La Sapinière a décidé de publier une étude de M. l’abbé Olivier Rioult intitulée Discours sur la secte conciliaire, le Lefebvrisme et l’Église romaine. Vu son ampleur (120 pages A4 environ) et son intérêt, il n’aurait pas été judicieux de la diffuser en une seule fois. Nous avons donc choisi de la poster par partie, soit une dizaine de pages le 8e jour de chaque mois.
Selon l’utilité et la demande, une publication papier pourra être envisagée.
L’abbé Olivier Rioult tient à préciser que cette réflexion est personnelle et donc, par définition, n’engage que lui-même. Il sera pourtant récompensé de son labeur si ce discours peut ouvrir des pistes de réflexion, établir des ponts entre les combattants de la foi et si, en ces temps troublés, des âmes tourmentées y trouvent la paix et la lumière du Christ.
Discours
sur la secte conciliaire, le Lefebvrisme et l’Église romaine
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Monde et Vie : – « Que pensez-vous de ceux qui se sont ralliés au Vatican ? »
Mgr Fellay : – « Quand on donne le petit doigt, on finit par donner le reste. »[1]
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Notre époque apocalyptique exige des chrétiens une pratique héroïque et crucifiante de la vertu. Mais cette exigence est atemporelle car essentielle à tout chrétien. « Le juste vit de la foi » dit l’Écriture. De plus, était-il vraiment plus facile d’être chrétien à l’époque apostolique qu’il ne l’est aujourd’hui, à l’époque moderne ?
Certes, les temps sont particulièrement difficiles. Comme l’écrivait M. l’abbé Gleize « Vatican II » a « créé une situation absolument inouïe dans l’Église » qui correspond au « mystère d’iniquité » « face auquel le théologien » doit avouer ses « limites »[2]. Devant ce mystère, la foi, sans consolation terrestre, est plus que jamais nécessaire. Notre discours n’aura donc pas, vu notre condition pèlerine, la prétention de rendre évidentes des vérités que nous devons croire. Il n’a d’autre ambition que d’aider les âmes à servir Dieu dans une plus grande paix et fidélité.
Mais ce « mystère d’iniquité » a donné lieu, inévitablement, à des controverses passionnées au cours desquelles l’acception des personnes a malheureusement nui à la sereine compréhension et contemplation de la vérité.
Le but de ce discours est donc d’offrir une vue synthétique des problèmes auxquels le chrétien est aujourd’hui confronté, en présentant le plus précisément et le plus simplement possible les faits et les exposés théologiques qui permettront à chacun d’éclairer sa conscience.
Notre entretien se divisera en trois parties.
Premièrement, on traitera de la secte conciliaire.
Ce terme de secte fait référence à une expression que M. l’abbé Gleize avait employée en son temps. Elle désigne l’imposture d’une secte moderniste.
La secte conciliaire est aussi appelée Église conciliaire. Cette expression est équivoque, et donc trompeuse si on l’entend comme une Église catholique malade au point de corrompre officiellement le catholicisme. Mais elle est devenue une expression courante qui peut se justifier dans le sens d’une hiérarchie moderniste ayant accédé aux postes d’autorité, et éclipsant en partie l’Église catholique.
Les sectaires modernistes infiltrés dans les structures ecclésiastiques ont corrompu la foi catholique jusqu’à donner naissance à une nouvelle religion. Telle est la triste réalité. Ceci apparaîtra plus clairement quand il aura été établi, à travers l’examen des quatre notes de l’Église du Christ, si oui ou non l’Église officielle est moderniste ou catholique.
Deuxièmement, on traitera de l’héritage de Mgr Lefebvre.
De même que les disciples de saint Thomas sont appelés “thomistes”, les fils spirituels de Mgr Lefebvre peuvent être appelés “lefebvristes”. Et dans le “Thomisme” comme dans le “Lefebvrisme”, on doit s’interroger sur l’attachement obstiné de certains admirateurs à des textes dont les conclusions sont manifestement insuffisantes, dépassées, voire même erronées. Aucun vrai thomiste ne suit aujourd’hui la conclusion fausse de saint Thomas sur l’Immaculée Conception de la Vierge Marie, mais tous suivent celle du théologien Duns Scot, quoiqu’il ait pu se tromper par ailleurs, parce que sur ce point précis il était dans le vrai.
Quand M. l’abbé Gleize remarque une erreur chez saint Thomas d’Aquin ou le cardinal Billot, personne ne pense à censurer son travail de théologien. Pourquoi ce travail devrait-il s’arrêter quand il s’agit de la personne de Mgr Lefebvre ?
En outre, plus de vingt ans après sa mort, n’avons-nous pas un recul suffisant pour porter un regard objectif sur certains choix de ce valeureux combattant de la foi qui a dû faire face, quasiment seul, à une révolution inouïe, tant mondiale qu’ecclésiale ?
Il s’agira donc de remarquer en particulier les positions fluctuantes ou incertaines de Mgr Lefebvre :
- sur un accord possible avec une Rome qui favorise l’hérésie,
- sur le problème de la messe bâtarde qui favorise l’hérésie,
- sur le problème du pape qui favorise l’hérésie.
Cela permettra aussi de mieux comprendre comment la politique défaillante de Mgr Fellay, qui prétend imiter celle de Mgr Lefebvre, aurait pu être évitée.
Troisièmement, « la fameuse question où on se demande si le pape pourrait se mettre hors de l’Église par l’apostasie, le schisme ou l’hérésie »[3], dramatiquement posée pour Paul VI, reste toujours d’actualité avec François.
Ni dans l’Écriture ni dans la tradition nous ne trouvons de raisons démontrant qu’un pape ne puisse tomber dans l’hérésie. Au contraire, de nombreux témoignages de la tradition nous obligent à considérer comme théologiquement possible la chute d’un pape dans l’hérésie avec pertinacité. Il faudra donc étudier les conséquences d’une telle éventualité sur la vie de l’Église.
Mgr Lefebvre affirmait que “le vrai visage” de Jean-Paul II était “terrifiant” et remplissait “l’âme catholique et romaine d’épouvante et de tristesse”. Après sa “canonisation”, force est de constater que « la Rome moderniste poursuivant son œuvre de démolition de la foi et de la chrétienté, c’est un devoir de la répudier en nous attachant à la Rome de toujours. »[4] Cette conclusion pratique est pour tout catholique digne de ce nom une évidence : nullam partem avec les hérétiques.
Mais face à la continuité du désordre ecclésial, comment justifier théoriquement et théologiquement notre « relégation sociologique »[5] ? Comment concilier la situation apocalyptique que nous connaissons avec le donné théologique classique sur l’Église romaine et les promesses du Christ ? Comment être sûr de ne pas pécher contre la foi dans la situation inouïe qui est la nôtre et qui suscite « des problèmes graves à la foi du catholique fidèle, problèmes souvent insolubles et qui expliquent la perplexité et la confusion qui envahissent les esprits les plus solides et les chrétiens les plus convaincus »[6] ?
Ceci nous amènera donc à approfondir, autant que faire ce peut, la compréhension de notre foi sur l’Église romaine, ses privilèges, les promesses du Christ, le mystère d’iniquité, l’apostasie de la foi prédite par les Écritures à la fin des temps et les épreuves que la foi chrétienne aura à subir à l’époque antichrist.
En conclusion, nous établirons notre opinion.
Cette opinion ne prétendra pas à une autorité qu’elle n’a pas et qu’elle ne cherche pas à avoir. Elle décevra peut-être, elle fâchera sûrement, mais elle respectera en tout cas la liberté des enfants de Dieu face au mystère d’iniquité qui ne doit jamais nous faire oublier le mystère de la grâce, et par là peut-être ce discours fortifiera-t-il les âmes.
« Si nous sommes enfants de Dieu, nous sommes aussi héritiers, héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ, si toutefois nous souffrons avec lui, pour être glorifiés avec lui. Car j’estime que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire à venir qui sera manifestée en nous. Aussi la création attend-elle avec un ardent désir la manifestation des enfants de Dieu. La création, en effet, a été assujettie à la vanité, – non de son gré, mais par la volonté de celui qui l’y a soumise, – avec l’espérance qu’elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu. […] c’est en espérance que nous sommes sauvés. Or, voir ce qu’on espère, ce n’est plus espérer : car ce qu’on voit, pourquoi l’espérer encore ? Mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec patience. De même aussi l’Esprit vient en aide à notre faiblesse, car nous ne savons pas ce que nous devons, selon nos besoins, demander dans nos prières. Mais l’Esprit lui-même prie pour nous par des gémissements ineffables ; et celui qui sonde les cœurs connaît quels sont les désirs de l’Esprit ; il sait qu’il prie selon Dieu pour des saints. Nous savons d’ailleurs que toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés selon son éternel dessein. Car ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés à être conformes à l’image de son Fils, afin que son Fils soit le premier-né d’un grand nombre de frères. Et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés; et ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés; et ceux qu’il a justifiés, il les a glorifiés. Que dirons-nous donc après cela ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Lui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais qui l’a livré à la mort pour nous tous, comment avec lui ne nous donnera-t-il pas toutes choses ? » (Rom 8, 19-32)
[1] Mgr Fellay, Monde et Vie, 22 juin 1989, n° 482, p. 13.
[2] Courrier de Rome, n° 368, sept. 2013, § 42.
[3] Cardinal Billot, Traité de l’Église du Christ, Courrier de Rome, n° 942.
[4] Mgr Lefebvre, postface du livre Pierre m’aimes-tu ?, juin 1988.
[5] Père Calmel, Itinéraires, n° 148, éditorial.
[6] Mgr Lefebvre, postface du livre Pierre m’aimes-tu ?, juin 1988.