège ? Par ses tribunaux, non seulement la Fraternité remplace le Saint-Siège, mais elle interdit à ses fidèles – sous serment – d’y recourir, alors qu’elle en reconnaît l’autorité. Qui désire par exemple recevoir de la Fraternité un jugement constatant la nullité de son mariage doit jurer “de ne pas approcher un tribunal ecclésiastique officiel pour lui faire examiner ou juger ma cause”, car le principe est que les fidèles “n’ont pas le droit d’aller aux tribunaux nouvel ordo”, “même si par impossible on pouvait trouver tel ou tel tribunal officiel qui jugeât des causes de mariage selon les normes traditionnelles”[2]. Or, comme le remarque la revue Sodalitium, recourir au Saint-Siège est un droit qu’a tout fidèle du fait du primat du Souverain Pontife (can. 1569). Interdire ce recours est une négation pratique du primat et une déclaration nette de schisme, à moins que l’autorité pontificale ne soit plus vraiment une autorité.
« Le droit prévoit des cas dans lesquels l’Église supplée à la juridiction (“Ecclesia supplet”) manquante du prêtre : en cas de danger de mort par exemple, tout prêtre peut absoudre validement (can. 882), de même qu’il peut le faire, selon la prescription du canon 209, en cas de doute positif et probable (de posséder ou non la juridiction) ou bien d’erreur commune (les pénitents pensent de façon erronée que le prêtre a la juridiction). Il était cependant évident que les canons invoqués ne suffisent pas à justifier la pratique de confesser habituellement et constamment sans juridiction, ce pour quoi Mgr Lefebvre étendait le cas de danger de mort physique du pénitent – prévu par le code – à celui de péril de mort spirituelle dans lequel se trouvent tous les catholiques vu la situation actuelle de l’Église. N’est-ce pas là raisonner “comme si” on ne reconnaissait plus de fait la légitimité de la hiérarchie et la validité des nouveaux sacrements ? »[3]
Un deuxième fait, bien mis en valeur par M. l’abbé Pivert dans Quel droit pour la Tradition ? Le procès des Abbés Salenave et Pinaud, est celui du problème des deux codes. Etant donné que le code de 1983 remplace celui de 1917, comment deux législations qui s’excluent peuvent-elles subsister dans l’Église ? La Fraternité Saint Pie X prétend suivre celui de 1917 tout en ne refusant pas celui de 1983. En réalité, la Fraternité Saint Pie X suit un troisième code, dont l’auteur n’est ni Benoît XV (qui promulgua celui de 1917) ni Jean-Paul II (auteur de celui de 1983) mais celui du Supérieur Général de la Fraternité dont le code est composé “en principe” des lois de 1917, et “en pratique”, dans certains cas, de celles de 1983. Depuis quand le Supérieur de la Fraternité a-t-il autorité pour composer motu proprio un code canonique ?
Voici maintenant un troisième fait : le jugement de deux théologiens de la Fraternité Saint Pie X :
« Que reste-t-il du magistère dans l’Église ? Il est de foi que le Seigneur a doté son Église d’un Magistère vivant et perpétuel, c’est-à-dire de voix pontificale et épiscopales qui, à chaque époque et dans le présent, se font l’écho de la révélation divine, le relais de la tradition. Eh bien, ce magistère, au moins quant aux vérités niées par les conciliaires, c’est en Mgr Lefebvre que nous le trouvons de manière sûre. C’est lui, le véritable écho de la tradition, le témoin fidèle, le bon pasteur, que les brebis simples ont su discerner au milieu des loups couverts de peaux de brebis. Oui, l’Église a un magistère vivant et perpétuel et Mgr Lefebvre en est le sauveur. L’indéfectibilité de l’Église, c’est l’Archevêque inflexible […] ».[4]
[Au sujet de la nécessité des sacres du 30 juin 1988]. « Pour que l’on puisse parler de l’indéfectibilité de l’Église, il faut qu’à toutes les époques et à tous les moments de son histoire, il y ait un magistère qui prêche infailliblement et des fidèles qui adhèrent de même à cet enseignement, quel que soit le nombre effectif de ces Evêques et de ces fidèles. Mgr Lefebvre […] ne pouvait pas ne pas donner à l’Église le moyen de sauvegarder son indéfectibilité. Tradidi quod et accepi : c’est maintenant à nous, sous la direction du magistère, de garder ce dépôt. »[5]
Ces paroles en disent trop ou alors pas assez ! Si « l’indéfectibilité de l’Église, c’est l’Archevêque inflexible », si « Mgr Lefebvre ne pouvait pas ne pas donner à l’Église le moyen de sauvegarder son indéfectibilité », où est l’Église ? Où est l’autorité dans l’Église ? En Mgr Fellay, successeur de l’abbé Schmidberger, lui-même successeur de Mgr Lefebvre ?
Notons une dernière incohérence : s’il est vrai que la FSSPX a contraint certains prêtres non una cum à quitter la Fraternité, il est tout aussi vrai qu’elle ne les a pas tous chassés. Mgr Fellay, qui reconnaît François comme vrai pape, autorise lui-même des non una cum dans la FSSPX (Abbé Guegen et bien d’autres). De même, la FSSPX n’a jamais cessé sa collaboration publique avec certains prêtres non una cum dont la conviction penche pour la déchéance formelle du pape (Le Père Avril, le Père Raffali, le curé de Marzy, M. l’abbé Fleury, le curé de Riddes, M. l’abbé Epiney… les défunts abbés Coache, Sockel, Schaeffer… et bien d’autres).
La position officielle de la FSSPX apparaît de plus en plus comme une pieuse fiction. Car de facto, elle refuse : la communion liturgique avec le pape et les évêques du monde entier (novus ordo), le droit législatif de l’Église universelle (code de 1983), le magistère ordinaire de l’épiscopat en union avec le pape sur certains points (liberté religieuse…), les déclarations et définitions comme « saints » des « bienheureux Jean XXIII et Jean Paul II » inscrits par François « dans le catalogue des saints » établissant « que dans toute l’Église ils soient dévotement honorés parmi les saints »… Bref, dans la réalité, la FSSPX n’est pas en communion avec François, les évêques du monde et l’Église officielle. Devant cette réalité, il ne semble y avoir que deux possibilités : soit la Fraternité est schismatique, soit François n’est plus vraiment catholique.
“Vous me tendez un piège ! … Je préfère suspendre ma réponse.”
Mgr Lefebvre est, d’une certaine manière et sans l’avoir voulu, la cause de la crise dans la Fraternité. La vraie cause étant bien sûr l’apostasie de Rome et la confusion qu’engendre le mystère d’iniquité. Des personnes n’appartenant pas à la FSSPX, ont plusieurs fois remarqué que ses membres avaient une vision diamétralement opposée sur le principe d’un accord avec la « Rome moderniste ». Tous s’appuient sur le même Mgr Lefebvre mais en l’interprétant de manière contradictoire. Comment cela est-il possible ? Tout simplement parce que Mgr Lefebvre a toujours voulu reconnaître à la fois une Rome moderniste présente (à laquelle il faut désobéir) et une Rome éternelle passée (à laquelle il faut être fidèle). Il a bien dit parfois que la Rome moderniste n’était en rien la Rome éternelle et qu’elle était donc illégitime, hérétique, apostate et sans aucune autorité, mais il a aussi toujours tenu à reconnaître, sans aucun doute possible, l’autorité des occupants du siège romain… Depuis la fameuse déclaration du 8 novembre 1979 intitulée : “Position de Mgr Lefebvre sur la nouvelle messe et sur le Pape”, Mgr Lefebvre reconnaissait théoriquement la légitimité de Paul VI, de Jean-Paul II… mais agissait pratiquement comme si cette reconnaissance n’existait pas. Là est le point faible de la Fraternité sacerdotale saint Pie X. Ceci est une fois de plus la constatation d’un fait.
La situation apocalyptique que nous vivons explique en grande partie cette confusion. Dès le 28 janvier 1978, le cardinal Seper avait reproché à Mgr Lefebvre cette “praxis” incohérente :
« Vous ordonnez des prêtres contre la volonté formelle du Pape et sans les ‘litteræ dimissoriæ’ requises par le Droit Canonique ; vous envoyez des prêtres ordonnés par vous dans des prieurés où ils exercent leur ministère sans l’autorisation de l’Ordinaire du lieu ; vous faites des discours propres à répandre vos idées dans des diocèses dont l’évêque vous refuse son consentement ; avec des prêtres que vous avez ordonnés et qui ne dépendent en fait que de vous, vous commencez, que vous le vouliez ou non, à former un groupement propre à devenir une communauté ecclésiale dissidente. A ce propos il faut relever l’étonnante déclaration que vous avez faite[6] au sujet de l’administration du sacrement de pénitence par les prêtres que vous avez illicitement ordonnés et qui ne sont pas pourvus de la faculté d’entendre les confessions. Vous estimiez que ces prêtres avaient la juridiction prévue par le Droit canonique pour les cas de nécessité : “Je pense – disiez-vous – que nous nous trouvons dans des circonstances non pas physiques, mais morales extraordinaires.” N’était-ce pas raisonner comme si la hiérarchie légitime avait cessé d’exister dans les régions où ces prêtres se trouvaient ? »[7]
Les réponses de Mgr Lefebvre, tout à fait pertinentes sur les questions doctrinales, ne le furent pas, par contre, sur celles qui l’auraient amené, logiquement, à nier de droit (et pas seulement de fait) la légitimité du “Pape” et des “évêques”. Ces réponses restent sur ce sujet assez vagues ou surprennent par leur faiblesse. Ainsi quand le cardinal Seper pose cette question : « Soutenez-vous qu’un fidèle catholique peut penser et affirmer qu’un rite sacramentel, en particulier celui de la Messe, approuvé et promulgué par le Souverain Pontife, puisse ne pas être conforme à la foi catholique ou “favens hæresim”? » Mgr Lefebvre répondit de façon évasive: « Ce rite en soi et par soi ne professe pas la foi catholique avec la même clarté que celui de l’ancien Ordo Missæ, il peut donc favoriser l’hérésie. Mais je ne sais pas à qui l’attribuer, et je ne sais pas même si le Pape en est responsable. »[8]
Or, qui pouvait ignorer la responsabilité de Paul VI dans la messe décrétée par Paul VI ? De même, qui pouvait ignorer la responsabilité de Pie VII dans le concordat signé par Pie VII ?[9]
Quand le cardinal Seper résuma la position de Mgr Lefebvre : « Un évêque jugeant en conscience que le Pape et l’Épiscopat n’exercent plus en général leur autorité en vue d’assurer la transmission fidèle et exacte de la foi, peut légitimement, pour maintenir la foi catholique, ordonner les prêtres sans être évêque diocésain, sans avoir reçu de lettres dimissoires et contre la prohibition formelle et expresse du Pape, et attribuer à ces prêtres la charge du ministère ecclésiastique dans les divers diocèses. […] Cette thèse est-elle conforme à la doctrine traditionnelle de l’Église à laquelle vous entendez vous tenir ? »
La réponse orale de Mgr Lefebvre fut : « Vous me tendez un piège ! ».
La réponse écrite fut : « Non. Je n’ai pas agi en partant d’un principe comme celui-là. Ce sont les faits, les circonstances où je me suis trouvé qui m’ont contraint à prendre certaines positions et en particulier le fait que j’avais dans la Fraternité Saint-Pie X une œuvre déjà légalement constituée et que je devais continuer. Je pense que l’histoire peut fournir des exemples d’actes semblables posés, en certaines circonstances, non pas contra, mais praeter voluntatem Papae. Toutefois, cette question est trop grave et trop importante pour que je puisse répondre immédiatement. Je préfère donc suspendre ma réponse. »[10]
Mais justement, Mgr Lefebvre agissait bien “contre” et pas “au-delà” de la volonté du “pape”. Le problème dans cette crise que Mgr Lefebvre n’a pas réussi à résoudre – et ceci n’est pas un reproche – est en définitive celui du pape : « Moi je ne sais pas. Je ne tranche pas…. » répétera-t-il tout au long de sa vie.
« Alors, quel est ce pape ?… Moi, je ne sais plus quoi vous dire, vraiment… je ne sais pas… Mais en tout cas il est inspiré par le diable quand il fait ça… Il n’est pas inspiré par l’Esprit-Saint, ce n’est pas possible… Il est inspiré par le diable, et au service de la Maçonnerie, c’est évident. La Maçonnerie a toujours rêvé de ça : la réunion de toutes les religions. »[11]
Conclusion
Que cela plaise ou non, force est de reconnaître que pour Mgr Lefebvre l’« hypothèse » de la déchéance du pape « hérétique, schismatique ou abandonnant pratiquement sa charge de Pasteur suprême » pourra être « un jour confirmée par l’Église. Car elle a pour elle des arguments sérieux ». « Dans la mesure où le pape s’éloignerait » de la Tradition de l’Église, « il deviendrait schismatique » et « romprait avec l’Église ». « Cette éventualité n’est pas une chose inconcevable » disait-il.
Cette hypothèse, il est vrai, n’a jamais eu ses faveurs. Mais il a pourtant déclaré : « Ça ne veut pas dire pour autant que je sois absolument certain d’avoir raison dans la position que je prends… je n’ai pas la prétention d’être infaillible… dans les différentes hypothèses théologiques, ça devient très difficile… très délicat. »
Mgr Lefebvre n’a jamais osé conclure, et on peut le comprendre tant la conclusion est inouïe et effroyable. « Pour le moment », « personnellement », il ne veut pas suivre « cette hypothèse ». Il avoue ne pas oser trancher « là-dedans avec des principes… d’une manière absolue ». Il ne veut pas « partir d’un principe qui est douteux ». Il « préfère partir du principe qu’il faut défendre sa foi ». D’où sa conclusion pratique : « Si vous n’acceptez pas la doctrine de vos prédécesseurs, il est inutile de parler. »
Il n’a pas l’évidence « qu’il est contraire aux promesses faites par Notre Seigneur Jésus-Christ qu’un pape soit profondément libéral ». Pour Mgr Lefebvre, « la question de la visibilité de l’Église est trop nécessaire à son existence pour que Dieu puisse l’omettre durant des décades ». Il craint un « raisonnement » qui mette « l’Église dans une situation inextricable ».
Mais en parallèle de ces jugements, il a plusieurs fois parlé comme si le pape n’était pas réellement pape. Car certaines de ses expressions manifestent bien plus qu’un doute :
« Mais si nous laissons à Dieu et aux futurs vrais successeurs de Pierre de juger de ces choses, il n’en est que plus certain que le Concile a été détourné de sa fin par un groupe de conjurés. », « Un Pape digne de ce nom et vrai successeur de Pierre ne peut pas déclarer qu’Il se donnera à l’application du Concile et de ses réformes. »
En 1986, il dira qu’il « est possible que nous soyons dans l’obligation de croire que ce pape n’est pas pape » mais ne peut pas encore « le dire d’une manière solennelle et formelle ». Il est en tout cas certain que « nous nous trouvons devant des évêques, et même le pape, qui n’obéissent plus à la foi… » ; « Il est clair que » leur « attitude est en rupture, en schisme, avec la tradition. » « La Rome occupée par les modernistes est en rupture ou en schisme de plus en plus clair avec le passé et le Magistère traditionnel de l’Église. »
« Je pense que l’on peut dire que ces personnes qui occupent Rome aujourd’hui sont des anti-Christ… Ils sont anti-Christ, c’est sûr, absolument certain. » ; « Cette nouvelle religion n’est pas la religion catholique. » ; « On a affaire à des gens qui ont fait ce pacte avec le Diable… » ; « Cette Église conciliaire suit des chemins qui ne sont pas des chemins catholiques et qui mènent tout simplement à l’apostasie. »
Le seul souci des fidèles, dira-t-il, doit être « d’avoir de vrais évêques catholiques leur transmettant la vraie foi et leur communiquant d’une manière certaine les grâces du salut auxquelles ils aspirent pour eux et pour leurs enfants. »
« Vraiment, je crois que nous avons affaire à des gens qui n’ont plus l’esprit catholique. C’est un mystère, un mystère inconcevable, invraisemblable. Mais il y a sûrement une clé à ce mystère. Quand le saurons-nous, quand la verrons-nous ?… »
Si Mgr Lefebvre a conçu des craintes face à certaines solutions et justifications théologiques de la crise qui touche l’Église, cela ne l’a jamais empêché de combattre pour protéger la foi. Les nombreux jugements de Mgr Lefebvre sur la Rome conciliaire et ses chefs montrent que, de facto, il n’était pas formellement en communion avec ces gens quoiqu’il ait toujours voulu garder avec eux un lien purement matériel.
Lorsqu’on lui objectait : « On ne peut rien faire, quand même, contre le pape ».
Il répondait : « Contre le pape qui agit en catholique, c’est vrai… Mais contre un pape qui démolit l’Église, qui est pratiquement un apostat, et qui veut nous rendre apostats, alors je vous demande : qu’est-ce qu’il faut faire ? »[12]
Ne retrouve-t-on pas ici implicitement la distinction originale de Mgr Guérard des Lauriers du pape materialiter qui ne l’est plus formaliter ?
Depuis 1988, la Fraternité prie officiellement pour la conversion de Rome[13], elle a sacré cinq évêques sans mandat romain (Williamson, Tissier de Mallerais, de Galarreta, Fellay & † Rangel), elle a institué ses propres tribunaux matrimoniaux… En cas de litige disciplinaire ou doctrinal, la FSSPX ne fait recours ni à Rome ni au « doux Christ sur terre » qui normalement est le gardien de la foi et de l’unité… Tous ces faits ne manifestent-ils pas une certaine absence formelle d’autorité à Rome ? Suffit-il de citer le nom d’un pontife au canon de la messe ou d’afficher sa photographie dans les sacristies pour être uni au gouvernement et à l’enseignement du Vicaire de Jésus-Christ ?
La condition pratique établie par Mgr Lefebvre pour protéger la foi (conversion de Rome), et qui était celle de la Fraternité jusqu’en 2012, ne révèle-t-elle pas une certaine absence, de facto, d’autorité légitime à Rome ?
Ces faits manifestent en tout cas que si la question pratique est simple : « Si vous n’acceptez pas la doctrine de vos prédécesseurs, il est inutile de parler », la question théorique, elle, l’est beaucoup moins : Avons-nous, oui ou non, « l’obligation de croire que ce pape n’est pas pape » et de « le dire d’une manière solennelle et formelle » ?
Mgr Lefebvre a eu la grâce de garder la foi et de protéger celle de nombreux fidèles. Il a eu le courage de nous faire survivre en sacrant des évêques… Nous lui en sommes redevables. Mais il n’a pas eu la mission de résoudre la crise de l’Église, ni d’empêcher la révolution conciliaire. On ne peut l’en rendre responsable, ni être assez ignorant ou injuste pour ne pas comprendre ses hésitations et ses faiblesses : « C’est un mystère, un mystère inconcevable, invraisemblable. Mais il y a sûrement une clé à ce mystère. Quand le saurons-nous, quand la verrons-nous ?… »
Il reviendra à notre troisième partie d’essayer de faire le bilan et la synthèse de la dispute théologique qui divise le monde catholique depuis ce « mystère inconcevable » enfanté par la révolution conciliaire de 1962.
A suivre…
Abbé Olivier Rioult
[1] Cor unum, n° 61, octobre 1998, p. 43.
[2] Cor unum, n° 61, octobre 1998, pp. 40 à 45.
[3] Sodalitium n° 51, décembre 2000-janvier 2001.
[4] Mgr Tissier, article publié en 1989 dans Fideliter, n° 72, p. 10.
[5] Abbé Arnaud Sélégny, Le Sel de la terre, 1992, n° 3, p. 66.
[6] Conférence de presse du 15/9/1976, dans Itinéraires, déc. 1976, pp. 126-127.
[7] Mgr Lefebvre et le Saint-Office, Itinéraires, n° 233, mai 1979, pp. 21-22.
[8] Mgr Lefebvre et le Saint-Office, Itinéraires n° 233, mai 1979, p. 146.
[9] Le 24 mars 1813, Pie VII fit parvenir la lettre suivante à Napoléon :
« Quelque pénible que soit à notre coeur l’aveu que nous allons faire à votre majesté, quelque peine que cet aveu puisse lui causer à elle-même, la crainte des jugements de Dieu, dont notre grand âge et le dépérissement de notre santé nous rapprochent tous les jours davantage, doit nous rendre Supérieur à toute considération humaine, et nous faire mépriser les terribles angoisses auxquelles nous sommes en proie dans ce moment. Commandé par nos devoirs, avec cette sincérité, cette franchise qui convient à notre dignité et à notre caractère, nous déclarons à votre majesté que, depuis le vingt-cinq janvier, jour ou nous apposâmes notre signature aux articles qui devaient servir de base au traité définitif dont il y est fait mention, les plus grands remords et le plus vif repentir n’ont cessé de déchirer notre âme, qui ne peut plus trouver ni paix ni repos. Nous reconnûmes aussitôt, et une continuelle et profonde méditation nous fait sentir chaque jour davantage l’erreur dans laquelle nous nous sommes laissé entraîner, soit par l’espérance de terminer les différends survenus dans les affaires de l’Église, soit aussi par le désir de complaire à votre majesté. Une seule pensée modérait un peu notre affliction : c’était l’espoir de remédier, par l’acte de l’accommodement définitif, au mal que nous venions de faire à l’Église en souscrivant ces articles. Mais quelle ne fut pas notre profonde douleur, lorsque, à notre grande surprise et malgré ce dont nous étions convenu avec votre majesté, nous vîmes publier, sous le titre de concordat, ces mêmes articles qui n’étaient que la base d’un arrangement futur ! Gémissant amèrement et du fond de notre coeur sur l’occasion de scandale donnée à l’Église par la publication desdits articles ; pleinement convaincu de la nécessité de le réparer, si nous pûmes nous abstenir pour le moment de manifester nos sentiments et de faire entendre nos réclamations, ce ne fut uniquement que par prudence, pour éviter toute précipitation dans une affaire aussi capitale. […] C’est en présence de Dieu, auquel nous serons bientôt obligé de rendre compte de l’usage de la puissance à nous confiée, comme vicaire de Jésus-Christ, pour le gouvernement de l’Église, que nous déclarons, dans toute la sincérité apostolique, que notre conscience s’oppose invinciblement à l’exécution de divers articles contenus dans l’écrit du vingt-cinq janvier. Nous reconnaissons avec douleur et confusion que ce ne serait pas pour édifier, mais pour détruire, que nous ferions usage de notre autorité ; si nous avions le malheur d’exécuter ce que nous avons imprudemment promis, non par aucune mauvaise intention, comme Dieu nous en est témoin, mais par pure faiblesse, et comme cendre et poussière. Nous adresserons à votre majesté, par rapport à cet écrit signé de notre main, les mêmes paroles que notre prédécesseur Pascal II adressa, dans un bref à Henri V, en faveur duquel il avait fait aussi une concession qui excitait à juste titre les remords de sa conscience ; nous vous dirons avec lui : Notre conscience reconnaissant notre écrit mauvais, nous le confessons mauvais, et, avec l’aide du Seigneur, nous désirons qu’il soit cassé tout-à-fait, afin qu’il n’en résulte aucun dommage pour l’Église, ni aucun préjudice pour notre âme. »
[10] Mgr Lefebvre et le Saint-Office, Itinéraires n° 233, mai 1979, pp. 159-160.
[11] Conférence à Ecône du 28-01-1986.
[12] Mgr Lefebvre, Conférence pour la retraite sacerdotale, 4 septembre 1987, Écône.
[13] « L’adoration perpétuelle du très Saint Sacrement a quatre intentions : 1. La victoire sur les ennemis extérieurs (communisme, révolution mondiale, Islam, religions asiatiques, sectes, New Age) et intérieurs de l’Église (théologiens incroyants, faux prophètes de toutes sortes). 2. Le retour de Rome et des évêques à la tradition de l’Église et à la foi de nos pères: « oratio autem fiebat sine intermissime ab Ecclesia ad Deum pro eo » (Act 12, 5). 3. La sanctification de nos prêtres. […] 4. L’éveil de vocations sacerdotales et religieuses. » (Cor unum n° 35, mars 1990)