En 2010, une revue, intitulée Le Donjon et dirigée par M. l’abbé Pinaud, a eu la bonne idée de nourrir l’intelligence de ses lecteurs par des commentaires et des réflexions sur l’Apocalypse.
Après avoir cité saint Pie X qui, dès sa première encyclique, affirmait que la « perversion des esprits », telle qu’elle apparaissait au début du XXe siècle, donnait le « droit de craindre qu’elle ne soit le commencement des maux annoncés pour la fin des temps », le directeur de la revue annonçait la publication de trois ouvrages majeurs sur ce sujet : La Parousie du Cardinal Billot ; La Révolution expliquée aux jeunes gens de Mgr de Ségur et un commentaire de l’Apocalypse du Père Leonardo Castellani. Les deux premiers auteurs sont connus et leurs ouvrages faciles d’accès. Il n’en va pas de même de l’Apocalypse du Père Castellani. Avant de donner ce texte aux lecteurs de la Sapinière, donnons quelques renseignements biographiques sur ce jésuite argentin, ami du Père Meinvielle.
La vie de ce prêtre (1899-1981) est extraordinaire à plus d’un titre.
Leonardo Luís Castellani est né en Argentine, à Reconquista, province de Santa Fe, le 16 novembre 1899. Bachelier en 1917, il rentre au noviciat de la Compagnie de Jésus l’année suivante. Ses études sont brillantes et profondes : lettres, philosophie, histoire, castillan et italien. En 1928, il entame les études de théologie en Argentine au Séminaire Métropolitain qu’il achèvera à l’Université Grégorienne à Rome. Ordonné prêtre en 1930, il reste une année de plus pour préparer l’examen final du doctorat de philosophie et de théologie, qu’il obtient avec succès. En 1932, il part pour la France, où il reste trois années : il assiste à la Faculté de Philosophie de la Sorbonne comme élève régulier à des cours libres. En 1934, on lui accorde le diplôme d’Études Supérieures en Philosophie, section Psychologie. Entre
temps, il étudie la langue anglaise. Après un passage à Louvain, en Allemagne et en Autriche, pour approfondir ses études sur la psychologie et les problèmes d’éducation, il retourne dans sa patrie en 1935.
En Argentine, pendant onze années, il mène à bien une tâche intellectuelle énorme à travers la chaire, le livre et le journalisme. Comme professeur, il a enseigné au Collège d’El Salvador (logique et histoire) ; au Séminaire Métropolitain de Buenos Aires (psychologie et histoire de la philosophie) ; au Collège Maximal de San Miguel (méthodologie) ; et à l’Institut National du Professorat Secondaire (psychologie). Comme auteur, il a publié de nombreux livres, y compris une traduction espagnole avec notes et commentaires propres de la Somme Théologique de saint Thomas. Comme journaliste, il a écrit dans les publications catholiques et nationalistes du pays et a dirigé un temps la revue de son Ordre : Études.
Cet intense ministère montrera au Père Castellani les insuffisances de l’enseignement et de la formation dans le séminaire métropolitain et dans le gouvernement de la province d’Argentine de la Compagnie de Jésus. Ces problèmes le préoccupaient, et il crut de son devoir de chercher à y remédier en exposant ses critiques à travers les moyens que tout professeur de séminaire et tout membre éminent de l’Ordre avait à sa disposition. Mais ses jugements et ses avertissements n’ont pas été acceptés par ses supérieurs. Comme on ne pouvait rien contre le message, on chercha à se débarrasser du messager… Vers le milieu de 1946, le père provincial exhorta le Père Castellani à abandonner la Compagnie de Jésus afin de donner les apparences d’un choix volontaire à ce qui était en fait un désir d’exclusion.
Le Père Castellani ayant refusé ce subterfuge, la persécution allait s’abattre sur lui. On commença par lui refuser, contre tout droit, la voix active et passive dans les assemblées délibératives des profès. On l’exclut ensuite de celle qui devait traiter des insuffisances de la vie religieuse dans la province et de celle qui devait désigner trois candidats pour choisir un nouveau général à Rome… Tout cela, on le fit sans aucune justification. L’acceptation du Père Castellani de figurer sur une des listes de Alianza Libertadora Nacionalista pour aider un parti de la droite nationale, en raison de l’urgence politique, allait servir de prétexte alors pour justifier sa mise à l’écart. Une partie du clergé, notamment les Jésuites, était déjà atteinte de gauchisme, cette maladie des esprits…
Devant cette iniquité, le Père Castellani rédige dix lettres adressées aux profès argentins sur l’état de la province. En fait ces lettres furent toutes interceptées et n’ont jamais pu arriver à destination. Le Père Castellani décide alors de rencontrer le Général de la Compagnie à Rome afin d’informer l’autorité supérieure de tous ces faits. Arrivé à Gênes, le 1er janvier 1947, les supérieurs de la maison de la Compagnie refusent de le recevoir et lui ordonnent de poursuivre son voyage en Espagne… Le cardinal Siri, archevêque de Gênes, intercède en sa faveur et, finalement, le Général accepte de le recevoir… L’entretien ne dura pas même dix minutes… Le Père Général lui dit d’abandonner la Compagnie de Jésus. Comme le Père Castellani refuse toujours de quitter son Ordre, il reçoit en juin par écrit l’obligation de se transférer à Manresa en Espagne.
Il se soumet à cet ordre cruel, malgré une santé et une résistance nerveuse affaiblies par tous ces coups qu’il recevait depuis un bon moment. Et de manière héroïque, jusqu’au bout de ses forces, il restera deux années à Manresa dans de grandes souffrances intérieures et dans un ostracisme extérieur quotidien. Mais supporter plus longtemps ce supplice aurait pu le faire sombrer dans la folie… C’est pourquoi, avec l’aide et le conseil de quatre amis, et se rappelant l’exemple de saint Jean de la Croix, il s’enfuit du couvent pour chercher aide et salut dans sa patrie parmi les siens.
De retour en Argentine, le 18 octobre 1949, après la messe, on lui lit un décret d’expulsion de la Compagnie, signé par le père général et authentifié par le Souverain pontife. Pie XII dispensait la procédure des admonitions et de la défense de l’accusé… Le père Castellani fait immédiatement appel, canoniquement, aux deux autorités signataires. Mais étrangement, il restera sans réponse. Donc, en vertu de ce décret abusif, il est, à 50 ans, dans la rue, sans aucune indemnisation, avec une santé abimée et un esprit brisé, dans une situation socialement précaire et diffamante.
Heureusement, reçu amicalement dans sa maison, par Mgr Robert Tavella, archevêque de Salta, sa santé s’améliore peu à peu (1950-1952), mais la persécution, elle, continue : le père Castellani est interdit de confesser, de prêcher, d’exercer toute aumônerie et, par conséquent, il est privé de tous les moyens lui permettant de vivre de son ministère sacerdotal. En 1952, il s’établit à Buenos Aires et essaye de reprendre sa chaire à l’Institut National du Professorat Secondaire, poste qu’il gardera jusqu’en 1955.
À partir de cette époque, ses persécuteurs le laissent un peu plus tranquille. Les choses se tassent et cette relative tranquillité lui permet de commencer une nouvelle œuvre intellectuelle qui sera d’une impressionnante fécondité et qualité… Durant ces années, il dictera des cours de philosophie en divers endroits et toujours avec un vif succès auprès du public… En 1961, après 12 années, il obtient à nouveau la possibilité de célébrer la Messe publiquement dans une paroisse. En 1966, le nouveau nonce apostolique, Mgr Zanini, par voie d’autorité, met définitivement fin à la situation absurde et injuste qu’on faisait subir au père Castellani : on lui restitue même pleinement, sans réserve ni accord, le ministère sacerdotal.
Pendant cette longue période où il a été suspendu a divinis, le père Castellani, qui se désignait comme un ermite urbain, a consacré sa vie intellectuelle à l’étude des Saintes Écritures. Ses épreuves et sa science l’ont rendu plus perspicace sur les réalités divines. Parmi ses œuvres, il y a le commentaire de l’Apocalypse au sens littéral.
C’est ce commentaire, traduit et livré aux lecteurs du Donjon en 2009, que nous livrons aujourd’hui aux lecteurs de la Sapinière. Le père Castellani avait pour cet ouvrage une prédilection toute particulière et le considérait comme le meilleur de ses travaux. Pour mener à bien ce travail, il avait lu tous les commentateurs disponibles de l’Apocalypse, dans leurs langues originelles, et avait même dû reprendre le Grec pour traduire le texte original. Il confiera à ce sujet que « pour acheter un texte en Grec, j’ai cessé de fumer la pipe ; et pour le traduire, je l’ai reprise… »
On reste libre évidement de ne point partager tel ou tel jugement particulier du Padre Castellani sur ce si vaste mystère révélé par l’Esprit Saint à saint Jean, mais il est certain que ceux qui attendent le retour du Christ, ceux qui « attendent la bienheureuse espérance et l’apparition glorieuse de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ, qui s’est donné lui-même pour nous… » (Tite 2, 13), ne liront pas ce commentaire sans fruits pour leur vie chrétienne ni sans profit pour leur salut…
Car la fin des temps est proche… puisqu’elle a déjà commencé.
La source du chaos actuel est avant tout religieuse. La folie du monde vient de son orgueil à se fabriquer des idoles de toutes sortes et synthétisées aujourd’hui dans la déification de l’homme. Or, « le culte des idoles sans nom est le principe, la cause et la fin de tout mal. » (Livre de la Sagesse, 14, 21-27)
Or, comme nous l’avons montré dans notre livre l’Apothéose humaine, quand on en vient à perdre ou à rejeter la foi en Dieu qui est l’Être même, la source et le principe de tout ordre, on en vient à perdre la raison même. D’où ce mal-être généralisé dans un monde qui rejette sa finalité et sa raison d’être : la vie n’a plus de sens au double titre de direction vers un but et de connaissance de l’intelligible. Le monde ignore ce qu’un enfant de cinq ans sait grâce à son catéchisme : l’homme est un être raisonnable composé d’une âme et d’un corps, créé pour aimer, louer et servir Dieu et par là sauver son âme…
Toute personne sensée admet qu’il y a une vérité objective indépendante de nos volontés. Dans le monde physique des corps on s’y soumet, mais dans le monde des âmes on s’y refuse. En théologie, ce péché a un nom : c’est l’acédie. Pour s’étourdir, pour fuir le vide que crée sa folie, l’homme usera alors de sa raison uniquement pour construire, faire, fabriquer, consommer, bref se droguer et s’étourdir, afin d’éviter de penser (contempler la vérité) et d’aimer (agir moralement) ce qui l’obligerait à se convertir…
Notre monde a atteint une puissance physique jamais égalée à ce jour… mais une volonté de puissance sans sainteté est une puissance pour le mal. Pour faire disparaître le mal dans le monde, il faut le faire disparaître en nous ; et pour le faire disparaître en nous, il faut accueillir le royaume de Dieu et les exigences du message chrétien… Or cela est refusé par la masse humaine… « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu… Le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous. Il est descendu dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas compris. Il est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas reçu… mais à ceux qui l’ont reçu, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu ». (Prologue de l’Evangile de saint Jean)
La masse humaine ne voulant pas de la religion chrétienne et de ses vérités révélées (création, désobéissance, chute, rédemption par la croix du Christ, jugement, gloire ou enfer…), elle est vouée à ne rien comprendre au mal dans le monde et au mal en lui ; ne luttant pas contre les péchés capitaux qui la rongent, et ne voulant plus se poser la question de l’origine du mal pour ne pas avoir à se convertir, la masse révoltée contre Dieu et l’ordre divin s’en prend au message de Dieu qui dénonce ce mal en l’homme lui-même, afin de le guérir, tout comme à ses messagers : le Christ, l’Évangile, l’Église, le prêtre, le chrétien ou même un simple ami d’une vérité dérangeante…
« Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre, je suis venu apporter non la paix mais le glaive, je suis venu mettre en lutte le fils avec le père… on aura pour ennemis les gens de sa propre maison. » (Mt 10, 34-36)
Or celui qui ne se sait pas malade n’a aucune chance de guérir, il ne peut que périr… C’est aussi cela que nous a révélé l’Apocalypse qui nous dit qu’à la fin des temps, la puissance du mal sera à son paroxysme. Le mal et la cruauté, le massacre et l’esclavage, l’avilissement et la lâcheté, le mensonge et la malice, le non-sens et l’injustice, le meurtre légalisé et la destruction de la vie en tous ses domaines (physique, intellectuel, familial, social…) seront tels que seul le retour du Christ en gloire jugeant tous les hommes pourra mettre fin à cette iniquité déchaînée … Voilà le message de l’Apocalypse qui clôt la bonne nouvelle, la révélation évangélique du Christ.
La fin des temps sera donc le règne du mensonge, de la contrefaçon, de l’imposture et de la falsification… Et au nom de ces mensonges, on supprimera la vie et on persécutera les hommes qui refuseront l’idole du jour… car « le diable a été homicide dès le commencement, et n’est point demeuré dans la vérité. » (Jn 8, 44). Et comme il n’y aura rien de nouveau sous le soleil, l’hérésie du monde antéchrist ne sera que la globalisation synthétique de toutes les hérésies du passé qui résistaient ou tentaient de détruire l’œuvre de Dieu sur l’homme.
Et comme Satan est le singe de Dieu, là où Dieu le Père nous offre de nous diviniser par son Fils en incorporant tous les peuples dans son corps mystique qu’est l’Église afin de les béatifier dans l’Esprit divin au ciel et pour l’éternité, le monde ennemi de Dieu lui, comme le serpent au jardin d’Eden à nos premiers parents, nous propose mensongèrement de diviniser l’homme par lui-même, d’unifier le monde mais en détruisant les peuples afin de construire un paradis technologique sur terre qui sera en fait un enfer inhumain… Tout cela, le mythe moderne le réalise au nom des droits de l’homme et de la fausse « liberté, égalité, fraternité… » qui ne sont que la falsification idolâtrique et naturaliste de la rédemption surnaturelle des hommes opérée par la Trinité sainte, Père, Fils et Esprit-Saint. Sur ce sujet, nous renvoyons nos lecteurs au chapitre correspondant de notre livre l’Apothéose Humaine.
« Là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur. Que vos reins restent ceints et vos lampes allumées ! Et vous, soyez semblables à des hommes qui attendent leur maître à son retour des noces, afin que, lorsqu’il arrivera et frappera, ils lui ouvrent aussitôt. Heureux ces serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera veillant ! Je vous le dis en vérité, il se ceindra, les fera mettre à table et passera pour les servir. » (Luc 12, 34-37)
Au lecteur maintenant d’entrer dans le drame de l’Apocalypse où l’hédonisme universel va provoquer d’immenses souffrances, où le paradis technologique et transhumaniste qui rejette toute transcendance va devenir un enfer sur terre ; où la religion restera, mais falsifiée, au service de la politique de l’Antéchrist qui persécutera les saints qui seront « vaincus », comme le Christ en croix, avant de ressusciter glorieux grâce à l’Agneau qui « ôte les péchés du monde ».
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