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Discours sur l’Église romaine face à l’apostasie (5/12)

par | Oct 8, 2015 | Abbé Rioult

5. JP II ASSISEB] Les canonisations : un jugement définitif de sainteté. 1

3] Le magistère ordinaire universel et sa dislocation après Vatican II. 4

La dislocation de l’autorité magistérielle. 6

Peut-il y avoir des erreurs dans des documents du magistère ?.. 11

pdf  du « Discours sur le secte conciliaire, le lefevrisme », pour une lecture plus aisée (notes sur chaque page) en cliquant ici.

B] Les canonisations : un jugement définitif de sainteté.

Si le cas de la liberté religieuse est ardu à manier, celui des canonisations semble plus apte à éclairer à notre problème.

« Il est nécessaire que l’autorité suprême s’exerce de manière infaillible chaque fois qu’elle prononce un jugement définitif. […] En effet, lorsqu’ils canonisent un saint, les souverains pontifes utilisent les expressions suivantes : nous décidons… nous déclarons… nous définissons… et ce sont celles auxquelles ils recourent aussi toutes les fois qu’ils veulent imposer aux fidèles une vérité pour qu’ils la retiennent fermement. […] Si l’on tient compte de tous ces détails, on est en mesure de conclure que les fidèles sont liés par le décret de canonisation et ne peuvent pas mettre en doute la sainteté des canonisés. »[1]

Ce propos du cardinal Billot est confirmé par celui du pape Benoît XIV mais à une nuance près.

« Toute personne qui oserait affirmer que le pontife s’est trompé pour cette canonisation ou toute autre, et qu’un saint quelconque canonisé par lui ne devrait pas être honoré d’une louange appropriée, serait accusée par nous d’être, sinon hérétique, au moins téméraire ; d’être scandaleuse pour toute l’Église ; injurieuse pour les saints ; de favoriser les hérétiques qui nient l’autorité de l’Église pour la canonisation des saints ; d’avoir une odeur d’hérésie, car elle ouvrirait aux infidèles le chemin pour ridiculiser les fidèles ; de défendre une proposition erronée, et d’être sujet aux plus graves sanctions. »[2]

« Sinon hérétique, au moins téméraire », cette expression laisserait-elle, en ce domaine, la possibilité (rarissime d’où témérité ?) d’un abus d’autorité qui n’engagerait point l’infaillibilité ?

En tous cas, le dimanche de Quasimodo 2014, François a “canonisé” sur la place Saint-Pierre de Rome Jean XXIII et Jean-Paul II, en présence de son prédécesseur Benoît XVI, d’une foule de 800.000 personnes, et devant 93 pays représentés par leurs chefs d’État ou de gouvernement. Le préfet de la Congrégation pour la cause des Saints, le cardinal Angelo Amato, a demandé par trois fois, comme le veut la tradition, la sanctification :

« Très Saint Père, la Sainte Mère Église demande avec force que votre sainteté inscrive les Bienheureux Jean XXIII et Jean-Paul II au catalogue des saints et que comme tels ils soient invoqués comme saints […]. Confortée par la prière, Très Saint Père, la Sainte Église vous demande avec grande force que Votre Sainteté veuille bien inscrire ces nouveaux fils élus dans le catalogue des Saints […]. Très Saint Père, la Sainte Église, confiante dans la promesse du Seigneur d’envoyer sur elle l’Esprit de Vérité qui à toute époque a préservé de l’erreur le magistère suprême, supplie avec force Votre Sainteté de vouloir inscrire ces fils élus dans le catalogue des saints. »

François a alors prononcé, en latin, la formule suivante :

« En l’honneur de la Sainte Trinité, pour l’exaltation de la foi catholique et l’accroissement de la vie chrétienne, avec l’autorité de Notre Seigneur Jésus Christ, des saints apôtres Pierre et Paul, après avoir longuement réfléchi, invoqué plusieurs fois l’aide de Dieu et écouté l’avis de beaucoup de nos frères dans l’épiscopat, nous déclarons et définissons saints les bienheureux Jean XXIII et Jean-Paul II, et nous les inscrivons dans le catalogue des saints et établissons que dans toute l’Église ils soient dévotement honorés parmi les saints. »

Comment un homme inspiré par le diable et au service de la Maçonnerie, comme le fut Jean-Paul II aux dires de Mgr Lefebvre, peut-il être un saint ?[3]

L’infaillibilité engagée dans la canonisation d’un saint vient de l’intention du pape de déclarer, de façon universelle, solennelle et définitive, que le saint est dans la gloire éternelle et constitue un modèle de vertu pour tous les fidèles.

A cela, certains soulèvent trois difficultés majeures, qui suffisent à rendre douteux, à leurs yeux, le bien-fondé des canonisations nouvelles au point de remettre en cause leur infaillibilité.

– Ils invoquent l’insuffisance de la procédure qui depuis la Constitution apostolique Divinus perfectionis magister de Jean-Paul II en 1983, est indéniablement moins rigoureuse que l’ancienne. Ne sont plus requis qu’un seul miracle pour la béatification et à nouveau un seul pour la canonisation.

– Ils invoquent une régression de la législation qui revient à ce qu’elle fût avant le 12e siècle lorsqu’étaient confondues la béatification et la canonisation comme étant deux actes de portée non-infaillible. Les nouvelles normes promulguées en 1983 et le Motu proprio Ad tuendam fidem de 1998 indiqueraient que, dans le cas précis des canonisations, le pape va – pour les besoins de la collégialité – exercer son magistère ordinaire comme un simple interprète du magistère collégial. Les canonisations ne seraient donc plus garanties par l’infaillibilité personnelle du magistère solennel du pape.

– Ils invoquent enfin un changement d’optique dans la nouvelle théologie et dans le magistère post-conciliaire. On y passe sous silence la distinction entre une sainteté commune et une sainteté héroïque proposée comme modèle au peuple chrétien : le terme même de « vertu héroïque » n’apparaît nulle part dans les textes de Vatican II. Jean-Paul II comme Benoît XVI donnent du salut et de la sainteté une définition œcuménique faisant allusion à une communion de sainteté qui transcende les différentes religions et qui fausse par le fait même la notion de sainteté, corrélative du salut surnaturel.

Toutes ces raisons suffiraient pour douter du bien-fondé des nouvelles canonisations.

Mais que peut-il rester de l’infaillibilité de l’Église si elle peut changer la définition de la sainteté ? Et en ce qui concerne le manque de rigueur dans la procédure papale et sa régression de la législation, il est bon de rappeler ce qu’écrivait le cardinal Billot :

La cause de l’infaillibilité est une « assistance divine, c’est-à-dire une Providence toute spéciale, qui veille à ce que le pape ne puisse jamais procéder à une définition sans qu’elle soit conforme à la vérité et comprise dans les propres limites du magistère ecclésiastique. […] Loin d’exclure que le pape examine avec soin les sources de la révélation transmises par les apôtres, cette Providence exige au contraire par sa nature même et rend obligatoire cet examen. Cependant, ce n’est pas cet examen qui fait l’infaillibilité. […]. Ces conditions concernent la conscience du pape et relèvent plutôt de l’ordre moral que de l’ordre théologique. […] Sinon le privilège de l’infaillibilité ne saurait être le moyen efficace pour conserver et entretenir l’unité de l’Église. Mais on n’a aucune raison de craindre que l’Église universelle puisse être induite en erreur dans la foi à cause d’une mauvaise foi ou d’une négligence du pape. En effet, l’assistance promise par Dieu aux successeurs de saint Pierre est une cause si efficace que si le jugement du souverain pontife était erroné, elle l’empêcherait ; et si le pape procédait réellement à une définition, celle-ci serait infailliblement vraie. » (Billot, n° 991)

De fait, c’est ce qui s’est passé avec Sixte V et sa célèbre édition de la Bible. Le Concile de Trente avait déclaré authentique l’ancienne traduction latine du texte original hébreu et grec, à savoir la Vulgate, en insistant pour que l’on en fît une édition aussi correcte que possible. De 1563, clôture du concile, à 1586, seconde année de son pontificat, les travaux n’avancèrent pas assez vite au goût de Sixte V. Il fit reprendre activement la correction de la Vulgate et confia les travaux préparatoires à une commission sous la présidence du cardinal Antoine Carafa, se réservant à lui-même le droit de trancher d’autorité les questions de critique textuelle en vertu d’un privilège spécial concédé par Dieu au Saint-Siège. A la suite d’une violente discussion avec le cardinal Carafa, le 16 novembre 1588, Sixte V se fit remettre le lendemain les travaux de la commission, décidé à conduire l’œuvre à son terme. L’intervention de Sixte V fut néfaste en raison de ses principes de critique textuelle et parce qu’il allait omettre des textes qui appartenaient certainement au texte authentique de la Bible. Le travail avança si rapidement que, dès le 2 mai 1590, la Bible entière était imprimée.

Le texte était précédé d’une Bulle d’après laquelle cette édition de la Vulgate devenait l’unique version latine autorisée. Des critiques s’élevèrent de partout. Le cardinal Carafa, qui protesta énergiquement, fut menacé de l’Inquisition. Face à une opposition générale, Sixte V, bien que fougueux et impulsif, ne pouvait nier l’évidence. Il renonça à promulguer la Bulle qui déclarait cette Bible la seule authentique et en imposait l’usage à l’exclusion de toute autre. Il songea même à corriger cette Bible et à en publier une seconde édition entièrement revue. La mort interrompit ce travail. Sa mort empêcha aussi la promulgation d’un nouvel Index, censurant les Controverses de Robert Bellarmin qui « limitaient trop la juridiction temporelle du souverain pontife en affirmant qu’il n’avait pas le domaine direct du monde entier. » Cette condamnation voulue par Sixte-Quint ne fut ni réellement consommée sous son pontificat, ni sanctionnée par son successeur. Saint Robert Bellarmin qui prit une part active à la préparation et à la publication de l’édition définitive de la Vulgate, dite sixto-clémentine, disait ce qu’il pensait de l’édition sixtine, dans une lettre qu’il adressa, en 1602, à Clément VIII : « Votre Béatitude sait à quel danger Sixte-Quint s’exposa lui-même et toute l’Église, lorsqu’il entreprit la correction des saints Livres d’après les lumières de sa science particulière, et je ne sais vraiment pas si jamais l’Église a couru un plus grand danger. »[4]

Et en ce qui concerne le problème de « savoir avec certitude quand le pape fait une définition avec l’autorité requise en accomplissant sa charge de docteur suprême », le cardinal Billot répond qu’il suffit « de donner des exemples pour dissiper tout de suite une objection si inepte et si absurde. » Et il citait les mots même utilisés par les pontifes :

« […] En conséquence nous déclarons, disons et définissons qu’il est absolument nécessaire au salut, pour toute créature humaine, d’être soumise au pontife romain. » (Boniface VIII)[5]

« En outre nous définissons que, selon la disposition générale de Dieu, les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent aussitôt après leur mort en enfer, où elles sont tourmentées de peines éternelles… » (Benoît XII)[6]

« Tous et chacun des articles ou des erreurs précités, nous les condamnons, les réprouvons et les rejetons totalement, selon le cas, comme hérétiques, ou scandaleux, ou faux, ou comme offensant les oreilles pies ou comme induisant en erreur les esprits simples et comme opposés à la vérité catholique. » (Léon X)[7]

« Nous déclarons, condamnons et réprouvons les propositions qui précèdent comme hérétiques et renouvelant diverses hérésies, principalement celles qui sont contenues dans les fameuses propositions de Jansénius, prises dans le sens dans lequel elles ont été condamnées. » (Clément XI)[8]

« Nous demandons donc à tous les fidèles du Christ, des deux sexes, de ne pas avoir l’audace de penser, d’enseigner, de prêcher au sujet des propositions et des doctrines susdites en allant à l’encontre de ce qui a été déclaré dans notre constitution : en sorte que quiconque les enseignera, les défendra ou les éditera, ou l’une d’entre elles, en totalité ou séparément, encourra ipso facto et sans autre déclaration les censures ecclésiastiques et les autres peines prévues par le droit à l’encontre de ceux qui commettent des actes semblables. » (Pie VI)[9]

« C’est pourquoi toutes et chacune des fausses opinions et doctrines signalées en détail dans la présente lettre, Nous les réprouvons, les proscrivons et les condamnons en vertu de notre autorité apostolique, et Nous voyons et ordonnons que tous les enfants de l’Église catholique les tiennent pour réprouvées, proscrites et condamnées. » (Pie IX)[10]

Puis, le cardinal Billot faisait cette importante remarque :

« Cependant, il ne faudrait pas voir dans ces formules auxquelles les papes ont eu recours depuis le Moyen-Âge, l’unique critère dont nous parlons. […] Que l’Église propose son jugement définitif et catégorique en ces termes exprès ou en d’autres termes équivalents, on verra toujours, d’une manière ou d’une autre, que l’on a bien affaire à une définition ex cathedra. […] Il n’y a aucun inconvénient à ce que l’on puisse parfois douter si un point particulier est ou non défini. Car il s’ensuit seulement qu’en dehors des points qui sont considérés en toute certitude et hors de doute comme définis et que les théologiens sont unanimes à regarder comme tels, il peut y avoir d’autres points qui ne font partie des vérités définies que de façon probable. Par conséquent, on devra les considérer comme non encore définis, compte tenu de la gravité de l’obligation qui découle d’une définition, puisqu’il faut appliquer ici le principe général d’après lequel une obligation douteuse est nulle, précisément dans les limites et dans la mesure où elle est douteuse. » (Billot, n° 986-988)

Et maintenant, qu’on relise le texte lu par François pour canoniser Jean-Paul II et qu’on le compare à celui de Benoît XV pour canoniser Jeanne d’Arc[11]. Il n’y a aucune différence ni dans les termes employés, ni dans leur signification. La différence est d’un tout autre ordre et elle est incommensurable… Jeanne est sainte, Jeanne a édifié le peuple chrétien, tandis que Jean-Paul II n’est pas saint et a scandalisé l’Église.

Une telle différence peut-elle être reconnue possible sans que se pose inévitablement la question de l’autorité du pontife qui opère ces canonisations ?

3] Le magistère ordinaire universel et sa dislocation après Vatican II.

Le pape hérétique est une chose possible théologiquement même si cette question a été fort disputée. Mais une Église hérétique, un épiscopat hérétique en union avec un pape hérétique, voilà une chose qui n’a jamais et qui ne pouvait pas être envisagée par la théologie. Car hérétique et catholique sont deux mots antinomiques.

Pourtant, un quelconque observateur, un peu versé dans la théologique, devra bien constater que l’église qui se prétend aujourd’hui catholique manifeste un épiscopat sinon hérétique, au moins fauteur d’hérésie. Ou autre manière de présenter le problème : comment un catholique peut-il se prétendre catholique tout en s’opposant à tout l’épiscopat catholique ?

« Tout ce monde-là [pape, cardinaux Ratzinger, Mayer, Cassaroli…] tient d’une manière forcenée au concile, à cette « Pentecôte », à cette réforme de l’Église dans son ensemble. De cela ils ne veulent pas démordre ! Le Cardinal Ratzinger l’a dit ouvertement au journal de Francfort Die Welt qui l’interrogeait après les sacres : “Il est inadmissible et on peut pas accepter qu’il y ait dans l’Église des groupes de catholiques qui ne se soumettent pas à ce que pensent d’une manière générale les évêques dans le monde.” Voilà, c’est clair ! »[12]

*

Quittons un instant le problème du pape hérétique, pour regarder l’épiscopat catholique et son magistère.

« Les évêques, successeurs des apôtres, sont infaillibles lorsque, d’accord entre eux et sous le Pontife Romain, ils imposent aux fidèles une doctrine à tenir de manière définitive, soit en concile, soit hors du concile […]. L’exercice du magistère ordinaire infaillible est très fréquent. Depuis le début de l’Église jusqu’à notre temps, les évêques l’ont utilisé pour prescrire les symboles de foi devant être professés par les adultes avant le baptême ; pour urger l’obligation de la profession de la vraie foi par leurs troupeaux ; pour combattre et réfuter les graves erreurs en matière de foi et de mœurs qui apparurent souvent au fil des temps ; pour déclarer et urger la grave obligation par laquelle les fidèles sont tenus de recevoir les définitions solennelles des Souverains Pontifes et des conciles œcuméniques ; en un mot, pour garder, proposer et déclarer à leurs fidèles les doctrines de foi et de mœurs qui sont considérées comme nécessaires pour l’instruction morale et religieuse de tous. »[13]

Certains assimilent le magistère ordinaire universel au dépôt de la foi. Le magistère ordinaire universel serait alors catholique, et donc infaillible, en raison de « ce qui a été cru toujours et partout par tous » dans l’Église selon la règle enseignée au Ve siècle par saint Vincent de Lérins. Mais le cardinal Newman observait déjà combien il est difficile de vérifier pour chaque article de foi cet ubique, ce semper, et cet ab omnibus. Ce critère, en effet, est approximatif. Ubique veut-il dire dans toute l’Église ou dans tous les diocèses ? Semper veut-il dire à chaque instant partout, ou toujours quelque part ? Et ab omnibus signifie évidemment par la plupart, par une majorité, mais celle-là même est-elle purement numérique, ou majorité des sages et des hommes d’autorité ? La formule de saint Vincent de Lérins ne pourra jamais être l’expression adéquate du critère du vrai magistère. Le dogme de l’Immaculée Conception, non encore formulé, n’appartenait pas à son époque au contenu explicite de la Tradition, et la formule de saint Vincent de Lérins était inefficace pour discriminer entre le vrai et le faux. C’est le magistère qui a tranché, et ensuite les théologiens ont pu s’employer à montrer, en toute sûreté, que ce dogme était en accord avec la Tradition.

Le magistère ordinaire universel n’est ni une doctrine ni le dépôt, c’est simplement l’Église enseignante mais dispersée qui « prêche la doctrine révélée ».

« Le magistère ordinaire et universel est exercé lorsque l’Église prêche la doctrine révélée, l’enseigne dans ses écoles, la publie par les évêques, et en témoigne et l’explique par les Pères de l’Église et les théologiens »[14]

On ne doit donc pas confondre le magistère qui enseigne et la doctrine qui est enseignée, car ce serait confondre la cause de la foi et la foi. Le magistère ordinaire universel, c’est l’Église qui développe authentiquement les principes révélés et conservés par la tradition apostolique « mais uniquement dans le même dogme pris au même sens et dans les mêmes sentiments. »[15]

« Le magistère de l’Église, établi ici-bas d’après le dessein de Dieu pour garder perpétuellement intact le dépôt des vérités révélées et en assurer la connaissance aux hommes, s’exerce chaque jour par le Pontife Romain et les évêques en communion avec lui… »[16]

Mais là encore « ce chaque jour » est-il absolu ou approximatif ? Saint Vincent, le docteur de la Tradition, aurait-il émis une hypothèse hérétique dans son ouvrage, tant glorifié par le concile de Trente, en écrivant : « Que fera le chrétien, si quelque parcelle de l’Église vient à se détacher de la communion de la foi universelle ? Il préférera au membre corrompu et gangrené le corps en son ensemble sain. Mais si quelque contagion nouvelle s’efforce d’empoisonner non plus une partie mais toute l’Église entière ? Son grand souci sera alors de s’attacher à l’antiquité qui évidemment ne peut plus être séduite par aucune nouveauté mensongère. »[17]

Est-il possible qu’un jour « toute l’Église entière » soit infestée de poison c’est-à-dire de doctrines corrompues et corruptrices ? Si oui, comment comprendre le « chaque jour » ou le pour « toujours » à propos de l’exercice du magistère de l’Église ?

« Le magistère ordinaire des évêques dispersés dans le monde jouit de la même infaillibilité que les conciles œcuméniques, et on lui doit la même obéissance. Preuves : dispersés aussi bien que réunis en concile, les évêques forment un seul collège apostolique et un seul corps enseignant. Or, comme tels et prêchant unanimement aux fidèles les mêmes doctrines, ils sont infaillibles (Mt. 28). Le Christ a institué un magistère destiné à enseigner toutes les nations, et il est avec lui tous les jours, donc avec le magistère ordinaire et dispersé, et non pas seulement de temps en temps, dans les circonstances extraordinaires. C’est surtout, en effet, dans leur enseignement quotidien des peuples que les “ministres de la parole” s’acquittent de leur fonction. »[18]

Depuis 50 ans les enseignements de Vatican II sont ordinairement enseignés par les évêques dispersés dans le monde. Cette “Église enseignante” dispersée prêche et enseigne, d’un consentement unanime, la liberté religieuse telle que voulue par Dignitatis humanæ… Qu’en en est-il donc de ce magistère qui prêche de telles aberrations ?

La dislocation de l’autorité magistérielle.

« La crise de l’Église est une crise due à la dislocation de l’autorité magistérielle qui, de l’autorité du magistère universel, est transférée à l’autorité des théologiens. »[19]

Pour justifier ce propos, Romano Amerio rappelait la déclaration du dominicain Hollandais, Edward Schillebeeckx : « Nous, les idées qui nous tiennent à cœur, nous les exprimons diplomatiquement, mais après le concile nous tirerons les conclusions implicites. »

Plusieurs témoignages peuvent confirmer un certain « abstentionnisme » pontifical au profit des théologiens novateurs.

Une lettre du cardinal Larroana du 18 octobre 1964, cosignée par plusieurs cardinaux et archevêques, à l’intention de Paul VI parle au sujet du schéma Constitutionis de Ecclesia, de « doctrine nouvelle » suite à une « campagne déconcertante des groupes de pression », « de l’action de beaucoup d’experts audacieux », « de la presse » qui ont « créé une atmosphère qui rend difficile une discussion sereine, entrave et empêche la vraie liberté […]. Dans une telle atmosphère, les argumentations scientifiques ne peuvent plus pratiquement exercer leur légitime influence et ne sont même plus écoutées. Le cardinal Larroana se plaint « des pressions exercées par certains groupes. Ceux-ci se sentant minoritaires en 1963, voulaient exclure la possibilité de condamnations à leur égard, mais, passés à une apparente majorité, aidés d’une propagande non théologique, ils cherchent aujourd’hui à arriver à tout prix à leurs fins. »[20]

Le très moderniste Père Congar, qui fut un expert, fait aussi d’importantes remarques en ce sens dans ses notes prises durant le Concile[21].

« Les évêques sont invités à discuter dès demain des textes qui leur ont été distribués il y a trois jours et qu’ils n’ont matériellement pas eu le temps d’étudier. » (MJC I, 260)

Le père Congar est très critique sur la capacité théologique de nombreux évêques au concile.

« Un grand nombre d’évêques sont incapables d’avoir une vue d’ensemble des questions, surtout de leurs aspects idéologiques et théologiques. Ils sont au ras des préoccupations pastorales immédiates. De plus, ils ont tellement perdu l’habitude d’étudier et de décider par eux-mêmes ! » (MJC I, 9-10)

Au sujet de cinq votes qui vont être demandés aux évêques, « ils ne perçoivent pas nettement l’enjeu doctrinal, les fondements… Étrange affaire… ! Était-ce comme cela à Nicée ou à Chalcédoine ? » (MJC I, 510) Ce jugement d’ensemble est partagé par le très orthodoxe Mgr Parente du Saint-Office, que Congar classe plutôt parmi les « intégristes » :

« Mgr Parente me dit qu’on a bien vu au concile que les évêques ne sont pas théologiens, mais sont des novices en ces questions : ils sont pris par d’autres besognes et n’ont plus le temps d’étudier la théologie. Alors, ils s’en remettent à des experts. » (MJC I, 348)

L’ambiguïté a donc été voulue par les experts pour favoriser les orientations novatrices dont le grand principe moderniste est : les vérités de foi sont nées de l’activité de l’intellect humain. C’est pourquoi une fois accepté un tel principe, il ne peut plus y avoir d’enseignement magistériel au sens propre.

La foi catholique est enseignée : l’autorité donne une vérité que l’intelligence ne savait pas. Mais, la foi moderne ne s’enseigne pas car elle vient d’un sentiment personnel sur lequel l’autorité n’a pas de pouvoir. Les documents “magistériels” modernes ne sont que des expressions de vues personnelles ou des considérations répandues dans le peuple de Dieu. En un mot, c’est l’abdication même du magistère, c’est la contradiction même du magistère.

« Aujourd’hui, je dis haut ma joie de voir mon Église, trop souvent perçue comme toujours sûre d’elle-même, propriétaire et juge de la vérité totale, briser cette image pour s’ouvrir, comprendre, accueillir la pensée des autres, reconnaître ses propres limites, accomplir finalement une opération vérité, ce qui est tout autre chose qu’exposer et défendre des vérités. »[22]

La vérité conciliaire revient donc à penser que la vérité n’est pas catholique ! Les documents “magistériels” modernes parlent beaucoup des droits de l’homme mais jamais du Christ Roi. La nouvelle évangélisation n’est pas un effort renouvelé d’évangélisation mais bien l’annonce d’une nouveauté : une paix universelle et terrestre sans le Christ, ce qui signifie un Christ facultatif.

« Le prosélytisme est une pompeuse absurdité, cela n’a aucun sens. Il faut savoir se connaître, s’écouter les uns les autres et faire grandir la connaissance du monde qui nous entoure […]. Il me semble avoir déjà dit au début de nos propos que notre objectif n’est pas le prosélytisme mais l’écoute des besoins, des vœux, des illusions perdues… Nous devons rendre espoir aux jeunes, aider les vieux, nous tourner vers l’avenir, répandre l’amour. »[23]

Ce mélange contre nature de naturalisme avec l’Évangile a produit un obscurcissement des fins surnaturelles de la religion. La justice demande essentiellement que l’homme se tourne tout entier vers Dieu. Or la foi moderne en vient à tourner l’homme vers l’homme, la morale religieuse débouche sur une morale humanitaire. De là découle la correspondance toujours plus grande entre l’œuvre de la civilisation, qui organise la vie sans référence aux choses divines, et l’action de l’Église contemporaine à laquelle ne suffisent plus les valeurs chrétiennes, mais qui est en recherche des valeurs humaines et chrétiennes. Le syncrétisme général des religions se trouve ainsi inscrit dans un syncrétisme humanitaire qui est l’âme du monde moderne.[24]

Depuis la mémorable Journée de Prière tenue le 27 octobre 1986 à Assise, Jean Paul II n’a pas cessé d’encourager les catholiques à participer à ces rencontres des religions, où « les croyants des diverses traditions religieuses, poussés par l’intention commune d’appeler la paix sur le monde », offrent un « exemple de fraternité universelle ». Or selon l’enseignement du pape Pie XI, « de telles entreprises ne peuvent, en aucune manière, être approuvées par les catholiques, puisqu’elles s’appuient sur la théorie erronée que les religions sont toutes plus ou moins bonnes et louables, en ce sens que toutes également, bien que de manières différentes, manifestent et signifient le sentiment naturel et inné qui nous porte vers Dieu et nous pousse à reconnaître avec respect sa puissance. »[25]

Les documents “magistériels” actuels répandent donc l’idée maçonnique qu’il existe une unité morale dans les diverses religions, toutes ordonnées au salut et à la paix. Et ce, évidemment, sans unité doctrinale car le dogme est facultatif ; pire, il divise. C’est là encore un signe de l’abdication du magistère qui contredit la finalité même de notre intelligence : connaître le vrai.

« La foi, qui est par nature une et univoque, est devenue aujourd’hui celle des charismatiques, qui n’est pas celle des néocatéchuménaux, qui n’est pas celle du cardinal Ratzinger, qui n’est pas celle du cardinal Martini, qui n’est pas celle du pape. Et chacun s’en va à la radio, à la télévision, écrit dans des revues et des livres et rend témoignage de sa “foi particulière”. […] Ce sont des opinions autour de la foi catholique et dissidentes de la foi catholique. […] Cette dispersion dans les opinions signifie la dissolution de la foi. […] La contradiction est une chose profonde ; c’est même la chose la plus profonde de l’être. […] Il faudrait prêter attention à la contradiction, il faudrait la craindre, en avoir horreur. Tandis qu’aujourd’hui la contradiction ne terrorise pas ; on va à sa rencontre, on l’accueille, on l’embrasse : tout est dans son contraire et les non-catholiques sont aussi catholiques. »[26]

Romano Amerio ne dit pas là autre chose que le grand philosophe belge, Marcel De Corte, dans “L’Intelligence en péril de mort”. L’autorité “magistérielle” est morte parce que l’intelligence des hiérarques assume et vit la contradiction. Pour un catholique, les articles de foi sont crus parce que révélés par l’autorité de Dieu ; pour les modernes, ils sont crus parce que sentis en soi comme intelligibles, raisonnables et possibles. Ce choix est bien sûr hérétique dans son essence. L’autorité “magistérielle” des novateurs annonce la foi sur un principe qui nie la substance même de la foi. C’est cette contradiction qui est source de la crise moderne.

L’intervention télévisuelle de Mgr Dubost, évêque d’Évry, est un exemple frappant d’un esprit moderne qui assume la contradiction : « Les catholiques de France ont accepté ce concile [Vatican II] comme une manière de lire l’Évangile aujourd’hui et ils y sont très attachés ; et je trouve ça merveilleux car qu’est-ce que dit le concile ? Il dit : il faut être fidèle à la tradition mais notre tradition la plus profonde c’est d’être ouvert au monde. D’être un signe d’unité pour le monde. L’impression qu’on pourrait toucher à Vatican II est quelque chose d’insupportable pour la plupart des catholiques français ; et je m’en réjouis. »

La conclusion qu’impose ces faits est : ces évêques catholiques ne sont plus catholiques. Cette conclusion avait déjà été évoquée par un curé de paroisse traditionnel dans la Somme, l’abbé Sulmont curé de Domcœur, dans les années 80, ayant intitulé son témoignage contre l’apostasie ambiante : Curé mais catholique !

Mais peut-on affirmer que le magistère catholique puisse ne plus être catholique sans tomber dans la contradiction ? Non, si le terme “catholique” désigne la même chose. Oui, si on admet que le premier terme “catholique” désigne des personnes et le second une doctrine. Mais cela est-il possible ?

« Le magistère ecclésiastique, même dispersé sur la terre, est infaillible pour enseigner la doctrine du Christ (vérité de foi catholique). […] Le Christ a promis l’infaillibilité à son Église absolument et sans restriction, tous les jours, et pour toujours, et donc dans le ministère du magistère ordinaire et quotidien, tout autant que dans son exercice plus solennel. Ce n’est pas seulement d’une manière extraordinaire, dans le concile, mais partout, toujours et quotidiennement, que l’Église doit proposer la vérité de telle sorte qu’elle engendre la foi dans les âmes, qu’elle repousse les hérésies, et qu’elle conduise les hommes au salut avec sécurité et efficacement : voilà sa charge essentielle. Or elle ne peut accomplir cette œuvre sans être infaillible. »[27]

« Est-ce que tous les évêques ou les docteurs, en transmettant la doctrine de la foi, peuvent tomber ensemble dans une doctrine erronée ? […] Je dis en premier que tous les évêques et docteurs ne peuvent errer dans la foi de manière à induire toute l’Église dans une erreur contraire à la foi ; et donc ils ne peuvent enseigner et proposer l’erreur à l’Église universelle, de telle sorte que toute celle-ci soit obligée à quelque chose de faux. Cette conclusion apparaît comme tout à fait certaine, car elle suit nécessairement des promesses faites à l’Église universelle au sujet de l’infaillible vérité qu’elle conserverait toujours ; de même si tous les pasteurs de l’Église pouvaient se tromper de cette manière, et obliger à quelque chose de faux, on pourrait révoquer en doute soit tout, soit beaucoup de ce que l’Église croit maintenant, car presque tout lui est proposé de cette manière. »[28]

La difficulté pour y voir clair vient du fait que, premièrement, le système catholique est parasité par un système de valeurs terrestres déréglées et fausses (le modernisme) qui ne va jamais jusqu’à l’affirmation que ces valeurs terrestres existeraient pour elles-mêmes. Car là, il y aurait une incompatibilité radicale qui simplifierait d’autant le problème. Deuxièmement, même les novateurs favorables à la mutation fondamentale sont obligés de soutenir en quelque sorte la continuité historique de l’Église car confesser un changement substantiel équivaudrait à l’apostasie ou à la profession explicite de l’hérésie. Et là encore, le problème serait résolu et l’on pourrait facilement conclure que ces personnes ne sont plus catholiques ni dans leurs discours, ni dans leurs personnes.

La difficulté vient donc du fait que ces novateurs cherchent à dissimuler le passage “à autre chose” en le rangeant dans une autre catégorie, celle de la modalité. C’est ce que fit Jean XXIII dans son discours inaugural au concile, le 11 octobre 1962, c’est ce que fait aujourd’hui François : « Il ne faut pas penser que l’annonce évangélique doit toujours se transmettre au moyen de certaines formules apprises ou de paroles précises exprimant un contenu absolument invariable. »[29] On avance donc que la nouvelle idée de la religion n’est qu’un mode nouveau d’exprimer la même religion et non le passage à une religion hétérodoxe, ce qui impliquerait la corruption et la perte de l’ancienne.

Mais qu’on dise ou taise la chose, la corruption de la religion, elle, est bien réelle. Les doctrines nouvelles répandues par le “magistère conciliaire” « manquent non seulement de tout appui du magistère, mais aussi de logique, par exemple en supposant que dire : « Le Christ n’est pas monté corporellement au ciel » n’est qu’une manière nouvelle de dire : « Le Christ est monté corporellement au ciel. » Mais non, voyons, ce n’est pas une manière de parler, c’est la contradictoire. Cette équivalence n’est soutenable que si l’on suppose que l’intelligence humaine peut concevoir les contradictions comme identiques et dire que l’être coïncide avec le non-être. C’est le “pyrrhonisme”[30]. »[31]

Autre exemple : les fausses religions sont vues comme des religions respectables alors qu’elles sont toutes des perversions de la vraie religion, puisque toutes fondées sur des abus. Ce que les Paul, Jean-Paul, Benoît et François appellent les autres religions ne sont que des « prostitutions » selon l’Écriture et la liturgie romaine. Ils parlent du sentiment religieux de l’humanité, qui est un fait naturel, comme de quelque chose de surnaturel. La vision conciliaire est en fait une vision naturaliste. Or, il y a un saut infini entre les religions de tous les peuples et la religion chrétienne : la grâce, qui n’est rien d’autre que la participation à la vie divine selon le mystère de la prédestination.

« Ô homme, qui es-tu pour contester avec Dieu ? Est-ce que le vase d’argile dit à celui qui l’a façonné : Pourquoi m’as-tu fait ainsi ? Le potier n’est-il pas maître de son argile, pour faire de la même masse un vase d’honneur et un vase d’ignominie ? Et si Dieu, voulant montrer sa colère et faire connaître sa puissance, a supporté avec une grande patience des vases de colère, formés pour la perdition, et s’il a voulu faire connaître aussi les richesses de sa gloire à l’égard des vases de miséricorde qu’il a d’avance préparés pour la gloire, envers nous, qu’il a appelés, non seulement d’entre les Juifs, mais encore d’entre les Gentils, où est l’injustice ? » (Rom 9, 20-24)

Nous savons que ceux qui se damnent se damnent par leur faute, et ceux qui se sauvent se sauvent par la Grâce de Dieu qui les a choisis gratuitement. Ce mystère est à la base de la vraie religion. Ce mystère dépasse notre raison et nous oblige à un acte de sujétion et d’humilité. Sans cette adhésion, il n’y a pas de foi surnaturelle qui sauve.

« C’est pour eux que je prie. Je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que vous m’avez donnés ; parce qu’ils sont à vous », disait le Christ au soir du Jeudi-Saint.

L’enseignement conciliaire qui a la prétention de faire croire que la religion naturelle des hommes sauverait comme la religion surnaturelle du Christ est une marque de naturalisme. On ne peut se sauver sans la grâce du Christ. D’où des contradictions incessantes : on veut l’union et le respect des différences ; or c’est justement le respect des différences qui empêche l’union. Car la différence entre la grâce du Christ et son absence est une différence infinie. Le discours conciliaire revient donc à nier la nature surnaturelle de cette grâce. Logiquement, on s’ouvre au monde. Officiellement, on ne cherche plus à convertir. Tout cela nie aussi implicitement la nature surnaturelle de l’Église fondée par le Christ, une Église hors de laquelle il n’y a pas de salut.

« Paul, serviteur du Christ-Jésus, apôtre par son appel, mis à part pour annoncer l’Évangile de Dieu, Évangile que Dieu avait promis auparavant par ses prophètes dans les saintes Écritures, touchant son Fils Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui nous avons reçu la grâce et l’apostolat, pour amener en son nom à l’obéissance de la foi tous les Gentils, du nombre desquels vous êtes, vous aussi, par appel de Jésus-Christ, à tous les bien-aimés de Dieu, les saints appelés par lui, qui sont à Rome : grâce et paix à vous de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ ! » (Rom 1, 1-5)

Ce naturalisme conciliaire ne reconnaît pas le monde comme la seigneurie du Christ Roi mais comme une réalité temporelle autonome et indépendante de Dieu, selon les principes de 1789. Les propos du cardinal Ratzinger disant : « Contentons-nous ici de constater que le texte joue le rôle d’un contre-Syllabus dans la mesure où il représente une tentative pour la réconciliation officielle de l’Église avec le monde tel qu’il était devenu depuis 1789 »[32], faisait réagir Mgr Lefebvre ainsi : « Tout cela est clair et correspond à tout ce que nous n’avons cessé d’affirmer. Nous refusons, nous ne voulons pas être les héritiers de 1789. »[33]

Comme le rappelle Romano Amerio, au sujet de Jean XXIII se refusant, au moment de l’ouverture du concile, à condamner l’erreur moderne [34], Notre Seigneur Jésus-Christ n’a point dit « Vous êtes le miel de la terre » mais « vous êtes le sel de la terre. » Et à la fin des temps, le Christ dira : « Je suis l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin. Heureux ceux qui lavent leurs robes, afin d’avoir droit à l’arbre de la vie, et afin d’entrer dans la ville par les portes ! Dehors les chiens, les magiciens, les impudiques, les meurtriers, les idolâtres, et quiconque aime le mensonge et s’y adonne ! » (Apoc 22, 13-14)

Cet abandon et ce refus de pourchasser l’erreur sont une destruction et une contradiction de la mission de l’Église. Car c’est une même chose que de poursuivre un bien et de repousser son contraire. On ne peut pas témoigner de la Vérité sans condamner l’erreur.

Témoigner de la Vérité et condamner l’erreur était le rôle de la Sainte Inquisition, dont la mission était vraiment sainte. Les conciliaires ne pourchassent plus les hérétiques. Ils sont semblables à des médecins qui laisseraient les gens s’empoisonner. En réalité, malgré tout leurs diplômes, ils cessent d’être des médecins. Tout le problème est de savoir s’il s’agit là d’une omission ou d’une négation de la mission de l’Église. Et s’il s’agit d’une omission, est-elle compatible avec l’indéfectibilité de l’Église ?

Pour les conciliaires et les modernes, l’homme serait digne absolument du simple fait qu’il est homme. Cette doctrine maçonnique vient de l’enfer. L’homme n’est digne que s’il agit conformément à sa nature objective et non par son désir subjectif. Il n’est digne que s’il se soumet à la vérité, c’est-à-dire à Dieu, c’est-à-dire à la Trinité. Le Christ qui est Charité est aussi un signe de discrimination[35], car il est Verbe, Dieu, Vérité : « Siméon dit à Marie, sa mère : « Voici qu’il est placé pour la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël, et pour être un signe en butte à la contradiction, vous-même, un glaive transpercera votre âme, afin que soient révélées les pensées d’un grand nombre de cœurs. » » (Luc 2, 34)

Le nouveau concept de « tradition vivante » permet d’introduire la contradiction un peu partout. L’adjectif « vivant » exprime l’idée d’évolution et contient la possibilité d’annuler la Tradition. Selon ce nouveau concept, le “magistère” conciliaire et post-conciliaire pourrait remplacer le magistère précédent. La doctrine du concile a ainsi effacé ou neutralisé la doctrine de l’Église… Selon les théologiens modernistes, les documents et décrets du magistère de l’Église ont une pure valeur historique qui reflètent les mentalités de l’époque et sont donc révocables, changeantes selon les époques.

Peut-il y avoir des erreurs dans des documents du magistère ?

Nous constatons que la corruption des dogmes catholiques se répand dans le peuple par le moyen du clergé en union avec le corps épiscopal. Or ce fait semble incompatible avec la constitution de l’Église :

« Les évêques disséminés sur le globe régissent leur Église particulière. Ils font davantage. Du fait qu’ils sont étroitement unis au pasteur suprême et qu’ils agissent avec son consentement tacite ou exprès, ils contribuent, d’une manière lente, vivante, diffuse, à conserver et à expliquer dans le monde le dépôt de la vérité révélée, à maintenir et à formuler les règles de la discipline commune, en un mot à régir même l’Église universelle. »[36]

Pour la quatrième fois donc, après la nouvelle messe, la liberté religieuse et les nouveaux saints, les faits nous obligent à nous poser la question : qui sont ces gens qui ruinent la foi du peuple chrétien ? Quel est ce magistère ? Qui sont ces papes et ces évêques ? Des apostats ou des imposteurs ?

*

« La théologie sacrée nous fournit nombre de raisons venant étayer l’hypothèse selon laquelle, en principe, il peut y avoir des erreurs dans des documents du magistère qui ne remplissent pas les conditions de l’infaillibilité. »[37]

La possibilité d’erreur dans des documents épiscopaux ne pose pas de problème.

« Le magistère pontifical étant infaillible, et celui de chaque évêque, même officiel, ne l’étant pas, il est possible que tel ou tel évêque se trompe, en conséquence de la fragilité humaine ; et l’histoire a enregistré de ces défaillances. »[38]

Le problème se situe au niveau de la définition du 1er Concile du Vatican qui a donné lieu à des interprétations opposées (le sort magistériel des évêques soumis au pape dépendant ultimement du pape lui-même). Mgr. A. de Castro Mayer, théologien éminent et combattant héroïque de la foi, répondant à un questionnaire du Cardinal Tardini pour la préparation du concile Vatican II au sujet du magistère du pontife romain, remarquait :

« Ce que le concile Vatican I trancha à ce sujet serait avantageusement complété, d’abord en déterminant mieux l’objet de l’infaillibilité du Pontife Romain ; ensuite, en exposant clairement quelle force possèdent les documents du magistère ordinaire du Souverain Pontife et quelle obligation ils entraînent, de crainte que l’on ne néglige simplement certaines doctrines, comme celles des encycliques, parce qu’elles seraient privées de l’infaillibilité. » (Campos, 20 août 1959)[39]

Le 1er Concile du Vatican a posé les conditions d’après lesquelles le pape est infaillible. Il est donc clair que, lorsque ces conditions ne sont pas remplies, on peut en principe trouver des erreurs dans un document papal.

« L’enseignement des grands théologiens de la fin du Moyen Âge et de l’âge baroque sur la thèse de la possibilité d’un pape personnellement hérétique ou personnellement schismatique […] ne contredit en rien la thèse, solennellement proclamée au Concile du Vatican, de l’infaillibilité du pape définissant ex cathedra la doctrine de l’Église. »[40]

Le simple fait que les documents du magistère soient partagés entre infaillibles et non infaillibles ouvre théoriquement la porte à la possibilité d’erreur dans ceux qui ne sont pas infaillibles. C’est la conclusion qui s’impose si l’on s’appuie sur le principe métaphysique énoncé par saint Thomas d’Aquin : “quod possibile est non esse, quandoque non est”, soit “ce qui peut ne pas être, parfois n’est pas”.

« Si, en principe, l’on peut trouver une erreur dans un document papal parce qu’il ne remplit pas les quatre conditions de l’infaillibilité, l’on peut dire la même chose des documents conciliaires qui ne remplissent pas ces conditions. En d’autres termes, quand un concile ne prétend pas à définir des dogmes, il peut, en principe, tomber dans l’erreur. »[41]

Mais en elles-mêmes, les décisions pontificales, même non infaillibles, postulent le respectueux silence extérieur (silentium obsequiosum) et l’assentiment intérieur des fidèles. Pie XII a affirmé cette vérité en ces termes :

« Il ne faut pas estimer non plus que ce qui est proposé dans les encycliques ne demande pas de soi l’assentiment, les papes n’y exerçant pas le pouvoir suprême de leur magistère. Cet enseignement est celui du magistère ordinaire auquel s’applique aussi la parole: “Qui vous écoute, m’écoute” (Lc X, 16); et le plus souvent ce qui est proposé et rappelé dans les encycliques appartient déjà par ailleurs à la doctrine catholique. Que si les souverains pontifes portent expressément dans leurs actes un jugement sur une matière jusqu’alors controversée, il est évident pour tous que cette matière cesse par là même, suivant la pensée et la volonté de ces mêmes pontifes, d’appartenir au domaine des questions librement discutées entre théologiens. »[42]

Toutefois, Dom Paul Nau, moine de Solesmes, dans son essai sur l’autorité des encycliques, écrivait :

« Un seul motif pourrait nous faire suspendre notre accueil, celui d’une opposition précise entre un texte d’encyclique et les autres témoignages de la Tradition. Encore est-il qu’une telle opposition ne pourrait être présumée, mais attend sa preuve qui ne saurait être que difficilement admise. »[43]

Un chrétien éclairé, et qui aurait soigneusement étudié la question, serait alors en droit de suspendre ou de refuser son assentiment au document papal ou conciliaire. Interdire la suspension de l’assentiment intérieur à une décision non infaillible serait un acte violent et contre nature, car cela supposerait l’obligation de croire, contre l’évidence même, à quelque chose qui n’est pas garanti par l’infaillibilité de l’Église. On trouve la même doctrine chez certains théologiens de grande autorité cités par M. Xavier da Silveira :

« Ces actes non infaillibles du magistère du pontife romain n’obligent pas à croire, et ne postulent pas une soumission absolue et définitive. Mais il est du devoir de chacun d’adhérer d’un assentiment religieux et intérieur à de telles décisions, en tant qu’elles constituent des actes du magistère suprême de l’Église, et sont fondées sur de solides raisons naturelles et surnaturelles. L’obligation d’y adhérer ne pourrait prendre fin que dans le cas, rarissime, où un homme, apte à juger cette question, après une analyse répétée et très fouillée de tous les arguments, parvient à la conviction qu’une erreur s’est glissée dans la décision. » (Diekamp)

« On doit adhérer aux décrets des congrégations romaines, à moins que la certitude positive qu’elles se sont trompées soit établie. Comme les congrégations, per se, ne fournissent pas d’argument absolument certain en faveur d’une doctrine donnée, on peut et même on doit chercher les raisons de cette doctrine. Alors, de deux choses l’une : ou bien il se trouvera que cette doctrine sera acceptée graduellement par toute l’Église, réalisant par là la condition d’infaillibilité ; ou bien il arrivera que l’erreur soit peu à peu décelée. Car, comme l’assentiment religieux dont nous parlons n’est pas fondé sur une certitude métaphysique, mais seulement morale et générale, elle n’exclut pas tout soupçon d’erreur. C’est pourquoi, s’il se présente des motifs suffisants de doute, l’assentiment sera prudemment suspendu […]. Les mêmes principes s’appliquent sans difficulté aux déclarations que le souverain pontife émet sans impliquer son autorité suprême, comme aux décisions des autres supérieurs ecclésiastiques qui ne sont pas infaillibles. » (Pesch)

« Quand l’Église n’enseigne pas avec son autorité infaillible, la doctrine proposée n’est pas de soi irréformable; c’est pourquoi, si per accidens, dans une hypothèse qui est vraiment très rare, après un examen particulièrement attentif de la question, quelqu’un voit qu’il existe des motifs très graves pour refuser la doctrine ainsi proposée, l’on serait en droit, sans tomber dans la témérité, de suspendre l’assentiment intérieur […]. » (Merkelbach)

Mais d’autres théologiens (Choupin, Pègues, Salaverri) n’admettent pas cette suspension de l’assentiment intérieur. D’autres encore, et non des moindres (Franzelin, Billot) nient même la possibilité d’erreur dans les documents non infaillibles.

« Il semble hors de doute que les papes sont infaillibles dans ce genre de documents [les encycliques] destinés à toute l’Église (du moins sur les points qui y sont proposés de manière directe et essentielle), mais il ne s’y trouve pas pour autant la locutio ex cathedra, telle que la décrit le Concile du Vatican. » (Billot, n° 983)

« L’infaillibilité dont jouit l’Église lorsqu’elle définit des vérités comme révélées par Dieu n’a pas jusqu’ici le même degré de certitude que celle dont elle jouit lorsqu’elle définit d’autres vérités qui sont seulement présentés comme connexes avec les vérités révélés. […] Le Concile du Vatican n’a pas défini l’infaillibilité du pape comme vérité de foi, en tant qu’elle affecterait indifféremment tous les actes que le pape publie ex cathedra [soit les vérités connexes aux vérités de foi, soit l’objet secondaire [ou indirect] du magistère]. (n° 993) » ; [mais] « de l’avis de tous les théologiens, dit le cardinal Franzelin, cette extension de l’infaillibilité est une vérité théologique certaine et sa négation serait une erreur très grave même si elle n’a pas encore été jusqu’ici condamnée comme une hérésie. Or les Pères du concile n’ont pas jugé bon de la définir, mais ils ont préféré laisser cette question exactement dans l’état où elle était. » (Billot, n° 994)

  1. Xavier da Silveira, qui conclut à l’existence possible d’erreurs dans des documents non infaillibles du magistère pontifical et conciliaire, fait aussi cette remarque :

« À n’en pas douter, de telles erreurs ne peuvent être proposées longtemps dans la Sainte Église, au point de placer les âmes intègres devant le dilemme : accepter ces enseignements faux ou rompre avec elle. Car, s’il en était ainsi, l’enfer aurait prévalu contre l’Église. Toutefois, il est possible, en principe, que pendant quelque temps, surtout dans les périodes de crise et de grandes hérésies, on puisse trouver quelque erreur dans des documents du magistère. »[44]

L’erreur est une chose, l’hérésie en est une autre. Peut-on alors admettre en principe l’existence d’une hérésie dans un document pontifical officiel non infaillible ?

Tous les auteurs qui ont étudié l’hypothèse d’un pape hérétique posent la question seulement à propos de l’hérésie éventuelle du pontife en tant que personne privée. Dans ces conditions, il semble inévitable de conclure qu’il est théologiquement impossible de trouver une hérésie dans un document pontifical officiel, c’est-à-dire dans une déclaration du pape en tant que personne publique.

« Je résumerai ma pensée en disant qu’il semble plus pieux et plus probable d’affirmer que le pape, comme personne privée, peut se tromper par ignorance mais non avec obstination. »[45]

« Bien qu’il ne puisse pas se tromper en tant que pape (c’est-à-dire qu’il ne pourrait pas définir une erreur comme article de foi, l’Esprit saint ne pouvant le permettre), néanmoins en tant que personne privée, il peut se tromper en matière de foi, de même qu’il peut commettre d’autres péchés, car il n’est pas impeccable. »[46]

« Ainsi, tant que le pape enseigne la vraie foi quand il définit et prononce comme pontife, les fidèles sont suffisamment en sécurité, même si l’on sait qu’en même temps le pape lui-même adhère en privé à quelque hérésie. Tous comprendront aisément qu’une opinion défendue par le pape dans son enseignement privé manquerait complètement d’autorité, et qu’on doit lui obéir seulement quand il définit et impose officiellement des vérités de foi, avec son autorité pontificale. »[47]

Il serait inutile de multiplier les citations, écrit M. Xavier da Silveira, les théologiens sont unanimes à présenter le problème de ce sens.

Mais notre auteur a relevé un fait curieux et inattendu : « Étudiant la question du pape hérétique, les anciens comme les modernes n’ont considéré que deux sortes d’actes papaux : les déclarations infaillibles, les déclarations privées. Les documents officiels mais non infaillibles n’ont pas l’air d’exister. »

Le cas du pape qui promulgue une déclaration en tant que pape, mais sans définir un article de foi, n’a pas été considéré à sa juste mesure. Car le pontife romain ne pouvait enseigner que « de deux façons : la première, qu’il a en commun avec les autres maîtres privés, consiste par exemple à publier des livres de commentaires théologiques, comme les autres théologiens [exhorter le peuple par des sermons, publier des ouvrages scientifiques, etc.]; la seconde, à enseigner l’Église entière en tant que maître suprême et authentique. Faisant usage de son pouvoir de maître privé, il ne jouit d’aucune autorité pontificale, et encore moins de l’infaillibilité […] ; mais en tant que maître suprême et authentique, il est infaillible. »[48]

Il n’est pas possible d’admettre que les théologiens en général ont purement et simplement oublié l’existence de documents pontificaux officiels et non infaillibles.

« Ce que nous soutenons, c’est qu’à propos du concept de “personne privée” il y a une certaine imprécision dans les écrits théologiques. Et que c’est cette imprécision qui est responsable de la négation apparente, chez les auteurs traitant de ce problème, de la possibilité d’hérésie dans les documents non infaillibles du magistère pontifical. […] En ce qui concerne les lettres du pape Honorius, il faut noter qu’Adrien II, et avec lui le synode romain et le VIIIe concile œcuménique, ont reconnu qu’elles contenaient une hérésie. Il est vrai, comme le fait remarquer saint Robert Bellarmin, qu’Adrien II s’est probablement trompé dans son évaluation de ce cas particulier ; il est néanmoins certain que lui et les assemblées susnommées ont jugé possible une hérésie dans les lettres en question. »[49]

Quand donc le pape n’enseigne pas avec la plénitude de son autorité mais qu’il enseigne cependant avec autorité, nous ne serions plus face à une infaillibilité qui exigerait du chrétien la vertu théologale, mais la simple vertu morale d’obéissance[50].

Si c’est donc une erreur de réduire le magistère infaillible à son mode extraordinaire, il en serait une autre de croire que tout magistère authentique serait infaillible.

Cette imprécision théologique peut aussi s’expliquer par le fait que ce mode d’exercice de l’autorité papale (les déclarations officielles non infaillibles) s’est surtout développé depuis le XIXe siècle.[51]

« Auparavant, le sujet avait sans doute été traité, mais ni très explicitement ni très clairement ; c’est pourquoi certaines expressions moins appropriées ont été employées. […] Etant donné les raisons exposées, nous ne voyons pas comment exclure, en principe, l’hypothèse d’une hérésie dans des documents officiels du magistère pontifical ou conciliaire qui ne satisfont pas aux conditions de l’infaillibilité. En conséquence, si une hérésie était découverte un jour dans un document pontifical ou conciliaire officiel et non infaillible, on ne serait pas obligé d’en conclure que le Saint-Esprit a fait défaut à son Église. Non plus que l’absurdité de l’hypothèse obligerait quiconque à trouver, à tout prix, une interprétation non hérétique du texte signalé comme contraire à la foi. Et nul n’appliquerait en cette circonstance le mot fameux de saint Ignace : “ce qui nous apparaîtrait blanc, nous le tiendrions pour noir si la Sainte Église le déclarait tel.” L’admirable principe ignacien, expression complète de la foi dans l’infaillibilité du pape et de l’Église, est vrai sans restriction des déclarations du magistère engageant l’infaillibilité. Mais il manquerait précisément de se “sentir avec l’Église” celui qui attribuerait à ces mots une portée que la doctrine catholique ne justifie pas, en les comprenant, par exemple, comme l’expression du devoir constant et inconditionnel d’accepter, même contre l’évidence, tout enseignement non infaillible du magistère ecclésiastique. »[52]

Il n’y aurait donc ni absurdité ni infidélité, devant une certaine absence de précision de la notion de “docteur privé” chez des théologiens, de déceler une hérésie dans un document pontifical.

Tel serait le cas de Benoît XVI faisant rééditer un livre, certes qui ne fut jamais un document officiel, qu’il avait écrit en 1972 Théologie et histoire, et qu’il assume en 2007, où il professe explicitement une hérésie moderniste : « L’axiome de la fin de la révélation avec la mort du dernier apôtre était et est à l’intérieur de la théologie du christianisme, un des principaux obstacles à la compréhension positive et historique du christianisme […] Non seulement cette conception s’oppose à une pleine compréhension du développement historique du christianisme mais est même en contradiction avec les données bibliques ». Cette erreur a été condamnée par le pape Pie X dans le Décret Lamentabili : « § 21. La Révélation, qui est l’objet de la foi catholique, n’a pas été achevée par les apôtres. »

Tel serait le cas de François faisant l’éloge des « grandes traditions religieuses, qui exercent un rôle fécond de levain de la vie sociale et d’animation de la démocratie » et de la « laïcité de l’Etat [qui], sans assumer comme propre aucune position confessionnelle, est favorable à la cohabitation entre les diverses religions »[53].

Les propos pontificaux de François sentant l’hérésie sont sans nombre :

« Qu’un enfant reçoive son éducation de catholique, de protestant, d’orthodoxe ou de juif, cela ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est qu’ils l’éduquent et lui épargnent la faim. » ; « Si quelqu’un est gay et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour le juger ? » ; « Comme beaucoup d’entre vous n’appartiennent pas à l’Église catholique et que d’autres ne sont pas croyants, de tout cœur, je bénis chacun de vous en silence dans le respect de sa conscience, mais en sachant qu’il est fils de Dieu. » ; « Tout être humain a sa propre vision du bien et du mal. Notre tâche est de l’inciter à suivre la voie qu’il juge être la bonne […]. Je n’hésite pas à le répéter : chacun a sa propre conception du bien et du mal, et chacun doit choisir le bien et combattre le mal selon sa propre idée. Cela suffirait à changer le monde. »…

A la suite de Jean-Paul et de Benoît, François parle comme un franc-maçon, en libre-penseur, en humaniste rationaliste… à tel point que, le journaliste italien, Scalfari a pu dire que « jamais la chaire de saint Pierre n’avait fait preuve d’une ouverture, d’une telle ampleur vers la culture moderne et laïque, d’une vision aussi profonde en ce qui concerne la conscience et son autonomie. »

Si M. da Silveira a raison, ces délires hérétiques infestés de laïcisme, de pluralisme, d’œcuménisme, de relativisme religieux, de démocratisme, de naturalisme, de libéralisme… dans les documents pontificaux officiels et non infaillibles, ne nous obligent en rien à conclure que le Saint-Esprit a fait défaut à son Église. Nous serions seulement face à un pape infidèle qui n’enseigne pas avec la plénitude de son autorité mais qui prétendrait abusivement “enseigner” cependant avec “autorité”.

Tout dépend donc de l’extension que l’on donne à l’enseignement du pape en tant que “docteur privé”.

C’est cette imprécision même de “docteur privé” qui poussait Mgr Dupanloup à discuter, non de la proclamation de l’infaillibilité, mais de son opportunité. Un siècle avant Vatican II, il a décrit, sans le vouloir, les graves cas de conscience des catholiques après la révolution de 1962. Certes, Mgr Dupanloup était un évêque à tendance libérale, mais il n’était ni un sot, ni un ignorant. Sa réflexion mérite notre intérêt, et ce, quels que soient ses choix malheureux dans les batailles catholiques du XIXe.

« Voilà donc le pape déclaré infaillible, qui, néanmoins, peut, comme écrivain, comme docteur privé, faire un livre hérétique, et s’opiniâtrer dans l’hérésie. C’est l’opinion générale. Bien plus, voilà le pape qui, même comme pape, quand il ne parle pas ex cathedra, et même dans un acte ex cathedra en ce qui n’est pas l’objet de la définition, peut, de l’avis universel, errer, enseigner l’erreur et puis être jugé, condamné, déposé.

« Eh bien ! Supposons un pape errant, ou accusé d’erreur : il faudra prouver que son enseignement, ou n’est pas ex cathedra, ou n’est pas erroné : quelle difficulté nouvelle si le pape a été déclaré infaillible ! En ne contestant qu’un fait, ne semblera-t-on pas contester un droit ? Et si le pape s’obstine, quel désarroi dans les âmes ! Il faudra donc faire le procès pour cause d’hérésie à celui dont l’infaillibilité sera un dogme ?

« Qu’un nouvel Honorius dans l’avenir se rencontre, qui, je ne dis pas définisse, mais, par des lettres dogmatiques, adressées à de grandes Églises, fomente l’hérésie – la déclaration de l’infaillibilité ne l’empêchera pas -, mais se représente-t-on quel serait en pareil cas le trouble des Églises et des consciences ! Sans doute, les théologiens distingueront ici les nuances et les délicatesses, et montreront qu’il n’y a pas précisément de définition ; mais la foule des esprits qui ne sont pas théologiens, comment pourra-t-elle discerner que le pape infaillible, dans tel ou tel acte, même comme pape, ne l’est plus dans tel ou tel autre ? Comment comprendra-t-elle qu’il puisse être infaillible et fomenter, par de grands actes pontificaux, l’hérésie ?

« Aux yeux du public, ce sera toujours l’infaillibilité. De là, le trouble des consciences, qui se croiront toujours obligées de faire des actes de foi ; et pour les ennemis de l’Église l’occasion de décrier la doctrine catholique, en lui imputant comme dogme ce qui ne le serait pas. […] La déclaration de l’infaillibilité rendra-t-elle toutes ces difficultés moins inextricables ? Tout au contraire, elle y ajouterait, dans la pratique, d’énormes embarras. Aussi certains théologiens ultramontains ne voient-ils qu’un moyen de se tirer de là : c’est, disent-ils, de proclamer l’infaillibilité absolue, inconditionnelle et universelle du pape. »[54]

 

A suivre.

Abbé Olivier Rioult

[1] Billot, n° 599-601.

[2] Benoît XIV, De Serv. Dei Beate, livre I, chap. 45, n° 28.

[3] Mgr Lefebvre déclarait en 1986 au sujet de Jean-Paul II qu’il était « inspiré par le diable, et au service de la Maçonnerie, c’est évident. » (Ecône, 28-01-1986)

[4] Dictionnaire de Théologie Catholique (DTC) XIV 2ème, Sixte-Quint & DTC II 1ère, Bellarmin.

[5] Bulle Unam sanctam, 18 novembre 1302, Ds 875.

[6] Constitution Benedictus Deus, 29 Janvier 1336, Ds 1002.

[7] Bulle Exsurge Domine, 15 juin 1520, Ds 1492.

[8] Constitution Unigenitus Dei Filius, 8 septembre 1713. Ds 2502.

[9] Bulle Auctorem fidei, 28 août 1794. Ds 2694.

[10] Encyclique Quanta cura, 8 décembre 1864. Ds 2896.

[11] « Pour l’honneur de la sainte et indivisible Trinité, pour l’exaltation de la foi catholique et de la religion chrétienne, par l’autorité de Notre Seigneur Jésus-Christ, des bienheureux apôtres Pierre et Paul, après Notre délibération, après avoir imploré plus souvent le secours divin, et d’après l’avis de Nos Vénérables Frères les cardinaux de la sainte Église Romaine, les patriarches, archevêques et évêques présents dans la Ville, Nous déclarons ranger au nombre des bienheureux confesseurs et des saints et Nous inscrivons dans leur catalogue Jeanne d’Arc et Nous décidons que sa mémoire devra être célébrée pieusement chaque année, comme celle des autres saints, par l’Église Universelle, au jour de leur mort, c’est-à-dire le 30 mai. »

[12] Article « Je poserai mes conditions à une reprise éventuelle des colloques avec Rome », Fideliter n° 66, p 10-15.

[13] Salaverri, Sacrae Theologiae Summa, tome I, Theologia Fundamentalis, ed. 5e, B.A.C., Madrid, 1962. Traité III, L’Église du Christ, ch. II. article I, l’infaillibilité des évêques (pp. 665-682).

[14] Père Reginald-Maria Schultes OP, De Ecclesia Catholica Prælectiones Apologeticæ, Paris: Lethielleux, 1931, p. 355.

[15] Commonitorium de saint Vincent de Lérins († 445)

[16] Pie XI, Mortalium animos, 1928.

[17] Commonitorium de saint Vincent de Lérins († 445)

[18] R.P. Goupil s.j. La Règle de la foi, vol. I, 1953, p. 50.

[19] Romano Amerio, Actes du IIe congrès théologique de SiSi NoNo, 1996, p.439-454.

[20] Lefebvre, Mgr Marcel, J’accuse le Concile, Éditions saint Gabriel, 1976, p. 58-60.

[21] Ouvrage édité après sa mort et intitulé : Mon journal du Concile que nous abrégeons par : MJC.

[22] Mgr Le Bourgeois, évêque d’Autun, dans ICI, n° 586 (1983), p. 19.

[23] François au journaliste Eugenio Scalfari pour La Repubblica ; Osservatore Romano, n. 41 du 10/10/2013.

[24] « Je suis fermement persuadé que le vrai progrès pour notre pays viendra non d’une opposition entre croyances mais de leur aptitude à se comprendre et à s’estimer mutuellement. […] Certes l’heure n’est plus aux oppositions mais aux intégrations mutuelles au profit du bonheur de l’homme. Sur ce terrain, chrétiens et incroyants peuvent faire un grand bout de chemin ensemble. » Déclarations du président de la République italienne Sandro Pertini, publiées dans l’Osservatore Romano du 27 février 1983.

Trente ans plus tard, l’ancien président israélien Shimon Peres, reçu en 2014 au Vatican en audience privée par François, a déclaré lui avoir proposé la création d’une « ONU des religions ». Dans une interview à l’hebdomadaire italien catholique Famiglia Cristiana, il déclare que « l’Organisation des Nations unies » est « une institution politique, qui n’a ni les armées dont disposaient les nations ni la conviction qu’engendre la religion ». « Une Organisation des religions unies, une ONU des religions, ce serait la meilleure manière de s’opposer aux terroristes qui tuent au nom de la foi […] Peut-être pour la première fois dans l’histoire, le Saint-Père est un leader respecté en tant que tel par les religions les plus diverses. Je dirais même plus, il est peut-être le seul leader respecté », a déclaré M. Peres.

[25] Mortalium animos, 6 janvier 1928.

[26] Romano Amerio, Actes du IIe congrès théologique de SiSi NoNo, 1996, p.439-454.

[27] J.M. Hervé, Manuale Theologie Dogmaticœ, vol. I, De Revelatione Christiane, De Ecclesia Christi, De Fontibus Revelationis, 1952, Paris, n° 496, pp. 491-492.

[28] F. Suárez, De l’Église et du Pape, Question n° 11.

[29] François, Evangelii Gaudium, § 129.

[30] Doctrine de Pyrrhon, qui, entre les dogmatiques qui prétendaient qu’il y a une vérité absolue, et les sophistes qui le niaient, voulait que le philosophe s’abstînt.

[31] Romano Amerio, Iota unum, Nouvelles Éditions Latines, 1987.

[32] Les principes de la théologie catholique, p. 427.

[33] Lettre aux amis et bienfaiteurs n° 9.

Le Discours de clôture du concile Vatican II de Paul VI, prêchant l’anthropocentrisme et son respect de la civilisation de l’homme, est du pur naturalisme.

« L’humanisme laïque et profane enfin est apparu dans sa terrible stature et a, en un certain sens, défié le Concile. La religion du Dieu qui s’est fait homme s’est rencontrée avec la religion (car c’en est une) de l’homme qui se fait Dieu. Qu’est-il arrivé ? Un choc, une lutte, un anathème ? Cela pouvait arriver ; mais cela n’a pas eu lieu. La vieille histoire du bon Samaritain a été le modèle et la règle de la spiritualité du Concile. Une sympathie sans bornes pour les hommes l’a envahi tout entier. La découverte et l’étude des besoins humains […] ont absorbé l’attention de notre synode. Reconnaissez-lui au moins ce mérite, vous, humanistes modernes, qui renoncez à la transcendance des choses suprêmes, et sachez reconnaître notre nouvel humanisme : nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme. »

Tel fut l’enseignement pastoral des évêques unis à Paul VI en concile.

[34] « L’Église n’a jamais cessé de s’opposer à ces erreurs. Elle les a même souvent condamnées, et très sévèrement. Mais aujourd’hui l’Épouse du Christ préfère recourir au remède de la miséricorde plutôt que de brandir les armes de la sévérité. Elle estime que, plutôt que de condamner, elle répond mieux aux besoins de notre époque en mettant davantage en valeur les richesses de sa doctrine. » (Jean XXIII, Gaudet Mater Ecclesia, 11 oct. 1962)

« Que personne ne vous abuse par de vains discours ; car c’est à cause de ces vices que la colère de Dieu vient sur les fils de l’incrédulité. N’ayez donc aucune part avec eux. Autrefois vous étiez ténèbres, mais à présent vous êtes lumière dans le Seigneur, marchez comme des enfants de lumière. Car le fruit de la lumière consiste en tout ce qui est bon, juste et vrai. Examinez ce qui est agréable au Seigneur et ne prenez aucune part aux œuvres stériles des ténèbres, mais plutôt condamnez-les. » (S. Paul, Eph 5, 6-11)

[35] Discrimination : Faculté de discerner, de distinguer. Discriminant : Qui établit une séparation entre deux termes. Lat. discriminare, de discrimen, séparation, qui lui-même vient de discernere.

[36] Ch. Journet, L’Église du Verbe Incarné, La Hiérarchie apostolique, 2ème éd., 1955, Desclée De Brouwer. pp. 533-534.

[37] Xavier da Silveira, Le nouvel Ordo Missæ de Paul VI, qu’en penser ? DPF, 1975, p. 300.

[38] Dom Antonio de Castro Mayer, Lettre pastorale sur les problèmes de l’apostolat moderne.

[39] Tiré de JESUS CHRISTUS N° 85 janvier/février 2003 p.10-15, Revue de la FFSPX du district d’Amérique du Sud.

[40] Cardinal Journet, « Alexandre VI et Savonarole » et Dernière méditation de Savonarole, Desclée de Brouwer 1961, pp. 121 et sq.

[41] Xavier da Silveira, Le nouvel Ordo Missæ de Paul VI, qu’en penser ? DPF, 1975, p. 302.

[42] Pie XII, Humani Generis, 12-8-1950.

[43] Dom Paul Nau, Une source doctrinale : les encycliques, éditions du Cèdre, 1952, p. 84.

[44] Xavier da Silveira, Le nouvel Ordo Missæ de Paul VI, qu’en penser ? DPF, 1975, p. 308.

[45] Suárez, De fide, disp. X, sect. VI, n° 11, p. 319.

[46] Domingo Soto, dominicain du XVIe siècle, Comm. in IV sent., dist. 22, q. 2, a. 2, p. 1021.

[47] Bouix, Tract. de papa, tome II, p. 670.

[48] Card. C. Mazzella, De relig. et Eccl., p. 817, n° 1045 & p. 819.

[49] Xavier da Silveira, Le nouvel Ordo Missæ de Paul VI, qu’en penser ? DPF, 1975, p. 315.

[50] Ramirez pense que l’acte d’adhésion aux décisions doctrinales ou disciplinaires que l’Église promulgue non infailliblement est formellement un acte d’obéissance, mais impéré par la foi ; tandis que l’acte d’adhésion aux décisions doctrinales que l’Église promulgue par son magistère infaillible vis-à-vis de l’objet second est un acte de foi. J. Ramirez, De fide divina, n° 525-532 dans Opera omnia, T. X, Edt San Esteban, 1994, p.423-430.

[51] « On peut considérer le pape en tant que pape, mais non en tant qu’il use de la plénitude de son pouvoir apostolique pour définir quelque chose que toute l’Église devra tenir. » Soit « lorsqu’il prend une mesure qui ne concerne pas l’Église universelle », soit « lorsqu’il prend des mesures qui concernent toute l’Église, même en matière de foi et de mœurs, mais sans que l’acte auquel il procède corresponde à une définition. Or, pour qu’il y ait une définition, il faut que l’on ait affaire à un jugement, et à un jugement définitif. » (Billot, n° 982)

[52] Xavier da Silveira, Le Nouvel Ordo Missæ de Paul VI qu’en penser ?, DPF, 1975, p. 315.

[53] JMJ à Rio de Janeiro, 27 juillet 2014.

[54] Lettre de Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans à son clergé, Observation sur la controverse soulevée relativement à la définition de l’infaillibilité au prochain concile, § XI, 1869.

C’est peut-être ce même problème qu’en 1926, le Père Le Floch, supérieur du séminaire français de Rome qu’on ne peut pas accuser de libéralisme ni de modernisme, prétendait soulever en parlant d’une « hérésie » qui « sera la plus dangereuse de toutes ; elle consiste dans l’exagération du respect dû au pape et l’extension illégitime de son infaillibilité » ? (cité par Brochure AFS, Jugements solennels et magistère ordinaire et universel, p.40).