Sélectionner une page

Discours sur le Lefebvrisme (1/4)

par | Fév 8, 2015 | Abbé Rioult, Discours sur la secte conciliaire

Lefevbrisme 1

Mgr Lefebvre : une mythe intouchable ou un héros avec ses limites ?.. 1

1°) Évolution de Mgr Lefebvre sur l’accord avec une Rome qui favorise l’hérésie 2

2°) Évolution de Mgr Lefebvre sur la messe bâtarde qui favorise l’hérésie 4

Retrouver tous les pdf  du « Discours sur le secte conciliaire, le lefevrisme », pour une lecture plus aisée (notes sur chaque page) en cliquant ici.

Mgr Lefebvre : une mythe intouchable ou un héros avec ses limites ?

« Je n’ai jamais eu la prétention de représenter tous les catholiques fidèles à la Tradition de l’Église. »[1]

« Nous ne dépendons nullement de Mgr Lefebvre en matière de doctrine, de liturgie, de morale ou de vie chrétienne. Mais nous dépendons de l’enseignement constant et de la pratique ininterrompue de l’Église catholique. »[2]

Il y a, dans l’œuvre de saint Thomas, des assertions dont la fausseté est aujourd’hui démontrée. Suivre saint Thomas dans ces erreurs serait indigne d’un thomisme catholique. De plus, le docteur commun de l’Église ne fut pas toujours et en tout le théologien le plus clair ou le plus sûr sur tel ou tel sujet. Contrairement à d’autres théologiens, il n’a jamais pu affirmer que la très sainte Vierge Marie fut sanctifiée au premier instant de son existence personnelle. Quel théologien thomiste aujourd’hui suivrait saint Thomas dans son ignorance sur ce point précis ?[3]

Saint Cyprien de Carthage, docteur et martyr du Christ, au sujet de la dispute sur la validité du baptême conféré par des hérétiques, a donné dans une lettre à son clergé une solution fausse. Sa lettre était pourtant magnifique, fondée sur l’Écriture et convaincante…

Quand M. l’abbé Gleize relève une erreur chez saint Thomas d’Aquin ou le cardinal Billot, on ne voit là qu’une saine critique et une juste liberté théologique[4]. Pourquoi ce réflexe théologien ne pourrait-il pas s’appliquer aussi à la personne de Mgr Lefebvre ?

Mgr Lefebvre a plusieurs fois affirmé qu’il n’avait pas « la prétention d’être infaillible ». Ses disciples aurait-il l’intention de le contredire sur ce point ? Qui oserait alors prétendre que Mgr Lefebvre n’ait jamais pu dire ou faire d’erreur ? Un Lefebvrisme qui voudrait occulter certaines insuffisances, inconséquences ou erreurs chez Mgr Lefebvre est, à nos yeux, préjudiciable, et celui qui s’obstinerait à vouloir les répéter est condamnable.

Prenons un exemple.

Un an avant les sacres, Mgr Lefebvre déclarait :

« Je pense que Jean-Paul II est moderniste, mais si Pie X a réprouvé les modernistes, il ne les a pas excommuniés. […] Si je sacrais un évêque sans l’autorisation indispensable du pape, je serais schismatique. Or tant que je reconnais que Jean-Paul II est pape, je ne peux pas rompre avec lui. »[5]

Mais quelques jours avant les sacres, il affirmait :

« Je serai excommunié par un pape moderniste, alors que les modernistes ont été eux-mêmes excommuniés par les papes prédécesseurs de Jean XXIII. […] C’est la Rome actuelle qui est schismatique puisqu’elle se sépare et même s’oppose à la Tradition sur au moins trois point. »[6]

Qu’on le veuille ou non, ces propos sont contradictoires. A moins de se résoudre à des contresens, on ne peut donc pas les accepter sans esprit critique.

Or, nous avons aujourd’hui assez de recul pour porter un regard objectif sur les positions fluctuantes de Mgr Lefebvre, en particulier sur l’accord possible avec une Rome qui favorise l’hérésie, sur le problème de la messe bâtarde qui favorise l’hérésie et sur le problème du pape qui favorise l’hérésie.

1°) Évolution de Mgr Lefebvre sur l’accord avec une Rome qui favorise l’hérésie

La Fraternité sacerdotale saint Pie X prétend suivre la ligne de crête de Mgr Lefebvre. Quelle était cette ligne de crête ? Elle se résume en deux mots : ni hérétique ni schismatique. Elle a été suivie dans un contexte très particulier et même inouï dans l’histoire catholique : la défense de la foi face à l’apostasie de Rome.

« Rome a perdu la Foi, mes chers amis, Rome est dans l’apostasie. Ce ne sont pas des paroles, ce ne sont pas des mots en l’air que je vous dis. C’est la vérité. Rome est dans l’apostasie. On ne peut plus avoir confiance dans ce monde-là, il a quitté l’Église. Ils ont quitté l’Église, ils ont quitté l’Église, ils quittent l’Église. C’est sûr, sûr, sûr. »[7]

Mais étrangement depuis un certain temps[8], dans la bouche des autorités de la Fraternité sacerdotale saint Pie X, on a assisté à un glissement sémantique : on ne dit plus ni hérétique ni schismatique mais ni moderniste ni sédévacantiste. Pourquoi cela ? Parce que ces mêmes autorités refusent de reconnaître que l’Église conciliaire n’est pas catholique et cherchent de sa part une reconnaissance légale. Or c’est un fait que Mgr Lefebvre n’est sorti de cette tentation – de chercher une reconnaissance – qu’après les sacres de 1988.

« Plus on analyse les documents de Vatican II et l’interprétation qu’en ont donnée les autorités… plus on s’aperçoit d’une perversion de l’esprit… Nous n’avons rien à faire avec ces gens-là, car nous n’avons rien de commun avec eux… Ou bien nous sommes avec l’Église catholique ou bien nous sommes contre elle, nous ne sommes pas de cette Église conciliaire qui a de moins en moins de l’Église catholique, pratiquement plus rien. »[9]

Certes avant les sacres Mgr Lefebvre a tenté, particulièrement en mai 1988 mais pas uniquement, un accord avec une Rome qui est dans l’apostasie… La signature, il est vrai, n’a duré que 24 h, mais pendant 24 h, Mgr Lefebvre a essayé de « faire confiance à un monde » romain qui « a perdu la foi, qui est dans l’apostasie. »[10] Ce mode d’agir pratique est déroutant et incohérent.

Si Mgr Lefebvre a ressenti cette tentation, il n’a jamais consenti à l’esprit dont elle procédait. De plus, il a réussi à sortir de cette tentation, même si c’est plus de manière pratique que de manière théorique. D’où les problèmes actuels de la FSSPX…

Mgr Lefebvre a ouvert une voie difficile jamais encore parcourue dans l’histoire de l’Eglise. Il était dans une situation exceptionnellement grave et environné d’avis contradictoires. Si ces circonstances excusent subjectivement Mgr Lefebvre, elles n’effacent pas objectivement la fausseté de certains de ses jugements.

Il y a des propos de Mgr Lefebvre qui sont aujourd’hui, et qui l’étaient déjà à l’époque pour certains, tout à fait inacceptables.

« J’ai signé le protocole le 5 mai, un peu du bout des doigts, il faut bien le dire, mais quand même… Bon, en soi, c’est acceptable, sans quoi je ne l’aurais même pas signé, bien sûr… »[11]

Or ce protocole doctrinal du 5 mai 1988 est purement et simplement inacceptable. Le point 3 renonce à toute polémique sur Vatican II et le point 5 donnait une légitimité au nouveau code de droit canon :

« § 3. À propos de certains points enseignés par le Concile Vatican II ou concernant les réformes postérieures de la liturgie et du droit, et qui nous paraissent difficilement conciliables avec la Tradition, nous nous engageons à avoir une attitude positive d’étude et de communication avec le Siège Apostolique, en évitant toute polémique. »

« § 5. Enfin, nous promettons de respecter la discipline commune de l’Église et les lois ecclésiastiques, spécialement celles contenues dans le Code de Droit Canonique promulgué par le Pape Jean-Paul II, restant sauve la discipline spéciale concédée à la Fraternité par une loi particulière. »

L’acceptation de ces deux points est grave. Il était objectivement impossible de signer un tel protocole sans faire une faute contre la confession de la foi. Mgr Lefebvre ne s’en est pas aperçu, troublé qu’il fût alors, comme le fut Jeanne d’Arc à la perspective de son bûcher. Il a perdu de vue momentanément le principe selon lequel on ne peut pas se mettre sous l’autorité des hérétiques.

« Évite l’homme hérétique après une première et une seconde admonition, sachant qu’un tel homme est perverti et qu’il pèche puisqu’il est condamné par son propre jugement. » Tite, III, 10

Cette erreur, il l’a ensuite imparfaitement réalisée, grâce aux réactions extérieures…

« Nos vrais fidèles, ceux qui ont compris le problème et qui nous ont justement aidés à poursuivre la ligne droite et ferme de la Tradition et de la foi, craignaient les démarches que j’ai faites à Rome. Ils m’ont dit que c’était dangereux et que je perdais mon temps. Oui, bien sûr, j’ai espéré jusqu’à la dernière minute qu’à Rome on témoignerait d’un petit peu de loyauté. On ne peut pas me reprocher de ne pas avoir fait le maximum. Aussi maintenant, à ceux qui viennent me dire : il faut vous entendre avec Rome, je crois pouvoir dire que je suis allé plus loin même que je n’aurais dû aller. »[12]

« Imparfaitement », car stricto sensu, même après juin 1988, Mgr Lefebvre n’a pas répudié la possibilité d’un accord pratique avec Rome à condition que certaines garanties pour protéger la Tradition soient respectées. Mgr Lefebvre a perdu de vue l’insuffisance de ces conditions face au principe du nullam partem avec les hérétiques.

« J’aurais bien signé un accord définitif après avoir signé le protocole, si nous avions eu la possibilité de nous protéger efficacement contre le modernisme de Rome et des évêques. Il était indispensable que cette protection existe. »[13]

Mgr Lefebvre s’est aussi trompé en posant le problème par rapport à la sécurité de la FSSPX (avoir un évêque traditionaliste et une commission ; nous voulons être reconnus tels que nous sommes. Nous voulons continuer la Tradition comme nous le faisons) et non par rapport au problème de fond qui est qu’on ne professe plus à Rome la foi catholique et, qu’à ce titre, ce serait un péché de nous remettre sous son autorité.

« Humainement parlant, je ne vois pas de possibilité d’accord actuellement. On me disait hier : ‘ Si Rome acceptait vos évêques et que vous soyez complètement exempt de la juridiction des évêques…’ D’abord ils sont bien loin d’accepter une chose comme celle-là, ensuite il faudrait qu’ils nous en fassent l’offre, et je ne pense pas qu’ils y soient prêts, car le fond de la difficulté, c’est précisément de nous donner un évêque traditionaliste. »[14]

Aujourd’hui Rome accepte les évêques de la FSSPX et lui offre l’exemption de la juridiction des évêques… Pourtant on n’a pas le droit, en conscience, de faire reconnaître son apostolat par des hérétiques : ce serait reconnaître leur autorité sur nous et donc reconnaître des droits aux hérétiques… La substance d’un accord ne peut qu’être la constatation que Rome et nous avons la même foi. Agir autrement est contraire à la vérité et c’est mettre les âmes en danger. On peut donc regretter que la réflexion pratique de Mgr Lefebvre ait plusieurs fois manqué, sur ce problème précis, de la clarté doctrinale voulue. D’autant plus qu’en d’autres circonstances, il a su être parfaitement clairvoyant :

« C’est donc un devoir strict pour tout prêtre voulant demeurer catholique de se séparer de cette Eglise conciliaire, tant qu’elle ne retrouvera pas la tradition du Magistère de l’Eglise et de la foi catholique. »[15]

2°) Évolution de Mgr Lefebvre sur la messe bâtarde qui favorise l’hérésie

Dans la biographie de Mgr Lefebvre par Mgr Tissier de Mallerais, plusieurs chapitres traitent de ce sujet : “Un problème, l’assistance à la nouvelle messe” (p. 440…) et “Fidélité à la messe de toujours” (p. 487…).

A la veille du premier dimanche de l’Avent 1969 où le Novus Ordo Missae (N.O.M.) va être appliqué, Mgr Lefebvre dit simplement: « Nous gardons l’ancienne messe. » Il concède que tel ou tel prêtre puisse « ne pas refuser le nouvel Ordo, de peur du scandale des fidèles ». Le dimanche, en l’absence de Mgr Lefebvre, les séminaristes vont assister ensemble à la messe nouvelle en latin chez les bernardines. Mgr de Castro Mayer, à cet époque, est perplexe : « Pouvons-nous, évêques, nous taire ? Pouvons-nous, pasteurs d’âmes, suivre une via media, ne disant rien et laissant les prêtres suivre chacun sa conscience ou son insouciance, avec des risques pour beaucoup d’âmes ? Et si nous disons ouvertement ce que nous pensons, quelles seront les conséquences ? La destitution… laissant le désarroi chez beaucoup de fidèles et le scandale des plus faibles. » (5 octobre 1969)

Le 27 novembre 1969, le père Calmel publie sa Déclaration de fidélité à la messe traditionnelle et son refus de l’Ordo Missae de Paul VI.

« Madiran a écrit à Mgr Lefebvre[16], comme je l’avais fait sans succès… cet été, le suppliant de se compromettre c’est-à-dire de publier quelque chose sous son nom. Jusqu’ici, sauf deux cardinaux, Ottaviani et Bacci, nul évêque n’a osé dire : c’est moi, un tel, qui dis non. Ça viendra. »[17]

En janvier 1970, Mgr de Castro Mayer est résolu : « Il me semble préférable que le scandale éclate, plutôt que le maintien d’une situation où l’on glisse dans l’hérésie. Après mûre réflexion, je suis convaincu qu’on ne peut pas participer à la nouvelle messe et même, pour y être présent, on doit avoir une raison grave. On ne peut pas collaborer à la diffusion d’un rite qui, quoique non hérétique, conduit à l’hérésie. C’est la règle que je donne à mes amis. » (29 janvier 1970 à Mgr Lefebvre). En février 1970, Mgr Lefebvre invite « à ne pas hésiter à faire une route un peu longue pour avoir la messe selon l’ordo romain », mais « si on n’a pas le choix et si le prêtre qui célèbre la messe selon le Novus Ordo est un prêtre digne et fidèle, on ne doit pas s’abstenir d’aller à la messe. » Aux prêtres tiraillés, Mgr Lefebvre conseille, dans les débuts de la réforme, de garder au moins et en latin l’Offertoire et le Canon traditionnels.

Le 25 novembre 1970, à Écône, il réunit professeurs et séminaristes, et commence par distribuer un résumé d’une conférence où il expose son refus doctrinal et pastoral de la messe nouvelle. Il n’hésite plus à dire que « la messe nouvelle conduit lentement à l’hérésie ». Jusque-là, il gardait « l’ancienne messe » parce qu’elle était encore permise, mais cette fois-ci, il rejette personnellement le Novus Ordo.

En 1971 les Pères Guérard des Lauriers, Barbara, Vinson… prennent publiquement position contre l’assistance à la nouvelle messe. En 1972, les conseils de Mgr Lefebvre aux séminaristes comme aux fidèles sont encore empreints toujours d’une étonnante modération :

« Faites tous les efforts, exhorte-t-il, pour avoir la messe de saint Pie V, mais dans l’impossibilité d’en trouver à 40 kilomètres à la ronde, s’il se trouve un prêtre pieux qui dise la messe nouvelle en la rendant aussi traditionnelle que possible, il est bon que vous y assistiez pour satisfaire au précepte dominical. […] Faudrait-il vider toutes les églises du monde ? Je ne me sens pas le courage de dire une telle chose. Je ne veux pas pousser à l’athéisme ».

Les abbés Coache et Barbara lors des « marches sur Rome » à la Pentecôte des années 1971 et 1973, ont fait prêter aux pèlerins et aux enfants un « serment de fidélité à la messe de saint Pie V ». Une lettre de Mgr Lefebvre à l’abbé Coache, en date du 25 février 1972, montre que Mgr Lefebvre voulait se tenir à l’écart de ces positions publiques pour sauver la légalité et/ou l’existence de son séminaire :

« Cher M. l’Abbé […] veuillez comprendre que pour la subsistance de l’œuvre que je poursuis, – Dieu sait dans quel dédale de difficultés, – je ne puis rien faire de public et de solennel dans un diocèse sans avoir le placet de l’évêque […]. J’ai déjà des plaintes contre le séminaire. J’arrive à en démontrer la fausseté et lentement je m’enracine et progresse. Mais toutes les portes me seront fermées pour de nouvelles installations, pour les incardinations, si je me mets publiquement dans mon tort, canoniquement. Cela vaut pour moi, à cause de la survie et du progrès de mon œuvre, cela ne vaut pas nécessairement pour vous […] Vous me trouverez trop prudent. Mais c’est l’affection que je porte à cette jeunesse cléricale qui me convie à l’être. Je dois m’étendre et essayer d’avoir le droit pontifical. »[18]

En 1973, Mgr Lefebvre fait un pas de plus : « Il est entendu que notre attitude deviendra de plus en plus radicale au fur et à mesure que le temps passe, l’invalidité se répandant avec l’hérésie », mais toujours rien de définitif contre l’assistance à la nouvelle messe. Le Père Thomas Calmel, catégorique, vient secouer le séminaire d’Écône lors de la retraite pascale de 1974 qu’il prêche :

« Ne traînez pas Saint-Pie X aux messes de la nouvelle religion ! Notre position n’est tenable que si nous avons une âme de martyrs. […] Ce n’est pas drôle, mais c’est l’amour de Dieu qui nous demande cela : un témoignage aussi dur, aussi usant, avec tous les faux problèmes d’autorité, d’obéissance. C’est l’amour de Dieu qui a fait les martyrs, les témoins de la foi. Notre témoignage, notre combat à nous, c’est de maintenir le rite fidèle. Être confesseurs de la foi à notre époque, c’est un grand honneur que Dieu nous fait. Quels que soient nos sentiments de relégation, de déréliction, maintenons ! »

Mgr Lefebvre ajuste peu à peu sa position dans le sens de la fermeté : cette messe au rite oecuménique est gravement équivoque, elle blesse la foi catholique, « c’est pourquoi elle n’oblige pas pour l’accomplissement du devoir dominical », écrit-il, en privé, en 1975. Pourtant la même année, il admettra encore une « assistance occasionnelle » à la nouvelle messe, lorsqu’on craint de demeurer longtemps sans communier. En 1975, Mgr Lefebvre concède que « la messe nouvelle est ambivalente, équivoque, car un prêtre peut la dire avec la foi catholique intégrale au sacrifice, etc., et un autre peut la dire avec une autre intention, car les paroles qu’il prononce et les gestes qu’il fait ne le contredisent plus », mais il ne prend toujours pas publiquement position contre l’assistance à la nouvelle messe.

Mgr Tissier écrit que le 5 mai 1975, en la fête de saint Pie V et le jour des funérailles du Père Calmel, Mgr Lefebvre prend la résolution de conserver coûte que coûte la messe traditionnelle (p. 508, note 3). En 1977, « il est quasi absolu, écrit Mgr Tissier : ‘Nous conformant à l’évolution qui se produit peu à peu dans les esprits des prêtres, (…) nous devons éviter, je dirais presque d’une manière radicale, toute assistance à la nouvelle messe.’ »

Bientôt, Mgr Lefebvre ne tolère plus qu’on participe à la messe célébrée selon le nouveau rite, sinon passivement à l’occasion d’obsèques, par exemple. La messe nouvelle est mauvaise en elle-même et non pas seulement par des circonstances entourant le rite, comme la table tenant lieu d’autel ou la communion dans la main. En 1981, « cette messe est mauvaise. C’est une messe empoisonnée. »

En 1981, l’abbé Piero Cantoni, professeur à Écône, enseignait durant ses cours que les lois universelles de l’Église étaient garanties par l’infaillibilité, et que par conséquent il était impossible que la nouvelle messe (en tant que loi universelle de l’Église) soit mauvaise en soi, et qu’on ne devait pas s’abstenir d’y assister, tout en maintenant une préférence pour la Messe de saint Pie V. Tous les professeurs d’Écône, y compris le directeur, M. l’abbé Tissier, soutinrent l’abbé Cantoni, à l’exception de l’abbé Williamson. Les séminaristes furent tous interrogés par le directeur sur ce sujet ; les Italiens, en général solidaires de l’abbé Cantoni, furent tous promus au sous-diaconat, même ceux qui déclarèrent que pendant les vacances ils assistaient à la nouvelle messe. L’unique exclu de l’ordination au sous-diaconat fut l’abbé Francesco Ricossa, qui considérait comme illicite l’assistance à la nouvelle Messe. Avec la rentrée de Mgr Lefebvre au séminaire, en juin, les choses changèrent. Il prit définitivement position contre l’assistance à la nouvelle messe. A l’abbé Cantoni, il permit de conserver ses opinions, à condition qu’il ne les enseigne plus durant les cours, autrement, disait-il, “je devrai fermer le séminaire” fondé sur la Messe traditionnelle. Durant l’été, l’abbé Cantoni, suivi de presque tous les séminaristes italiens, quitta la Fraternité Saint-Pie X et fut incardiné dans le diocèse de Massa. L’abbé Cantoni avait simplement voulu maintenir la position “prudentielle” que la Fraternité professait jusqu’en 1975, mais entre temps cette position avait évolué. Ce qui était prudent en 1973 était devenu en 1981 imprudent car erroné.

En 1982, tout candidat au sacerdoce de la Fraternité devait jurer de ne conseiller à personne l’assistance à la nouvelle messe et en 1983 le district italien exposera – en tant que position de Mgr Lefebvre – la doctrine selon laquelle on commet objectivement un péché en assistant à la nouvelle messe : « Il faut refuser ces réformes et s’inspirer, pour la pastorale, du comportement de l’Église vis-à-vis des rites schismatiques et hérétiques. »[19]

Il ressort de ces faits que la position de Mgr Lefebvre a évolué de 1969 à 1981 dans le sens de la fermeté doctrinale. En résumé, de 1969 à 1975 il était obligatoire d’assister, dans certains cas, à la nouvelle messe sous peine de péché. De 1975 à 1981 il était licite de ne pas assister à la nouvelle messe, comme d’y assister. A partir de 1981, il est illicite d’y assister sous peine de péché. Il aura fallu plus de dix ans à Mgr Lefebvre pour conclure catégoriquement comme Mgr de Castro Mayer. Ceci est la constatation d’un fait, non un reproche.

Il convient aussi de souligner que la “position prudentielle” sur la question de la non-assistance à la messe a un point d’arrivée diamétralement opposé au point de départ. Cette remarque n’a point pour but de dénigrer Mgr Lefebvre, car nous sommes bien conscients de la difficulté qu’il y a eu pour lui à se trouver quasiment seul face à un épiscopat muet, et face à une situation inédite dans l’Église. Cette remarque a pour but de nous rendre plus attentifs et plus vigilants quant à la “position prudentielle” de la Fraternité concernant d’autres épineuses questions. La FSSPX est libre d’avoir son opinion, mais cela ne lui donne pas le pouvoir de l’imposer au monde catholique.

Enfin, cette remarque est utile pour saisir que les textes de Mgr Lefebvre ne suffisent pas à le comprendre totalement. Quand Mgr Fellay, les Abbés Pfluger, Lorans, Simoulin… et M. Jacques-Régis du Cray citent des textes de Mgr Lefebvre de 1978, 1983, 1987… au sujet de nos rapports avec Rome pour prétendre exposer sa pensée définitive, ils se trompent. Sur ce sujet, comme sur l’assistance à la messe, la pensée de Mgr Lefebvre a abouti à un point d’arrivée diamétralement opposé au point de départ. C’est donc bien M. l’abbé Pivert, en son livre « Nos rapports avec Rome », qui est le plus fidèle à la pensée profonde de Mgr Lefebvre. Comme le disait Mgr Williamson en conférence, le vrai Mgr Lefebvre, on le trouve dans une action : celle des sacres de 1988.

(A suivre…)                                      Abbé Olivier Rioult

[1] Mgr Lefebvre, Lettre aux Amis et Bienfaiteurs n° 9, oct. 1975.

[2] Abbé Laurençon, Fideliter, n° 119, sept.-oct. 1997.

[3] On trouve chez saint Thomas, des formules qui semblent contraires à l’immaculée conception, et d’autres qui semblent la postuler. Pour en savoir plus, voir la conférence du frère Pierre-Marie O.P donnée le 27 novembre 2004, lors d’un colloque marial organisé à Lyon : « Il est vrai que parmi les disciples de saint Thomas qui ont été favorables au dogme – avant ou après sa promulgation –, plusieurs disent que saint Thomas d’Aquin s’est trompé sur cette question : les carmes de Salamanque (XVIIe siècle), le servite (et cardinal) Lepicier (1863-1936), les jésuites Suarez (1546-1617), Pesch (1853-1925), Billot (1846-1931) et Le Bachelet (1855-1925, auteur de l’article Immaculée-Conception du DTC), etc. Toutefois, on peut remarquer avec Zubizarreta que ce n’est pas le plus grand nombre. Se sont prononcés dans l’autre sens : le franciscain François Henno (au début du XVIIIe siècle), le carme Sylveira (1592-1687), les jésuites Nieremberg (1595-1658), Plazza (1677-1761), Perrone (1794-1876), Cornoldi (1822-1892), Palmieri (1829-1909) et Hurter (1832-1914), le cardinal Mazella S.J. (1833-1900), et parmi les dominicains, outre ceux que nous venons de citer, les pères Berthier (1848-1924), del Prado (1852-1918), Hugon 58 (1867-1929) et Garrigou-Lagrange (1877-1964), qui admet toutefois une hésitation momentanée de saint Thomas ».

[4] Abbé Gleize, l’Église et sa constitution, Courrier de Rome, note 177 de la page 103 : « et de fait, dans la somme (3a pars, q. 27, art. 2, ad 2 et ad 3) saint Thomas s’est trompé. » & note 92 du n° 559 : « C’est ici que le raisonnement du cardinal Billot ne tient pas ».

[5] Mgr Lefebvre, Monde et Vie, 15 mai 1987, p. 13.

[6] Mgr Lefebvre, Monde et Vie, 24 juin 1988, p. 13.

[7] Conférence aux prêtres, Ecône, 4 septembre 1987.

[8] … qui ne date pas de la tentative d’accord entre Mgr Fellay et Benoît XVI en 2012. Ce travail sur les esprits était à l’œuvre insidieusement avant les années 2000 :

« Il est absolument faux de croire que la fidélité à Mgr Lefebvre implique de conserver sans changement et pour les siècles des siècles la ligne de conduite qu’il avait sagement déterminée avant sa mort. Cette ligne de conduite comporte, certes, une partie proprement doctrinale… mais elle comporte également un choix prudentiel… » Abbé Laurençon, Fideliter, n° 132, nov.déc. 1999.

Voir aussi à ce sujet la “Lettre ouverte à l’Abbé Lorans, responsable du GREC et chargé de la Communication de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X” (La Sapinière, 11 février 2013) et l’ouvrage du Père Michel Lelong intitulé « Pour la nécessaire réconciliation » (NEL Éditions, janvier 2012).

[9] Retraite sacerdotale à Ecône, en septembre 1990. Fideliter n° 87, mai-Juin 1992, p. 8.

[10] Marcel Lefebvre, par Mgr Tissier de Mallerais, Clovis, 2002, p. 577.

[11] Mgr Lefebvre, Ecône, Colloques avec Rome, Cospec 125-B, 9 juin 1988.

[12] Fideliter n° 79, janvier 1991.

[13] Mgr Lefebvre, Flavigny, décembre 1988.

[14] Mgr Lefebvre, conférence du 6 septembre 1990.

[15] Itinéraire spirituel, 1990, p.29.

[16] Publié dans Itinéraires, n° 139, janvier 1970, pp. 19-25. En voici un extrait : “Vous me dites que de nombreux évêques du monde entier se rendent compte de la situation : très bien, mais où sont-ils ? […] Pour la messe, il faut que des évêques parlent publiquement. […] Pour la messe, nous avons besoin de témoins qui disent leur nom, et qui mettent dans la balance leur personne et s’il le faut leur vie. Qu’ils parlent!

[17] Père R.-T. Calmel, Lettre du 2 déc. 1969.

[18] Le combattant de la Foi, in Fideliter n° 102, nov.-déc. 1994, pp. 69-70.

[19] Principes et directives de l’action pastorale de la Fraternité Saint-Pie X dans la situation actuelle de l’Église. Actes du chapitre général de septembre 1982, Cor unum n°13, octobre 1982, p. 5-6.