D] Des essais de solution….. 1
1] Le problème de l’hérésie notoire. 4
2] Le problème de l’intention du magistère. 5
Assentiment de foi ou vertu d’obéissance ?. 7
D] Des essais de solution…
« Je crois que Jésus est notre Dieu et Sauveur, même et surtout dans les temps de détresse et dans les temps de pseudo-église, et nous y sommes. “Il se lèvera de faux christs (de pseudo-christs) et de pseudo-prophètes” et ils inventeront une pseudo-église, une pseudo-religion. Mais Jésus nous garde dans la vraie Église fondée sur Pierre, même si pour quelque temps Pierre s’est mis en vacances, hélas. Et celui qui voudra, envers et contre tout, rester témoin du vrai Christ, de la vraie Église, de la vraie religion, qu’il s’attende celui-là à la persécution et à la solitude, à l’incompréhension, et aux railleries. Mais je lui prépare une couronne de gloire, dit le Seigneur. »[1]
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On peut bien tenter de nier les faits, c’est-à-dire la contradiction entre le magistère moderne et le magistère traditionnel, mais cette solution n’en est pas une car elle consiste en un aveuglement destructeur de l’intelligence et de la foi. À ceux qui choisiraient cette fausse solution, il faut conseiller le livre de Don Andrea Mancinella, prêtre italien du diocèse d’Albano près de Rome, « 1962 Révolution dans l’Église » aux publications du Courrier de Rome, afin de leur faire constater la contradiction, et partant la révolution dans l’Église.
Mais notre discours suppose des gens suffisamment avertis de ce fait. Pour ceux donc qui sont convaincus que la Révolution dans l’Église est un grand malheur, deux réactions sont possibles :
– soit, devant la contradiction, on conclut à une apparence de magistère qui usurpe les postes d’autorité de l’Église en disant des choses qu’un vrai magistère ne dirait pas, car providentiellement et divinement assisté par l’Esprit-Saint ;
– soit on prétend que la contradiction elle-même ne concerne que l’aspect humain de l’Église sans altérer son aspect divin, et qu’en conséquence la contradiction réelle venant des hommes ne détruit qu’apparemment la doctrine catholique sur l’Église.
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Plusieurs théologiens ont discuté de la possibilité de résister publiquement à des décisions de l’autorité ecclésiastique.
Selon Vitoria, un théologien dominicain du XVIe siècle, « si le pape désirait donner à sa famille tout le trésor de l’Église, ou le patrimoine de saint Pierre, s’il voulait détruire l’Église, ou autres choses de ce genre, l’on ne devrait pas le laisser agir, bien plutôt force serait de s’y opposer. La raison en est qu’il n’a pas le pouvoir pour détruire ; donc, s’il est avéré qu’il le fait, il est licite de lui résister. De tout cela, il s’ensuit que si le pape, par ses ordres et ses actes, détruit l’Église, l’on peut s’opposer à lui et empêcher l’exécution de ce qu’il commande […]. Ainsi que le fait remarquer Cajetan, nous affirmons tout cela non pas parce que quelqu’un a le droit de juger le pape, ou possède une autorité sur lui, mais plutôt parce qu’il est légitime de se défendre. De fait, n’importe qui a le droit de résister à un acte injuste, d’essayer de l’empêcher, et de se défendre. »
Selon Suárez, « Si [le pape] formule un ordre contraire aux bonnes mœurs, on est tenu de ne pas lui obéir ; s’il essaie d’agir en opposition flagrante à la justice et au bien commun, il serait légitime de lui résister ; s’il attaque par la force, il pourrait être repoussé par la force, avec la modération qui sied à une juste défense. »
Et selon saint Robert Bellarmin : « De même qu’il est légitime de résister au pontife qui attaque les corps, de même il est légitime de résister à celui qui attaque les âmes, ou qui trouble l’ordre civil, ou, à plus forte raison, à celui qui essaie de détruire l’Église. J’affirme qu’il est légitime de lui résister en n’exécutant pas ses ordres et en empêchant l’exécution de sa volonté ; néanmoins, on ne saurait le juger, le punir ou le déposer, car ces actes-là sont le propre d’un supérieur. »
Mais comme l’a remarqué la revue Sodalitium (n° 57), les théologiens parlent ici d’un pape moralement mauvais qui donne des ordres moralement mauvais ou qui détruit l’Église de manière temporelle ou matérielle ; et non pas d’un pape qui, comme les papes de Vatican II, enseigne l’erreur doctrinale ou impose des lois nuisibles. Cajetan précisait bien qu’il allait parler des fautes papales “autres que l’hérésie”, telles que “soutenir les méchants, opprimer les bons, se conduire en tyran, encourager les vices, les blasphèmes, l’avarice, etc.”, “s’il opprime l’Église, s’il tue les âmes [par le mauvais exemple]”, “s’il dissipe les biens de l’Église”, “s’il agit manifestement contre le bien commun dicté par la charité envers l’Église militante”… Bellarmin, lui, écrivait pour réfuter les erreurs du gallicanisme qui plaçait l’autorité d’un concile général au-dessus de celle d’un pape, et il traitait dans ce passage d’un pape qui « met le trouble dans l’État, ou essaie de tuer les âmes par son mauvais exemple », et non du pape hérétique qui « perdrait automatiquement son autorité ».
Or, depuis la révolution conciliaire, nous sommes face à un magistère, à des papes, à un corps épiscopal qui professent ou favorisent l’hérésie, et non plus à de simples pontifes qui scandalisent par leur « mauvais exemple. »
Pour mieux saisir cette triste particularité propre à notre époque post-conciliaire, il convient de rappeler les différentes notes théologiques possibles des censures qui manifestent les différents degrés de certitude d’une vérité religieuse.[2]
1) Lorsqu’une vérité a été révélée par Dieu, (c’est-à-dire qu’elle est contenue dans l’Écriture Sainte ou la Tradition) et qu’elle a été solennellement définie comme telle par le Souverain Pontife ou par un concile œcuménique, ex cathedra, c’est-à-dire avec l’intention de définir, ou si cette vérité est présentée comme telle par le magistère ordinaire et universel de l’Église, cette vérité est dite de foi divine et catholique. La négation formelle, directe et immédiate d’une telle vérité révélée suffisamment proposée par l’Église a pour censure théologique l’hérésie. On pèche contre la foi devant Dieu et devant l’Église.
2) Lorsqu’une vérité est certainement contenue dans l’Écriture Sainte, mais n’a pas été définie solennellement par l’Église (par exemple la naissance du Christ à Bethléem…), cette vérité est dite de foi divine. En niant une telle vérité, on s’écarte d’une règle certaine de la doctrine révélée. La censure théologique est alors proche de l’hérésie. Le péché est celui d’infidélité. On pèche contre la foi devant Dieu.
3) Lorsqu’il s’agit d’une vérité déduite logiquement de deux prémisses dont l’une est révélée formellement par Dieu et l’autre connue par la seule raison et non révélée par ailleurs, ni contenue implicitement dans la prémisse révélée, la vérité ainsi déduite s’appelle une conclusion théologique ou doctrine catholique certaine. Beaucoup de vérités révélées formellement mais seulement implicitement sont considérées comme certaines tant qu’elles n’ont pas été définies solennellement. La censure théologique est alors erronée. On pèche contre l’obéissance due au magistère ecclésiastique[3].
4) Lorsqu’une vérité est enseignée par presque tous les théologiens et combattue par quelques-uns seulement, d’une autorité médiocre, mais par ailleurs non désavouée par l’Église, une telle vérité est dite sentence commune. Si l’on s’oppose à cette opinion reçue dans l’Église, de manière insolente et présomptueuse, car sans raison suffisante, la censure théologique est téméraire. On pèche contre l’obéissance due au magistère ecclésiastique.
Quand rien n’est nié directement ou indirectement mais que l’on craint une hérésie cachée dans la mesure où l’on entend les mots dans un sens différent de celui que donnent les fidèles ou qu’on s’écarte des saines expressions en usage, la censure théologique est alors suspecte ou sentant l’hérésie, malsonnante, offensante pour les oreilles pies…[4]
5) Lorsqu’une vérité est soutenue par des théologiens éminents approuvés par l’autorité ecclésiastique, et en même temps combattue par d’autres théologiens également éminents, une telle vérité est dite sentence probable. Le degré de probabilité peut être fondé soit sur le nombre et l’autorité des théologiens qui soutiennent cette proposition (probabilité extrinsèque), soit sur la valeur des arguments apportés (probabilité intrinsèque). Il n’y a ici aucune censure théologique.
Or, on est bien obligé de constater que l’enseignement de Vatican II et de ses pontifes est au moins proche de l’hérésie et parfois hérétique.
Un exemple parmi les plus graves et aussi les plus simples à saisir : « L’ancienne Alliance n’a jamais été révoquée. »
A Mayence, le 17 novembre 1980, Jean-Paul II, dans son allocution aux représentants de la communauté juive de l’Allemagne fédérale, déclare que l’ancienne Alliance n’a jamais été révoquée[5]. Cette affirmation est reprise douze ans plus tard par le “Nouveau Catéchisme de l’Église catholique”, qui répète les thèses de Nostra ætate et les « avancées » postérieures : « l’ancienne Alliance n’a jamais été révoquée (§121) » ; Selon le nouveau Catéchisme, nous devons attendre le Messie avec les Juifs (retour pour nous, venue pour eux)[6].
Dans son exhortation apostolique Evangelii Gaudium (§ 247 à 249), François affirme également que l’Ancienne Alliance « n’a jamais été révoquée », que l’on ne doit pas considérer le judaïsme talmudique actuel, structuré par opposition au Christ et à la mission évangélisatrice de l’Église, comme « une religion étrangère » ni affirmer que les juifs sont appelés à « se convertir au vrai Dieu », parce que nous croyons ensemble « en l’unique Dieu qui agit dans l’histoire » et « nous accueillons avec eux la commune Parole révélée. » Et François de poursuivre : « Dieu continue à œuvrer dans le peuple de la première Alliance et fait naître des trésors de sagesse qui jaillissent de sa rencontre avec la Parole divine. Pour cela, l’Église aussi s’enrichit lorsqu’elle recueille les valeurs du judaïsme […]. Il existe une riche complémentarité qui nous permet de lire ensemble les textes de la Bible hébraïque et de nous aider mutuellement à approfondir les richesses de la Parole. »
Ces affirmations insensées sont en rupture totale avec l’Écriture[7] la Tradition et le magistère unanime de l’Église depuis vingt siècles[8]. Nous sommes bien ici face à une hérésie.
1] Le problème de l’hérésie notoire
Quand Billot envisage le cas du pape hors de l’Église, trois cas se présentent : « Par l’apostasie, si par exemple le pape se fait musulman. Par le schisme, s’il ne voulait plus demeurer dans la communion de l’Église catholique. Par hérésie, s’il disait publiquement qu’il refuse à titre personnel de croire un dogme suffisamment proposé par le magistère de l’Église, tel que tous les fidèles chrétiens doivent le croire de foi, par exemple la divinité du Christ, la présence réelle dans le sacrement de l’eucharistie, l’Immaculée Conception de la Mère de Dieu, et ainsi de suite. » (Billot, n° 942)
D’après M. Xavier da Silveira, « l’unique raison qui pourrait valablement justifier le maintien de la juridiction d’un pape hérétique serait une insuffisance de cette notoriété et divulgation publique. » Nous l’avons déjà dit : le pape doit être notoirement et formellement hérétique pour perdre le pontificat, ce qui veut dire que son adhésion à une proposition opposée à la foi doit être manifestée avec pertinacité.
« L’hérétique est à proprement parler celui qui, ayant reçu par le sacrement de baptême la qualité de chrétien, refuse de se régler sur le magistère de l’Église pour connaître les vérités qu’il faut croire et se choisit ailleurs la règle […]. L’hérétique peut s’affranchir du magistère soit en suivant un autre magistère religieux, soit en adoptant le principe du libre examen, soit en refusant de croire seulement un des articles que l’Église propose comme dogmes de foi. » (Billot n° 421) ; « Les hérétiques formels sont ceux qui ont une connaissance suffisante de l’autorité de l’Église, tandis que les hérétiques matériels sont ceux qui ignorent invinciblement l’Église et choisissent de bonne foi une autre règle pour diriger leur croyance. » (Billot, n° 423)
Selon Billot, le chrétien qui accepte comme règle de foi l’autorité de l’Église mais ignore une vérité de foi définie ou par erreur croit que telle vérité est définie, n’est en rien hérétique « même pas matériellement ». C’est un simple ignorant et même si son ignorance est coupable, elle ne fait pas de lui un hérétique.
« On parle en premier lieu d’hérétiques occultes pour désigner ceux qui refusent de croire les dogmes de foi proposés par l’Église et dont le refus correspond à un acte interne, et on utilise ensuite cette expression pour désigner ceux qui expriment cette hérésie par des signes externes, mais sans aller jusqu’à en faire la profession publique. » (Billot, n° 424) « Les hérétiques notoires sont ceux qui ne suivent pas la règle du magistère ecclésiastique dans leur profession de foi. » (Billot, n° 425)
Seuls les hérétiques notoires sont exclus du corps de l’Église : « Aussi longtemps que l’hérésie ne s’exprime pas dans une profession ouverte, mais reste confinée dans l’esprit ou restreinte à des manifestations qui ne suffisent pas pour créer une notoriété, elle ne saurait exclure de l’appartenance à l’organisme visible de l’Église. » (Billot, n° 435) Car la forme du corps visible de l’Église n’est pas la foi au sens strict mais « la profession de la foi catholique telle qu’elle a été assumée lors de la réception du baptême. » (Billot, n° 441)
D’où ces expressions de saint Jean : « Mes petits enfants, c’est la dernière heure. Comme vous avez appris que l’antéchrist doit venir, aussi y a-t-il maintenant plusieurs antéchrists… Ils sont sortis du milieu de nous, mais ils n’étaient pas des nôtres ; car s’ils eussent été des nôtres, ils seraient demeurés avec nous ; mais ils en sont sortis, afin qu’il soit manifeste que tous ne sont pas des nôtres. » (I Jn 2, 18-19). Cet enseignement signifie bien que certains ne sont plus des nôtres du point de vue de leurs dispositions intérieures, même s’ils ne sont pas encore séparés de nous du point de vue du lien visible de l’unité sociale.
Il est encore important de considérer que ce n’est ni la durée ni l’énormité dans l’erreur qui constitue le péché formel d’hérésie mais « la pertinacité ». L’hérétique doit savoir et vouloir s’opposer à l’autorité de Dieu et de l’Église « alors que la vérité et cette autorité lui sont suffisamment proposées. »[9]
« Canon 1325 § 2. Toute personne qui, après avoir reçu le baptême et tout en conservant le nom de chrétien, nie opiniâtrement quelqu’une des vérités de la foi divine et catholique qui doivent être crues, ou en doute, est hérétique ; si elle s’éloigne totalement de la foi chrétienne, elle est apostate ; si enfin elle refuse de se soumettre au souverain pontife et de rester en communion avec les membres de l’Église qui lui sont soumis, elle est schismatique. »
De cela, certains concluent qu’il ne suffit donc pas de constater que le pape adhère de fait à l’hérésie, il faut encore prouver qu’il agit en sachant que l’Église condamne cette doctrine comme hérétique. La science supposée de sa charge ne prouve rien, car l’ignorance même coupable empêche l’hérésie formelle. Qui pourra alors avec autorité dans l’Église « avertir » le pape qu’il adhère à une doctrine hérétique ? « Après un premier et un second avertissement, éloigne-toi de l’hérétique. » (Tite 3, 10). Le pape n’ayant pas de supérieur, comment avoir la certitude morale, non de sa profession hérétique que tout le monde peut constater, mais de sa pertinacité dans l’hérésie sans un aveu spontané de sa part ?
Pour d’autres, la profession hérétique d’un Jean-Paul ou d’un François suffit à conclure.
Mais quoiqu’il en soit, le cas du pape hérétique envisagé par les anciens était le cas d’un pape isolé ; ils n’avaient pas prévu que les autres évêques et cardinaux approuveraient majoritairement la doctrine hérétique du pape.
2] Le problème de l’intention du magistère
« Il nous semble qu’on peut et doit douter que la thèse de l’infaillibilité dans les décrets disciplinaires et liturgiques ait l’ampleur que certains théologiens pensent pouvoir lui attribuer. Véritablement, les études de ces cent dernières années ont mis en lumière le fait que, même dans leurs déclarations directes et expressément doctrinales pour l’Église universelle, le pape et le concile ne sont pas nécessairement infaillibles. Cette affirmation est fondée sur ce que le pape et le concile peuvent utiliser leur autorité magistrale à un degré plus ou moins grand, selon ce qu’ils trouvent opportun dans chaque cas particulier. […] Il semble donc légitime de demander si les enseignements implicitement doctrinaux n’ont pas donné lieu au cours des siècles à un phénomène semblable à quoi les enseignements explicitement doctrinaux ont donné lieu. Au sujet de ces derniers, on trouve fréquemment dans des auteurs anciens (et même récents) l’affirmation sans distinction, faite en général seulement en passant, qu’ils impliquent toujours l’infaillibilité, tant qu’ils s’adressent à l’Église universelle. Cependant, on trouve aussi dans la pratique de l’Église et dans les auteurs de tous les siècles, des témoignages du contraire, c’est-à-dire qui apportent à cette thèse des nuances et des limites importantes. C’est sur la base de ces derniers documents qu’il a été possible, sans rompre avec la Tradition, de montrer qu’en fait les enseignements directement doctrinaux du magistère universel n’engagent l’infaillibilité que jusqu’au point où le pape (seul ou avec les évêques) a intention de l’engager. Or, après avoir examiné la Tradition, on remarque que, autour de cette thèse de l’infaillibilité dans les enseignements implicitement doctrinaux, il reste une certaine ambiguïté et une certaine imprécision. Même chez des auteurs qui l’affirment de façon absolue ici, on trouve là une restriction inattendue, ou un terme équivoque, ou le signe d’une certaine hésitation. »[10]
Parmi les faits qui obligent à nuancer l’infaillibilité, on donne le martyrologe romain : un livre liturgique et universel. Or, tout le monde admet que le simple fait d’inclure un nom au martyrologe romain, sans une déclaration formelle du pape sur la sainteté du personnage, n’implique pas l’infaillibilité. Les théologiens affirment explicitement que l’Église n’a pas l’intention de déclarer saints ceux dont le nom n’est qu’inclus au Martyrologe, ce qui manifeste une limitation, en théologie traditionnelle, de l’infaillibilité en matière liturgique.
Se basant sur l’absence, à cette époque, d’une définition dogmatique de l’Assomption, Benoît XIV montre qu’on ne doit pas non plus déduire de la fête liturgique que l’élévation de Notre-Dame, corps et âme, au ciel, est vérité de foi ; et il fait ressortir le fait que telle était l’opinion commune des théologiens. Cet exemple manifeste encore une nuance entre lois ou vérités assumées par l’Église et une définition « solennelle », « de façon définitive », « avec son autorité suprême ». Tant qu’une loi ou une vérité n’a pas été « ratifiée et fixée » ex cathedra, l’infaillibilité n’est pas engagée. Pour qu’elle le soit, le magistère doit exprimer son intention d’enseigner infailliblement la vérité doctrinale.
Même Billot note qu’en « dehors des points qui sont considérés en toute certitude et hors de doute comme définis et que les théologiens sont unanimes à regarder comme tels, il peut y avoir » d’autres points « non encore définis » pour lesquels l’« obligation douteuse est nulle ».
Or, plusieurs textes du “magistère” moderne manifestent leur volonté de commander mais sans aller jusqu’à une définition qui oblige en raison de la foi. Nous avons déjà cité le cardinal Ratzinger, à la conférence épiscopale chilienne : « La vérité est que le concile lui-même n’a défini aucun dogme et qu’il a voulu consciemment s’exprimer à un niveau plus modeste, simplement comme un concile pastoral. » (Il Sabato, 30-7/5-8 1988). On pourrait citer aussi la récente conférence de Mgr Pozzo à l’Institut du Bon Pasteur.
« Refusant les deux positions, maximaliste [“méta-concile”, “super-dogme”] et minimaliste [un concile pastoral en rupture avec le passé], nous cherchons à présenter une réflexion cohérente avec le donné objectif du concile Vatican II. De propos délibéré, le concile n’a pas voulu proposer de nouvelles définitions dogmatiques, mais un magistère de caractère principalement pastoral. Cela ne signifie pas que, dans ses documents, il n’y ait pas aussi un exposé doctrinal sur la foi et la morale. Dans les documents du concile Vatican II, il existe de nombreux textes doctrinaux, qui demandent l’assentiment intérieur de l’intellect et de la volonté (Cf Lumen gentium, n° 25), et des textes de caractère pratico-pastoral, qui demandent une adhésion respectueuse et aussi, du point de vue disciplinaire, contraignante, mais pas nécessairement un hommage intérieur de l’intellect et de la volonté. »[11]
Assentiment de foi ou vertu d’obéissance ?
Une lettre de Paul VI à Mgr Lefebvre au sujet de la liturgie moderne et des enseignements conciliaires résume parfaitement notre problème :
« Rien de ce qui a été décrété dans ce concile, comme dans les réformes que nous avons décidées pour le mettre en œuvre, n’est opposé à ce que la Tradition bimillénaire de l’Église comporte de fondamental et d’immuable. De cela, nous sommes garant, en vertu, non pas de nos qualités personnelles, mais de la charge que le Seigneur nous a conférée comme successeur légitime de Pierre et de l’assistance spéciale qu’il nous a promise comme à Pierre : « J’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas » (Luc XXII, 32). Avec nous en est garant l’épiscopat universel. Et vous ne pouvez pas non plus invoquer la distinction entre dogmatique et pastoral pour accepter certains textes de ce concile et en refuser d’autres. Certes, tout ce qui est dit dans un concile ne demande pas un assentiment de même nature : seul, ce qui est affirmé comme objet de foi ou vérité annexe à la foi, par des actes « définitifs », requiert un assentiment de foi. Mais le reste fait aussi partie du magistère solennel de l’Église auquel tout fidèle doit un accueil confiant et une mise en application sincère. Il reste qu’en conscience, dites-vous, vous ne voyez toujours pas comment accorder certains textes du concile […] avec la saine tradition de l’Église […]. Mais comment une difficulté personnelle intérieure […] vous permettrait-elle de vous ériger publiquement en juge de ce qui a été adopté légitimement et pratiquement à l’unanimité, et d’entraîner sciemment une partie des fidèles dans votre refus ? Si les justifications sont utiles pour faciliter intellectuellement l’adhésion […], elles ne sont point par elles-mêmes nécessaires à l’assentiment d’obéissance qui est dû au concile œcuménique et aux décisions du pape. C’est le sens ecclésial qui est en cause […]. Nous vous disons, frère, que vous êtes dans l’erreur. Et avec toute l’ardeur de notre amour fraternel, comme avec tout le poids de notre autorité de successeur de Pierre, nous vous invitons à vous rétracter, à vous reprendre et à cesser d’infliger des blessures à l’Église du Christ. »[12]
Paul VI lui-même distingue l’assentiment de foi et l’assentiment d’obéissance. Plusieurs documents du magistère usent de ces nuances.
« Rien ne convient moins à un chrétien […] de regarder l’Église, envoyée par Dieu cependant, pour enseigner et régir toutes les nations, comme médiocrement informée des choses présentes et de leurs aspects actuels ou même [de] n’accorder son assentiment et son obéissance qu’aux définitions plus solennelles dont Nous avons parlé, comme si l’on pouvait prudemment penser que les autres décisions de l’Église sont entachées d’erreur ou qu’elles n’ont pas un fondement suffisant de vérité et d’honnêteté. » (Pie XI, Casti Connubii, 31/1/1930)
Si ces deux assentiments sont habituellement unis, ils sont bien formellement différents ; et il se peut que des circonstances exceptionnelles obligent à les désunir accidentellement.
L’assentiment de foi est absolu parce qu’il concerne la définition d’une vérité prêchée dans toute l’Église comme divinement révélée. L’infaillibilité oblige à une soumission sans aucune restriction.
« L’assentiment de foi n’est pas dû seulement à ce que définissent les conciles œcuméniques ou les souverains pontifes ; il doit également s’étendre à tout ce qui est présenté comme étant divinement révélé par le magistère ordinaire de toute l’Église répandue dans l’univers. »[13]
« Une fonction ordinaire ne saurait se restreindre à des actes extraordinaires, comme le sont les définitions solennelles que l’on ne publie la plupart du temps qu’à l’occasion d’une erreur ou d’une controverse. C’est pourquoi, s’il appartient d’abord et avant tout au magistère ordinaire de l’Église enseignante répandu par toute la terre d’indiquer quelle est la règle de la croyance, cela doit s’entendre au sens où si une vérité est prêchée dans toute l’Église comme divinement révélée, on doit dire par le fait même et, indépendamment de toute définition émanant d’un concile ou d’un pape, qu’elle fait partie de la foi catholique à laquelle s’oppose l’hérésie. » (Billot, n° 610)
L’assentiment d’obéissance, lui, n’est pas absolu parce qu’il ne concerne pas la définition d’une vérité prêchée dans toute l’Église comme divinement révélée. Une évidence contraire peut dispenser de l’obligation d’obéir.
« On ne doit pas penser que ce qui est proposé dans les lettres encycliques n’exige pas de soi l’assentiment, sous le prétexte que les papes n’y exerceraient pas le pouvoir suprême de leur magistère. C’est bien, en effet, du magistère ordinaire que relève cet enseignement et pour ce magistère vaut aussi la parole [du Christ aux Apôtres] : « Qui vous écoute, m’écoute » (Luc X, 16), et le plus souvent ce qui est proposé et imposé dans les encycliques appartient depuis longtemps d’ailleurs à la doctrine catholique. Que si dans leurs actes, les souverains pontifes portent à dessein un jugement sur une question jusqu’alors disputée, il apparaît donc à tous que, conformément à l’esprit et à la volonté de ces mêmes pontifes, cette question ne peut plus être tenue pour une question libre entre théologiens. »[14]
« Le plus souvent » de Pie XII ne laisserait-il pas alors la place au « cas rarissime », à « l’hypothèse vraiment très rare » de certains théologiens où pour « des motifs très graves » on peut refuser la doctrine proposée que l’Église enseigne avec une autorité faillible comme nous l’avons déjà vu ?[15]
A suivre.
Abbé Olivier Rioult
[1] Père R.-Th. Calmel, Lettre du 21 août 1969.
[2] « Lorsque l’autorité suprême de l’Église impose l’obligation de croire par un assentiment ferme et irrévocable la vérité des censures qui indiquent en quel sens certaines propositions sont condamnées, on a affaire à une véritable obligation qui lie la conscience vis-à-vis de Dieu, comme le dit l’Évangile : “Tout ce que vous lierez sur terre sera lié au ciel ” (Mt 16, 19). En effet dans ce passage, le texte sacré nous enseigne ouvertement qu’il ne pourra jamais arriver que l’Église ait l’intention de lier ce qu’elle ne pourrait pas lier en réalité. Or, il ne saurait y avoir une véritable obligation proprement dite de croire ce qui est déterminé par une autorité faillible. » (Billot, n° 594)
[3] La Bulle de Grégoire XI, Salvator humani generis, à l’archevêque de Riga, sur les principes de droit erronés contenus dans le « Miroir des Saxons » condamne la sentence suivante comme erronée « du moins dans le for de la conscience » : « Un héritier n’est pas tenu de répondre du vol ou de la rapine perpétrés par celui dont il hérite. »
[4] Schismatique : pousse au schisme ; séditieuse : détourne de l’obéissance aux chefs légitimes de la société civile ; scandaleuse : occasion de ruine spirituelle en incitant au péché ou en détournant de la vertu ; blasphématoire : renferme une injure envers Dieu ; injurieuse : renferme une injure envers ce que l’Église honore ; impie : porte atteinte au culte divin et à son rayonnement.
[5] DC 78 (1981), p. 427.
[6] DC 89 (1992), p. 438-440.
[7] « Car, le sacerdoce étant changé, il est nécessaire que la Loi le soit aussi … Ainsi a été abrogée la première ordonnance, à cause de son impuissance et de son inutilité, car la Loi n’a rien amené à la perfection, mais elle a été l’introduction à une meilleure espérance, par laquelle nous avons accès auprès de Dieu. » (Heb 7, 12 & 18-19) ; « En effet, si la première Alliance avait été sans défaut, il n’y aurait pas eu lieu de lui en substituer une … En disant : « Une Alliance nouvelle », Dieu a déclaré la première vieillie; or, ce qui est devenu ancien, ce qui est vieilli, est près de disparaître. » (Heb 8, 7 & 13)
[8] « Etes-vous chrétien ? Pourquoi donc ce zèle que vous montrez pour les pratiques des Juifs ? Etes-vous juif ? Pourquoi, alors, importunez-vous l’Église ? … Est-ce une petite différence que celle qui existe entre nous et les Juifs ? Est-ce que notre controverse avec eux tombe sur des points sans importance pour que vous croyiez que le judaïsme et le christianisme ne forment qu’une seule et même religion ? Pourquoi alliez-vous des choses incompatibles ? Ils ont crucifié Jésus-Christ, et vous l’adorez. Vous le voyez, la différence est totale. Comment pouvez-vous courir aux réunions de ceux qui ont crucifié Celui que vous faites profession d’adorer ? … Si vous croyez que le judaïsme soit la vérité, pourquoi importunez-vous l’Église ? Mais, si le christianisme est vrai, comme il l’est en effet, restez-y et suivez-le. Vous participez aux mystères ; comme chrétiens, vous adorez Jésus-Christ, vous lui demandez des grâces ; et vous célébrez des fêtes avec ses ennemis ? Et dans quelle intention, après cela, vous présentez-vous à l’église ? » Saint Jean Chrysostome, Quatrième discours contre les Juifs.
[9] Merkelbach, Summa Theologiae Moralis, T. 1, n° 744 ; Cardinal de Lugo, Disputationes Scholasticæ et Moralis, De Virtute Fidei, disp. XX, sect. V.
[10] Xavier da Silveira, Le nouvel Ordo Missæ de Paul VI, qu’en penser ? DPF, 1975, p. 173-174.
[11] Mgr Pozzo, “Le Concile Vatican II : renouveau dans la continuité avec la Tradition”, 4 novembre 2014.
Mgr Pozzo indique qu’une telle herméneutique est la panacée de tout problème ecclésial et va même jusqu’à dire que François, comme Benoît XVI et Jean Paul II, s’est exprimé « sans équivoque » sur « l’indifférentisme religieux » (p. 6). Ce qui est le comble du triomphe de la pétition de principe sur la réalité. Il n’y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir.
[12] Lettre de Paul VI à Mgr Lefebvre, 11 octobre 1976.
[13] Pie IX, Tuas libenter, 21 décembre 1863, Denz. 2879.
[14] Pie XII, Encyclique Humani generis, 12 août 1950.
[15] C] Aperçu d’une dispute théologique. 3] Le magistère ordinaire universel et sa dislocation après Vatican II : Peut-il y avoir des erreurs dans des documents du magistère ?