3] Le problème du pape materialiter. 1
Continuité de l’Église du Christ par la suppléance du Christ.
Mgr Guérard des Lauriers, théologien dominicain
3] Le problème du pape materialiter
Père Avril et Mgr Guérard des Lauriers
Les solutions choisies par certains (insuffisance de l’hérésie notoire, manque d’intention d’obliger ou de définir chez le pontife) semblent insatisfaisantes à plusieurs, car d’abord elles ne devraient être que passagères.
« A n’en pas douter, de telles erreurs ne peuvent être proposées longtemps dans la Sainte Église, au point de placer les âmes intègres devant le dilemme : accepter ces enseignements faux ou rompre avec Elle. Car, s’il en était ainsi, l’enfer aurait prévalu contre l’Église. Toutefois, il est possible, en principe, que pendant quelque temps, surtout dans les périodes de crise et de grandes hérésies, on puisse trouver quelque erreur dans des documents du magistère. »[1]
Ensuite, l’erreur devrait être “rarissime”, et ce n’est pas le cas. La messe nouvelle, le nouveau code et l’enseignement de la liberté religieuse trompent les chrétiens et favorisent l’hérésie de manière habituelle et officielle.
Or, pour Melchor Cano († 1560), « l’Église, en faisant des lois pour le peuple entier dans les matières graves et dans celles qui influencent beaucoup la formation des coutumes chrétiennes, ne peut ordonner quoi que ce soit de contraire aussi bien à l’Évangile qu’à la loi naturelle. »[2]
Pour Suárez, l’infaillibilité papale est engagée dans l’approbation des règles d’ordres religieux, car « le pontife ne peut se tromper, en matière de morale, avec de grands dommages pour l’Église universelle; or, l’erreur dont il est question serait de ce type. »[3]
Hervé, de son côté, fait observer que l’Église « cesserait d’être sainte », et donc « cesserait d’être la vraie Église du Christ » si « elle commandait à tous les fidèles, par le moyen de son autorité suprême, quelque chose de contraire à la foi et aux mœurs. »[4] Et le P. Cartechini, justifiant le principe de l’infaillibilité dans les décrets disciplinaires, écrit « dans le Code de Droit canonique, il ne peut rien y avoir qui s’oppose, en quelque façon que ce soit, aux lois de foi et à la sainteté de l’Évangile. »[5]
- Xavier da Silveira, que nous avons déjà cité, fait une importante remarque au sujet du pape hérétique et de sa juridiction.
« Si c’est le souverain pontife qui tombe dans l’hérésie, qui pourra le maintenir dans sa juridiction ? L’Église ? Nous ne le croyons pas […]. Jésus-Christ ? Oui, dans la mesure où il serait licite de lui attribuer l’intention de maintenir, à titre précaire, la personne du pontife hérétique dans sa juridiction. On dit normalement que, dans certains cas prévus par la loi, la juridiction de celui qui ne l’a pas, est “suppléée” par le pape ou par l’Église. […] Or, dans l’hypothèse que nous discutons, la juridiction serait une habitude et non seulement un acte. À notre connaissance, il n’y a pas de terme technique pour qualifier une telle situation juridique. Aussi, nous disons que la juridiction est alors “maintenue” en la personne de l’hérétique. »[6]
C’est justement pour rendre compte d’une situation inouïe, dont nous ne possédons pas de terme approprié pour la décrire, qu’un théologien moderne, le père Guérard des Lauriers, a tenté de forger et a proposé un « terme technique pour qualifier une telle situation juridique » : l’occupant du siège de Pierre ne serait pas formellement pape mais seulement matériellement pape. La solution est originale mais serait-il surprenant qu’une crise qui est sans précédent dans l’Église, culmine précisément dans le Siège apostolique, avec une sorte de vacance qui est elle-même sans précédent ?
Mgr Guérard des Lauriers devant la contradiction conciliaire (« l’autorité » de l’Église qui favorise officiellement l’hérésie) proposera une solution que l’on a appelée par la suite la thèse de Cassiciacum. Certes, l’enseignement d’un seul théologien, sauf le cas exceptionnel d’un auteur tout particulièrement recommandable par sa haute réputation de science et de sainteté ne suffit pas à donner une autorité à son opinion. La probabilité de son opinion ne dépendra donc que de la valeur intrinsèque des raisons alléguées (probabilité intrinsèque).
Or, les faits sont les suivants.
Depuis Vatican II, on a assisté à cinquante ans de déclarations en radicale dissonance avec la catholicité de l’Église, des compromissions incessantes à l’égard d’hérétiques notoires, des rites nuisibles à l’Église… Depuis cinquante ans, les pontifes conciliaires n’ont cessé de faire un mauvais usage de l’autorité qui aurait du leur revenir en tant que successeur de Pierre sur le siège de Rome. Or, quand une chose est par nature ordonnée à une certaine fin, il est contradictoire d’affirmer qu’elle s’écarte le plus souvent de sa fin ; elle ne s’en écarte, au pis, que de manière épisodique et ponctuelle.
Ce comportement stable dans l’erreur, si aberrant soit-il, ne peut avoir qu’un principe stable, à savoir le vouloir du sujet qui n’a plus habituellement le propos de réaliser le Bien de l’Église et qui, par conséquent, ne mérite plus d’être considéré comme une autorité légitime. S’il en était autrement, tous les traditionalistes devraient se rallier…[7]
Pour Mgr Guérard des Lauriers, notre raison nous montre le siège de Pierre occupé et notre foi nous montre un occupant du siège agissant contre la foi. Un tel occupant ne peut pas être pape (formellement) si ce n’est que matériellement.
« Soit pape matériellement, soit pape formellement. Entre ces deux termes, le rapport est celui d’une réalité qui est en puissance à cette même réalité supposée actuée. En effet, le Siège apostolique n’est pas à proprement parler vacant, puisqu’il est occupé matériellement. L’actuel occupant pourrait faire cesser le schisme capital qui le prive de pouvoir dans l’Église. Il ne tient qu’à lui [ou à Dieu, mais autrement] de faire cesser cet état : premièrement, en abjurant ses erreurs [qui sont des hérésies] ; deuxièmement, en convoquant un conclave composé d’évêques professant la vérité catholique… »[8]
On retrouve ici, fondamentalement, la même pensée que celle de Mgr Lefebvre, mais exprimée différemment.
« Aussi quand on nous pose la question de savoir quand il y aura un accord avec Rome, ma réponse est simple : quand Rome recouronnera Notre Seigneur Jésus-Christ. Nous ne pouvons pas être d’accord avec ceux qui découronnent Notre Seigneur. Le jour où ils reconnaîtront de nouveau Notre Seigneur Roi des peuples et des nations, ce n’est pas nous qu’ils auront rejoints, mais l’Église catholique dans laquelle nous demeurons. »[9]
Les concepts materialiter/formaliter, classiques en philosophie[10], sont pris ici de manière analogique et appuyés sur une distinction que l’on trouve chez des théologiens admettant une distinction réelle entre matière et forme dans le pontificat suprême pris comme un tout accidentel.
« … en créant le pontife, les cardinaux n’exercent pas leur autorité sur lui, car il n’existe pas encore, mais sur la matière, c’est-à-dire la personne qui, par l’élection, sera disposée pour recevoir de Dieu le pontificat. Mais s’ils déposaient le pontife, ils exerceraient nécessairement leur autorité sur le composé, c’est-à-dire la personne dotée du pouvoir pontifical, c’est-à-dire le pontife. »[11]
A propos du grand schisme d’Occident, le cardinal Billot nie que « l’Église dépendait de deux papes formellement distincts. » mais il concède que « l’Église dépendait de deux papes matériellement distincts parce qu’il y avait un doute sur la personne du pape légitimement élu. »[12]
Mgr Guérard des Lauriers considère que tel cardinal élu est matériellement le pape de jure (légalement, selon le droit) mais qu’il ne l’est pas de facto formellement (théologalement, devant Dieu) en raison de son adhésion à l’hérésie.
Être pape matériellement [materialiter], c’est occuper, visiblement et extérieurement, le Siège apostolique. Être pape formellement [formaliter], c’est exercer, intimement et réellement, l’autorité au nom du Christ dans l’Église catholique.
Un père demeure éternellement père en raison de sa puissance d’engendrer. Mais un père peut se comporter de telle manière qu’il perde tous les attributs se rattachant à l’autorité paternelle. Le père déchu demeure père materialiter. Il doit être respecté en tant que tel. Mais ce père déchu n’a aucunement droit à quelque obéissance ou soumission que ce soit. Il n’est plus, soit juridiquement, soit moralement, un sujet capable d’exercer l’autorité sur ses enfants.
Un pape qui, par son comportement habituel et notoire, contredit son rôle ministériel de vicaire faisant un avec le Christ – ce qui le constituerait pape formaliter – un tel pape perd de droit divin, c’est-à-dire en vertu de la sainteté du Christ et de l’Église, tous les attributs se rattachant à l’autorité pontificale. Un tel pape demeure pape materialiter : il est un sujet immédiatement capable de devenir ou de redevenir pape formaliter s’il renonce à ses errements. Mais tant qu’il persiste à en demeurer prisonnier, il n’est pas un sujet capable d’exercer l’autorité.
L’expérience prolongée et généralisée de la révolution conciliaire montre que la relation entre Dieu et le pape n’est pas en fait ce qu’elle devrait être. L’autorité ayant perdu sa raison d’être, il n’y a plus à lui être soumis mais à lui résister. Mgr Guérard des Lauriers justifiait cette conclusion en rappelant que l’autorité est pour le ministère, que la juridiction est pour l’Ordre, bref, que la Sessio est pour la Missio[13].
Mgr Lefebvre, qui n’a jamais adhéré à la thèse de Mgr Guérard des Lauriers – la polémique ayant empêché la saine discussion -, disait pourtant dans le même sens :
« Et nous nous trouvons devant des évêques, et même le pape, qui n’obéissent plus à la foi. […] Pour faire schisme, il faut quitter l’Église. Et quitter l’Église, c’est quitter la foi d’abord. Qui quitte la foi de l’Église ? L’autorité est au service de la foi. Si elle abandonne la foi, c’est elle qui fait schisme. Alors ce n’est pas nous qui faisons schisme. »[14] ; « Le gouvernement a été fait pour la foi et non pas la foi pour le gouvernement. »[15]
Les hiérarques modernistes occupent donc matériellement les postes d’autorité tout en étant dépourvus de l’autorité légitime pour régir l’Église. Cela a, selon la logique de Mgr Guérard des Lauriers, comme conséquence nécessaire de ne pas être en communion avec Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI, François[16].
Et là encore, même si Mgr Lefebvre n’a pas été au bout de sa logique, il a plusieurs fois conclu, mais comme en passant, semblablement à Mgr Guérard des Lauriers en désignant les pontifes conciliaires comme des “antichrists” : « La chaire de Pierre et les postes d’autorité de Rome étant occupés par des antichrists … »[17] Et comment être en communion avec des antichrists ?
Etre uni ou soumis à des “antichrists” et prétendre être avec le Christ, revient à dire que le Christ serait avec ces pontifes conciliaires, et donc qu’ils seraient l’ »autorité ». Or le Christ a expressément condamné cette duplicité. « Être avec Lui » et « être pour Lui » se distinguent, il est vrai, mais comme la forme et la fin, et sont, par le fait même, absolument inséparables, parce que respectivement convertibles avec « ne pas être contre Lui ». Tous ceux qui affirment officiellement être soumis à François, et qui résistent au même François, sont en fait, selon la logique de Mgr Guérard des Lauriers, « les propagandistes les plus radicalement subversifs au service de la satanique tromperie perpétrée par la dictature » moderniste, « parce qu’ils préconisent obstinément et à tout prix l’application du principe même sur lequel repose ladite dictature : « être avec », sans « être pour ». Deux religions, dont la divergence radicale rend impossible qu’elles soient l’une avec l’autre, et qui, cependant, sont dans la même « église », parce qu’elles sont censées être pour le même Dieu ».[18]
Et une fois de plus, et ce malgré leur grave différent et une totale incompréhension mutuelle, une conclusion de Mgr Lefebvre fait écho à celle du théologien Guérard des Lauriers : « C’est donc un devoir strict pour tout prêtre voulant demeurer catholique de se séparer de cette Église conciliaire, tant qu’elle ne retrouvera pas la tradition du magistère de l’Église et de la foi catholique. »[19]
Saint Jean Chrysostome au sujet du verset : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi » commente ainsi : « Comment donc celui qui n’amasse pas avec moi et qui n’est pas avec moi, peut-il être d’accord avec moi pour chasser les démons ? Il désire bien plutôt disperser et détruire ce qui m’appartient. Mais dites-moi, si vous aviez un combat à livrer, celui qui ne voudrait pas venir à votre secours ne serait-il point par là même contre vous ? Si donc on est ennemi quand on refuse de joindre ses efforts à ceux d’un autre, à plus forte raison quand on y met obstacle. »[20]
Or, depuis le concile pacifiste de Vatican II, cela fait cinquante ans que le dialogue conciliaire va jusqu’à la trahison, en faisant la paix avec tous les ennemis de l’Église. Depuis l’allocution d’ouverture du concile par Jean XXIII exposant sa nouvelle attitude : « utiliser le remède de la miséricorde plutôt que les armes de la rigueur, et juge[ant] opportun, dans les circonstances présentes, d’exposer plus largement la force de sa doctrine que d’avoir recours aux condamnations », les conciliaires ont fait la paix avec les francs-maçons, les communistes, les juifs, les protestants… bref avec tous ceux qui sont contre le Christ.
« Les catholiques libéraux ont un esprit adultère parce qu’ils veulent unir la vérité et l’erreur. Ils veulent unir ce qui ne peut pas être uni, ce qu’il est défendu d’unir. On ne peut pas unir les ténèbres à la lumière. On ne peut pas, c’est impossible. Mais ils sont hantés par l’union de l’Église et du monde. Notre Seigneur a condamné le monde. Il a dit qu’Il ne priait pas pour le monde, que le monde le haïssait et que le monde nous persécuterait. Alors les catholiques libéraux disent : “Non, non, non, ce ne sont plus nos ennemis, ce sont nos frères. Il faut les entendre, il faut les embrasser et puis on va faire entente avec eux”. C’est un esprit adultère. On ne peut pas entrer dans un compromis pareil. C’est affreux. C’est la ruine de l’intelligence, la ruine de l’esprit, la ruine de la vérité, la ruine de la spiritualité, il n’y a plus rien, plus rien qui tient. Vous le voyez bien maintenant. Nos sociétés sont en train de crouler et, en grande partie, à cause de cette trahison des catholiques qui veulent à tout prix être bien avec le monde. À tout prix. Ils préfèrent abandonner leur foi pour être bien avec le monde, plutôt que d’être martyrs. Eh bien non, nous, nous devons avoir cet esprit des martyrs, l’esprit des missionnaires, l’esprit de souffrir pour notre foi. »[21]
Ce que disait Mgr Lefebvre à l’époque de Jean-Paul II vaut toujours à l’époque de François qui déclare :
« Vatican II, inspiré par le pape Jean et par Paul VI, a décidé de regarder l’avenir dans un esprit moderne et de s’ouvrir à la culture moderne. Les pères conciliaires savaient que s’ouvrir à la culture moderne passait par l’œcuménisme religieux et le dialogue avec les non-croyants. Ensuite, on est allé très peu dans cette direction. Or, j’ai à la fois l’humilité et l’ambition de le faire. »[22]
« La coexistence pacifique entre les différentes religions bénéficie de la laïcité de l’État, lequel, sans adopter aucune position confessionnelle, respecte et apprécie la présence du facteur religieux dans la société en favorisant les expressions concrètes de ce dernier. Lorsque les dirigeants des différents secteurs me demandent conseil, ma réponse est toujours la même : dialogue, dialogue, dialogue. Le seul mode de croissance d’une personne, d’une famille et d’une société, la seule chose qui fasse avancer la vie des peuples, c’est la culture de la rencontre, une culture à laquelle tout le monde a quelque chose de bon à apporter et dont tout le monde peut recevoir quelque chose de bon en retour. »[23]
« Nous ne pouvons pas continuer à insister uniquement sur les questions relatives à l’avortement, au mariage homosexuel ou à l’usage des contraceptifs. C’est impossible. […] Qu’ils soient dogmatiques ou moraux, les enseignements de l’Église ne sont pas tous équivalents. Une pastorale missionnaire n’a pas pour obsession de transmettre de façon déstructurante un ensemble de doctrines pour les imposer avec insistance. »[24]
Les délires antichristiques de François étaient en germe dès le discours inaugural de Jean XXIII. Le Bon Pasteur ne peut pas être avec les loups. Le Christ ne peut pas être avec ceux qui détruisent l’Église. Le Christ n’est pas divisé contre Lui-même[25].
Si donc le siège de Pierre est occupé matériellement par un pontife que personne ne conteste dans la mesure où il n’est en compétition avec nul autre, on constate bien aussi que depuis Vatican II, Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI et François ont posé des actes qui formellement sont sans valeur, sans autorité, sans légitimité (messe protestantisée, liberté religieuse, loi illégitime, faux saints, apostolat déviant…). Ils sont là, mais n’obligent pas en conscience, car ils ne sont plus formellement ce qu’ils doivent être.
A ceux qui estimeraient que cette affirmation va à l’encontre de la Révélation et de cette promesse : « Je suis avec vous tous les jours »… Mgr Guérard des Lauriers répondait qu’il est également révélé que « le Christ est mort pour tous » alors que tous ne sont pas sauvés ni unis en acte au Christ. Il y aurait donc lieu de distinguer le « tous les jours » comme le « pour tous ». De même la Révélation enseigne en certains passages que « tous ont péché en Adam » avec une exception sous-entendue : sauf l’Immaculée.
Selon Mgr Guérard des Lauriers, « les zélateurs de l’obéissance inconditionnelle oublient que la réalisation de la promesse : « Je suis, tous les jours, avec vous », est subordonnée aux conditions générales de l’acceptation du salut. C’est une erreur, favorisée par l’incoercible inclination à la facilité, que d’estimer l’Église immunisée par rapport aux viciosités qui affectent les personnes privées. Saint Pierre a renié. Le « Je suis, tous les jours, avec vous » peut être accidentellement refusé : c’est l’envers de la liberté. […] A supposer qu’il en soit ainsi, le Christ régit l’Église militante provisoirement autrement que par l’Autorité ; en « étant avec » ceux de ses membres qui « sont avec » Lui et en maintenant d’ailleurs éventuellement en place l’ »autorité ». »
Continuité de l’Église du Christ par la suppléance du Christ.
Dans notre article sur le Lefebvrisme, nous avions noté que, quoiqu’il ait osé affirmer que « c’est nous qui avons les notes de l’Église visible : l’unité, la catholicité, l’apostolicité, la sainteté. C’est cela qui fait l’Église visible »[26], Mgr Lefebvre n’avait jamais adhéré à la thèse de Cassiciacum de peur de mettre l’Église dans une « situation inextricable » :
« Qui nous dira où est le futur pape ? Comment pourra-t-il être désigné puisqu’il n’y a plus de cardinaux ? Cet esprit est un esprit schismatique… » (Fideliter n° 13, p.69)
Mais Mgr Guérard des Lauriers avait pris soin de répondre à cette difficulté.
L’absence d’autorité chez ceux qui occupent les sièges d’autorité dans l’Église n’implique pas par elle-même que la fonction de transmission des charges de la structure hiérarchique visible de l’Église ne puisse plus être exercée. Il est possible que le Christ, chef de l’Église, exerce, pour la glorification de son Père et le salut des âmes, la permanence de la transmission apostolique sur les sièges catholiques tant que les actes humains requis pour cela sont posés et tant qu’aucune apostasie explicite n’a été exprimée. L’état implicite d’apostasie du clergé serait à l’origine de cette situation inouïe de pontife ayant une certaine juridiction sans pour autant avoir l’autorité, et ce en raison de leur modernisme. L’indéfectibilité de l’Église, promise par le Christ, fait que le Christ continuerait de s’unir à l’Église en maintenant une structure hiérarchique visible malgré l’éclipse de l’autorité par la faute de ses membres.
« Si donc quelqu’un dit que ce n’est pas par l’institution du Christ ou de droit divin que le bienheureux Pierre a, et pour toujours, des successeurs dans sa primauté sur l’Église universelle ; ou que le Pontife romain n’est pas successeur de saint Pierre en cette primauté : qu’il soit anathème (DS 3058).
Par ces mots, le Concile n’entend pas affirmer comme vérité de foi qu’il y aura toujours – en acte – un pape sur le siège de Pierre. S’il en était ainsi toute période de siège vacant, si courte soit-elle, entre la mort d’un pape et l’élection du successeur, serait contraire à la foi sur la visibilité et l’indéfectibilité de l’Église. Ce que le concile affirme est que l’Église, édifiée par Jésus-Christ sur Pierre, persistera “ferme et immuable dans sa propre nature jusqu’à la consommation des siècles” (Pie IX, DS 2997), et que, par conséquent, elle sera toujours fondée sur Pierre. Il n’est donc pas nécessaire qu’il y ait toujours de fait un pape, mais il est nécessaire que subsiste toujours la possibilité et la volonté d’élire un pape.
« L’apostolicité de gouvernement est comme l’élément essentiel dont dépendent tous les autres éléments nécessaires à l’Église » : « la hiérarchie apostolique se compose d’hommes mortels, alors que le Christ l’a voulue perpétuelle ; la succession reste le seul moyen possible pour en assurer la perpétuité. […] On remarquera bien que nous parlons ici que d’une succession formelle, par opposition à une succession purement matérielle, qui resterait parfaitement compatible avec l’absence de l’apostolicité. »[27]
La permanence de la structure hiérarchique constituerait la pierre d’attente divinement posée du renouveau de l’autorité, et elle assurerait la continuité de la succession hiérarchique, requise par la note d’apostolicité. La continuité s’opèrerait avant tout par la permanence de l’institution.
« Remarquons que cette succession formelle ininterrompue doit s’entendre moralement et telle que le comporte la nature des choses : succession de personnes, mode électif, comme l’a voulue le Christ et l’a comprise toute l’antiquité chrétienne. Cette perpétuité n’exige donc pas qu’entre la mort du prédécesseur et l’élection du successeur il n’y ait aucun intervalle, ni même que dans toute la série des pasteurs aucun ne puisse avoir été trouvé douteux ; mais on entend par là une succession de pasteurs légitimes telle que jamais le siège pastoral, même vacant, même occupé par un titulaire douteux, ne puisse réellement être réputé tombé en déshérence ; c’est-à-dire encore que le gouvernement des prédécesseurs persévère virtuellement dans le droit du siège toujours en vigueur et toujours reconnu, et que toujours aussi ait persévéré le souci d’élire un successeur. »[28]
Des considérations de l’Abbé Louis Coache font écho à cette remarque du père Goupil et viennent conforter les explications de Mgr Guérard des Lauriers :
« Le Saint-Siège – ou Siège apostolique – est une personne morale de droit divin (can. 100). Cette personne morale est distincte de l’Église catholique. Elle est aussi distincte, in se, de la personne du pape, quoique souvent, in praxi, les deux se confondent car le pape incarne le Saint-Siège (can. 61 ou 2317), mais le can. 7 précise bien que le nom de Saint-Siège englobe les organismes du gouvernement de l’Église. Le Siège apostolique, distinct de l’Église universelle, distinct juridiquement de la personne du pape, représente la permanence de l’Autorité pontificale romaine : Il est « la permanence de l’autorité centrale dans l’Église, quels que soient les changements susceptibles de se produire dans les personnes qui l’exercent. Le pouvoir en effet, est attaché à la fonction, non à l’individualité du fonctionnaire. D’où il suit que l’autorité souveraine est attachée à la dignité pontificale et survit à la disparition des personnes qui en sont revêtues. C’est ce que notait Jean d’André : “Celui qui détient la papauté est corruptible (caduc), mais la dignité et l’autorité de la Papauté demeurent toujours” » (Naz, D.D.C. vii, col. 837-838). Ainsi le Saint-Siège c’est la permanence de l’autorité de l’Église de Rome, autorité souveraine sur l’Église universelle. “Si le Pape s’écarte de la Tradition, le Saint-Siège le “juge”, non pas en tant qu’autorité mais comme exprimant la Vérité intangible assurée par les papes antérieurs. Une personne morale de droit ecclésiastique est de nature perpétuelle (can. 102), c’est-à-dire qu’elle ne peut disparaître que par la volonté explicite et légitime de l’autorité compétente : elle va même jusqu’à posséder une survie de cent ans si elle cesse de facto d’être en exercice[29]. Une personne morale de droit divin ne peut pas mourir ; l’Église peut donc rester très longtemps sans pape, le Saint-Siège est toujours vivant avec la permanence de l’autorité papale. Le pape, lui, de droit divin aussi, peut mourir (physiquement) ou mourir moralement (démission, folie, hérésie). L’autorité du Saint-Siège ne meurt pas. Le Pontife romain, incarnant le Saint-Siège avec son pouvoir, est tenu, comme tout chef de personne morale, par les “statuts” de celle-ci, in casu, le Droit divin et la Foi ; il est limité par eux, s’il s’en écarte, il défaille à sa fonction. On peut donc être séparé de la personne physique sans se séparer de la personne morale. Comprenons bien : “séparés de la personne physique” parce qu’elle défaille, disparaît physiquement ou canoniquement. Mais si l’on se sépare par rébellion, par cassure volontaire, de la personne physique toujours unie à l’Église, en tant qu’incarnant l’unité, sur une question de Foi, de Morale, il y a, dans ce cas, séparation nécessairement de la personne morale et donc de toute l’Église. Il y a schisme. »[30]
Pour Billot : « l’Église est essentiellement le royaume du Christ, c’est-à-dire la société dont le chef suprême est le Christ. Elle ne saurait donc dépendre que des chefs qui ont reçu leur mission du Christ. Or, seuls ont reçu leur mission du Christ ceux qui continuent de se rattacher aux apôtres du Christ, en recevant d’eux leur pouvoir. »[31]
Cela veut dire, comme le rappelle Garrigou-Lagrange, que la tête invisible mais première de l’Église qui est le Christ pourra toujours influer sur son Corps mystique, tandis que le pape qui n’est qu’une « tête morale secondaire » pourrait « exercer une juridiction sur l’Église même si elle ne reçoit de l’âme de l’Église aucune influence de foi interne et de charité. »[32]
Le cardinal Billot confirme aussi la remarque du père Goupil :
« Lorsqu’on dit que cette succession a toujours duré sans jamais s’interrompre, on ne veut pas dire qu’aucun intervalle de temps ne se serait écoulé entre la mort d’un pape et l’élection de son successeur, ni qu’il n’y en ait absolument aucun dans toute la généalogie dont la légitimité serait douteuse. On veut dire que les pasteurs se sont succédé les uns aux autres de telle sorte que leur siège n’a jamais cessé d’être occupé, même lorsqu’il était vacant ou lorsque son titulaire était douteux. De la sorte, le gouvernement précédent continuait de s’exercer virtuellement à travers les droits de ce siège qui restaient toujours en vigueur et qui étaient toujours reconnus, et l’on gardait toujours le souci de désigner un successeur en toute certitude. »[33]
Billot parlait, pour le grand schisme, de « deux papes matériellement distincts » et Guérard d’un « sujet matériel de la succession » et d’une suppléance s’exerçant « virtuellement à travers les droits de ce siège ». Un autre théologien, le Père Calmel, a comparé la situation présente à « une sorte d’éclipse de la papauté »[34] et d’un « Pierre » qui « s’est mis pour quelque temps en vacances. »[35]
Le cardinal Journet, lui, au sujet de l’Église qui « possède le pouvoir de la papauté en puissance », fait cette remarque :
« Le pape mort, l’Église est vraiment dans la viduité [veuvage], et quant à la juridiction universelle visible, elle est vraiment acéphale. Mais elle n’est point acéphale comme les Églises schismatiques, ni comme un corps voué de soi à la décomposition. Le Christ la dirige du ciel. Il n’y a personne alors sur la terre pour exercer visiblement en son nom la juridiction spirituelle suprême, et, en conséquence, les manifestations nouvelles de la vie universelle de l’Église sont empêchées. Mais, pour être ralenti, le battement de la vie ne cesse pas dans l’Église ; elle possède le pouvoir de la papauté en puissance, en ce sens que le Christ, qui a voulu qu’elle dépendît, au cours des âges, d’un pasteur visible, lui a conféré pour autant le pouvoir de désigner les hommes auxquels lui-même remettrait les clefs du royaume des cieux, déposées d’abord dans les mains de Pierre. »[36]
Ainsi, quand cessera l’apostasie des pontifes modernes, cessera du même coup la vacance d’autorité de la hiérarchie conciliaire qui rend invisible la hiérarchie catholique.
La visibilité de l’Église, qui n’est pas une note, peut posséder en effet divers degrés, tandis que la note d’apostolicité, elle, est absolue dans l’Église du Christ, en sorte que, tant qu’il reste la possibilité pour l’Église de se ressaisir, l’apostolicité demeurerait même si la visibilité en est troublée.
« L’apostolicité serait coupée si nous disions que le siège est vacant, et qu’il peut le demeurer indéfiniment. Cela, c’est impossible ; puisque l’Église est apostolique, et qu’elle doit le rester. En outre, pour faire comme s’il y avait vacance il faudrait avoir prouvé que telle est bien la réalité ; or nous ne voyons pas que des raisons suffisantes aient été données. Et nous rappelons la très grave difficulté que présente l’affirmation objective de la vacance totale. L’Église militante serait privée de chef visible depuis 1963, voire depuis le 9 octobre 1958. Ce qui, alors, serait en question, c’est l’apostolicité même de l’Église militante [apostolicité qui est une note de l’Église] ; tandis que la visibilité (obnubilée lors du grand schisme) n’est pas une note. Or, Pie IX l’a affirmé sous la note d’infaillibilité : « L’Église demeure jusqu’à la consommation des siècles toujours stable et inchangée, conformément à sa propre nature. »[37] Or c’est bien par nature que l’Église militante doit avoir un chef visible. Elle peut en être accidentellement et provisoirement privée ; mais, s’il en est ainsi, tout est mis activement en œuvre en vue de pourvoir au Siège apostolique. Il n’y a actuellement rien de tel, et pour cause ! »[38]
Certains insistent sur le fait que l’illégitimité d’un pape impliquerait la disparition du collège cardinalice, c’est-à-dire des électeurs du pape, puisque les actes d’un pape materialiter sont nuls et non avenus. Cela serait vrai si une suppléance en faveur des fidèles, par Dieu Lui-même, n’était pas assurée pour les actes concernant le bien et la permanence de l’Église. Un pape materialiter pourrait donc désigner de vrais cardinaux par suppléance du Christ, même si depuis cinquante ans la plupart perdent, par leur modernisme, la foi et leurs autorités. La succession apostolique n’étant pas interrompue, l’Église se conserve le pouvoir de se donner un pape formaliter.
Lors du Grand Schisme d’Occident, aucun des deux (puis des trois) concurrents à la papauté n’a été pape de manière certaine, et Zapelena estime qu’« on devrait admettre une suppléance de la juridiction (fondée sur le titre coloré), non de la part de l’Église, qui n’a pas la suprême autorité, mais du Christ lui-même, qui aurait accordé la juridiction à chacun des antipapes dans la mesure où c’était nécessaire. »[39]
Une fois de plus, répétons-le, serait-il surprenant qu’une crise qui est sans précédent dans l’Église, vu l’apostasie latente des évêques, culmine précisément dans le Siège apostolique, avec une sorte de vacance d’autorité qui est elle-même sans précédent ?
A suivre.
Abbé Olivier Rioult
[1] Xavier da Silveira, Le nouvel Ordo Missæ de Paul VI, qu’en penser ? DPF, 1975, p. 308.
[2] Cano, De Locis…, livre V, chap. 5, concl. 2, p. 124.
[3] Suárez, De religione, livre II, chap. XVII, n° 18, p. 212.
[4] Hervé (J.-M.) : Manuale theologiae dogmaticae, Berche et Pagis, Parisiis, vol. I, 1952; vol. III, 1953.
[5] Cartechini, Dall’opinione al domma, La Civiltà cattolica, Roma, 1953, p. 48.
[6] Xavier da Silveira, Le Nouvel Ordo Missæ de Paul VI qu’en penser ? DPF, 1975, p. 252 & 276, note 10.
[7] A force de dire que Jean-Paul II, Benoît XVI, François… sont l’autorité légitime, on voit mal comment il est possible qu’elle fasse un usage fondamentalement erroné de son pouvoir de gouverner et d’enseigner avec une telle constance sur une telle période, de sorte que, étant de fait assujetti en droit à cette autorité, le fidèle ou le religieux ne peut faire autre chose que de se demander si, d’une certaine façon, il ne serait pas possible tout de même de lire Vatican II à la lumière de la Tradition, ainsi d’adopter une « herméneutique de continuité » qui au fond arrangerait bien tout le monde : les « conservateurs » du Vatican, et les « intégristes » modérés ; après tout, Vatican II ayant été promulgué par une autorité légitime, il faudra bien l’« avaler » et le « digérer » d’une manière ou d’une autre, sous peine (chose qui donne des frayeurs à Mgr Fellay) de voir les lefebvristes sombrer dans un comportement schismatique… On ne peut désobéir indéfiniment à l’autorité que l’on tient pour légitime de manière indubitable. Ainsi raisonne en son cœur et de manière inavouée Mgr Fellay, qui ne veut pas reconnaître qu’il y a bien schisme, un schisme consommé depuis longtemps, mais par la Rome moderniste et non par les catholiques fidèles à la Tradition.
[8] Mgr Guérard des Lauriers, Sous la Bannière, Supplément au n° 11 de mai-juin 1987, p. 13.
[9] Mgr Lefebvre, Flavigny, déc. 1988 ; Fideliter n°68, p. 16.
[10] « En philosophie la « forme », ce n’est pas le contour extérieur ou la figure géométrique, c’est le principe intérieur qui organise la matière dont un corps est fait en un corps d’une certaine nature, ayant par là une certaine organisation interne, donc le principe de spécificité qui, avec son organisation, donne au corps la nature de son espèce. […] Cet emploi philosophique des mots “ matière ” et “ forme ” qui est dû à Aristote provient d’une comparaison faite par lui des corps naturels que nous étudions en ce moment avec les objets artificiels fabriqués par notre art ou notre industrie parmi lesquels il a pris pour exemple les statues. […] Mais il faut bien savoir que cette transposition a changé le sens des mots. Pour le mot “ forme ” nous l’avons déjà expliqué. Mais le mot “ matière ” a, lui aussi, changé de sens. La matière, au sens courant du mot, c’est une substance matérielle comme le marbre ou le plâtre dont on fait les statues […]. Ce qu’au contraire maintenant en philosophie nous appelons “ matière ” en la distinguant de la forme et l’opposant à la forme, c’est le pur “ce dont les corps sont faits” qui par soi n’a ni nature ni forme et qui ne sera déterminé que par la forme […]. Par extension des notions de matière et de forme, on appelle matériel tout ce qui, indéterminé en soi-même, joue le rôle de sujet recevant des déterminations, tout ce dont quelque chose est fait, tout ce qui en constitue le contenu, et formel tout ce qui a une fonction déterminante, spécificatrice, tout ce qui situe quelque chose dans sa nature même. » (Jean Daujat, Y a-t-il une vérité ?, Téqui).
[11] Saint Robert Bellarmin, De Rom. pont., livre 11, chap. 30, pp. 418-420.
[12] Billot, L’Église, sa divine institution et ses notes, Tome I, p. 208, note 30.
[13] Le Catéchisme du Concile de Trente au sujet du sacrement de l’ordre enseigne que la puissance ecclésiastique est double ; elle se partage 1° en pouvoir d’Ordre, 2° en pouvoir de Juridiction. Le pouvoir d’Ordre a pour objet le Corps adorable de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans la Sainte eucharistie. Le pouvoir de Juridiction s’exerce tout entier sur son Corps mystique. C’est à lui qu’il appartient de gouverner le peuple chrétien, de le conduire et de le diriger dans la voie de la céleste et éternelle félicité.
La Missio, dans l’Église militante, correspond au « Allez, enseignez, baptisez… » (Matt. XXVIII. 18-20). La doctrine ayant pour but de préparer les âmes aux sacrements et au Christ. La Sessio, dans l’Église militante, correspond au « Vous qui m’avez suivi, vous serez assis, vous aussi, sur douze trônes, jugeant… » (Matt. XIX. 28). Le Christ délègue donc son autorité à la hiérarchie (apostolicité) pour réaliser l’unité et la sainteté de la catholicité.
[14] Mgr Lefebvre, Cospec 118A, 15 avril 1986.
[15] Mgr Lefebvre, Jeudi Saint, messe chrismale, 27 mars 1986.
[16] En juillet 2014, à Avrillé, Mgr Williamson, devant une vingtaine de prêtres réunis, tous opposés à la trahison de Mgr Fellay et au ralliement à la Rome moderniste, a admis la liberté pour chacun d’être una cum ou non una cum au canon de la messe. Le Père Thomas d’Aquin était partisan de cette liberté, l’abbé Altamira de même. Le père Pierre-Marie, prieur d’Avrillé, n’a pas fait d’objection. L’opposition venait du seul abbé Pfeiffer. En ce qui concerne les prêtres de l’Union sacerdotale Marcel Lefebvre, les uns sont una cum, et d’autres sont non una cum.
La FSSPX criera peut-être au scandale devant une telle liberté. Mais ce ne serait qu’hypocrisie. Une anecdote révélatrice le montrera. Le 15 mai 2015, pour fêter les cinquante ans de sacerdoce du Révérend Père Raffali, qui est non una cum, les abbés Beauvais et Radier faisaient diacre et sous-diacre en présence des abbés Boivin, 2e assistant du district de France, et Laguérie (Jacques) en surplis dans le chœur. Tous manifestaient ainsi leur union liturgique avec un prêtre non una cum, c’est-à-dire avec un prêtre qui ne cite pas François au canon de la messe et pour qui l’occupant du siège de Pierre n’est pas pape. L’abbé Radier qui est una cum, dans son homélie, a loué le Révérend Père Raffali, qui est non una cum, pour sa fidélité dans le combat de la foi…
Le bénédictin Dom Guillou (sous le pseudonyme de Frère Benevolens) dans le Supplément Voltigeur de la revue Itinéraires, n°10 du 15 octobre 1982 pensait que, suite à de nombreuses traductions de missels : « La démonstration des anti-Una Cum paraît rigoureuse. Mais c’est la rigueur d’un sophisme ; toute la valeur de ce syllogisme s’effondre quand on donne aux mots “Una Cum” le sens qui est le leur dans le canon de la messe : “et aussi pour”, et non point : “ en communion avec”. »
Mais plusieurs ont objecté que dans le Dictionnaire de Théologie Catholique, à l’article Messe (t. X, col. 1395), l’auteur, Dom Cabrol, écrit : « en union avec le Pape et les évêques en union avec lui ». Dans le livre Explication de la Messe, le P. Le Brun écrit : « Una Cum Famulo Tuo… avec notre Pape N., votre serviteur » (p. 374, Éd. du Cerf, 1949). Dans chacun des tomes de L’Année Liturgique, Dom Guéranger donne l’ordinaire de la Messe. À chaque fois au Te igitur, il écrit : « …dirigez notre évêque qui est pour nous le lien sacré de l’unité. »
[17] Lettre aux futurs Evêques, 29 août 1987.
[18] Certains expliquent échapper à ce dur jugement en montrant que le modernisme (nouvelle religion), dans l’Église, a raison de privation, et en conséquence peut subsister par elle bien que contre elle.
[19] Itinéraire spirituel, 1990, p. 29.
[20] Matt. XII. 30 & Hom. 42.
[21] Mgr Lefebvre, Conférencce, Écône, 2 déc. 1982.
[22] Entretien avec Eugenio Scalfari le 24 septembre 2013, publié le 1er octobre dans La Repubblica.
[23] texto-completo-discurso-del-papa-francisco-en-encuentro-con-clase-dirigente-de-brasil/2014/04/02.
[24] https://www.aciprensa.com/entrevistapapafrancisco.pdf, p. 14/15.
[25] « « Celui qui n’est point contre vous est pour vous. » Cette maxime du Seigneur n’est-elle pas en opposition avec cette autre : « Celui qui n’est pas avec moi, est contre moi ? » […] On n’est pas avec lui en tant qu’on est contre lui; on est avec lui dans les actions où on agit de concert avec lui. Prenons pour exemple cet homme qui faisait des miracles au nom de Jésus-Christ, sans faire partie du nombre des Apôtres ; il n’était pas contre eux, il était même avec eux en tant qu’il faisait des miracles au nom de Jésus ; mais en tant qu’il n’appartenait pas à leur société, il n’était pas avec eux, il était contre eux. Or, les Apôtres voulaient lui interdire de faire ce en quoi il était d’accord avec eux, et c’est pour cela que Jésus leur dit: « Ne l’empêchez pas » ; ce à quoi ils devaient se borner, c’était de lui défendre d’agir en dehors de leur société, c’était de lui conseiller de rentrer dans l’unité de l’Église. Ils devaient le laisser libre dans ce qu’il avait de commun avec eux, l’invocation du nom de leur Maître, de leur Seigneur pour chasser les démons. Telle est justement la conduite de l’Église catholique, ce qu’elle condamne chez les hérétiques, ce ne sont pas les sacrements qui leur sont communs avec nous, mais leur séparation d’avec nous, mais les doctrines opposées à la vérité et à la paix, car sous ce rapport, ils sont contre nous. » S. Augustin, De l’acc. des Evang., 4, 5.
[26] Mgr Lefebvre, Fideliter, n° 70, juil.-août 1989, page 6.
Les « traditionalistes » ne sont pas les seuls à être d’Église, mais c’est bien chez les « traditionalistes » que l’on trouve « la foi et les sacrements de la foi » qui constituent l’Église. Leur refus de communion dans ladite « forme ordinaire » du culte, leur désobéissance caractérisée à l’encontre des « pontifes conciliaires », des pasteurs nommés par ces derniers, ne contribue pas à détacher les « traditionalistes » du Corps de l’Église.
[27] Billot, L’Église, sa divine institution et ses notes, Tome I, n° 366 à 371. Dans ce cas on est face à un « pouvoir usurpé qui n’est pas apostolique ».
[28] R.P. Goupil s.j., L’Église, 5ème édition, 1946, Laval, pp. 48-49.
[29] C’est-à-dire que si elle cesse d’exister en fait pendant 99 ans, ses droits demeurent dans ses membres, ses biens et ses capacités ; elle peut donc ressusciter sans que l’autorité supérieure ne s’y oppose a priori.
[30] Abbé Louis Coache, « Forts dans la Foi« , supplément au n° 27.
[31] Billot, L’Église, sa divine institution et ses notes, Tome I, p. 305, n° 365.
[32] Garrigou-Lagrange, De Christo salvatore, Rome-Turin, Marietti, 1946, p. 232.
[33] Billot, L’Église, sa divine institution et ses notes, Tome I, p. 310, n° 373, note 54.
[34] Père R.-T. Calmel, Lettre du 12 juillet 1969.
[35] Père R.-Th. Calmel, Lettre du 21 août 1969.
[36] Charles Journet, L’Église du Verbe Incarné, t. I, 1998, pp. 833-834.
[37] Jam vos omnes, 13 sept 1868.
[38] Mgr Guérard des Lauriers, Sous la Bannière, Supplément au n° 11 de mai-juin 1987, p. 13.
[39] De Ecclesia Christi, pars apologetica, Roma, Universita Gregoriana, 1954, p. 115.
Le canon 209 stipule en effet : « En cas d’erreur commune ou de doute positif et probable, sur un point de droit ou de fait, l’Église supplée la juridiction pour le for tant externe qu’interne. » Ce que le chanoine Naz, en 1954, dans son traité de droit canonique, commentait ainsi :
« Les sources historiques du can. 209 se trouvent dans le droit romain qui ont passé dès le XIIe siècle dans le droit canonique (dans Gratien et les Décrétales). On y trouve une notion très large de l’erreur commune qui dès le XIIIe siècle est critiquée par certains tels qu’Innocent IV. D’autres canonistes maintinrent cependant le point de vue de Gratien et d’Innocent III…
« 1. On entend par erreur commune celle qui affecte l’ensemble des membres d’une communauté, au sujet de l’existence de la juridiction ordinaire ou déléguée, qui est faussement attribuée à quelqu’un. […]
« 2. L’intervention d’un titulus coloratus n’est donc plus requise pour que l’Église supplée la juridiction. Jadis, les auteurs entendaient par titulus coloratus la présence d’un acte constitutif de juridiction, mais vicié par un défaut caché, par ex. par l’indignité ou la censure de celui qui reçoit juridiction. […]
« 5. Le prêtre, conscient de son défaut de juridiction, peut-il se prévaloir de l’erreur commune pour faire des actes de juridiction ? […] Le fidèle, au courant de l’erreur commune, peut-il recourir à la juridiction du prêtre, qui ne la possède que par suppléance de l’Église ? Quant à la validité de l’acte, il n’y a pas de doute. L’Église supplée pour tous ceux qui s’adressent au prêtre en cas d’erreur commune. Quant à la licéité de ce recours, tout motif raisonnable suffit, à notre avis, pour que le fidèle, même au courant de la situation, fasse appel à cette juridiction. Puisque l’Église supplée, le fidèle peut profiter de la situation créée malgré lui, même s’il est informé de l’absence de juridiction normale.
« 6. Le can. 209 dit : l’Église supplée, c’est-à-dire elle rend directement valable l’acte, qui par défaut de concession normale de juridiction eût été nul, sans cette suppléance. Il est clair que l’Église ne supplée par ce moyen qu’à un vice de droit ecclésiastique, non de droit naturel ou divin, non pas par ex. dans le cas où celui qui agit ne serait pas prêtre. »